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Armes nucléaires : l’inévitable essai atomique de la Corée du Nord


La fin de la Guerre froide avait sorti de l’esprit des Européens le risque d’apocalypse posé par les armes nucléaires, qui avait longtemps fait partie de leur quotidien. Les menaces lancées par le président russe avec l’invasion de l’Ukraine l’ont réintroduit brutalement. Ce n’est pas le seul symptôme d’un basculement dans une nouvelle ère. La bipolarité russo-américaine est remise en cause par la Chine, dont l’arsenal ne cesse de s’accroître dans l’opacité. De nouvelles puissances “dotées” émergent : la Corée du Nord, déjà ; l’Iran si elle le décide, et d’autres États, demain, s’ils y voient la seule façon d’assurer leur survie. En 1964, le réalisateur Stanley Kubrick avait titré son film satirique Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe. Ce “fol amour” a repris le monde et complexifie le jeu des puissances.

EPISODE 1 – Armes nucléaires, la surenchère : comment l’Ukraine a dû renoncer à sa bombe

EPISODE 2 – Poutine et la bombe nucléaire : le risque d’apocalypse

EPISODE 3 – La Chine et son colossal arsenal nucléaire : les dessous de la mystérieuse expansion de Pékin

EPISODE 4 – Armes nucléaires : le plan titanesque des Etats-Unis face à la Chine et la Russie

Une onde de choc parcourt l’atoll polynésien de Fangataufa, au matin du 27 janvier 1996. Soulevée, la surface de l’eau s’en trouve blanchie quelques secondes. Pour la dernière fois, la France a procédé à un essai nucléaire, baptisé Xouthos – un roi de la mythologie grecque. Au cœur du socle de basalte de l’île corallienne, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, la température est montée un instant à des centaines de millions de degrés. C’est là qu’un dispositif expérimental a été placé par la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA/DAM), conceptrice des armes nucléaires françaises.

“A de telles températures, l’état de la matière n’a plus rien à voir avec ce que l’on connaît, explique un ancien du CEA/DAM. On fait des hypothèses pour savoir si tel système mathématique modélise bien la réalité physique, mais la physique des armes nucléaires est si peu intuitive que s’il n’y a pas d’essai, on ne peut pas en être sûr.” A Fangataufa, Xouthos a rempli son rôle : les capteurs confirment la justesse de leurs modèles aux physiciens. Au-delà de Xouthos, cette dernière campagne d’essais garantit le bon fonctionnement des ogives nucléaires françaises. La dissuasion française est assurée : si le chef de l’Etat ordonne une frappe atomique, il n’y aura pas de défaillance.

Kim Jong-un aimerait disposer de la même assurance. Mais pour cela, le dirigeant de la Corée du Nord a besoin que ses scientifiques progressent dans la physique des armes nucléaires – Pyongyang disposerait déjà d’une cinquantaine de bombes atomiques. Le dernier de leurs sept essais remonte à 2017. Or, comme l’explique notre ingénieur, “il en faut beaucoup plus pour maîtriser la physique des armes”. Les Etats-Unis en ont réalisé plus de 1000, la Russie plus de 700, et la France 210, avec une dernière campagne, en 1995 et 1996, décisive pour calibrer les outils de simulation permettant de garantir le fonctionnement des armes de la dissuasion française sans nouvel essai.

Au nord-est de la Corée du Nord, le site souterrain de Punggye-ri se prépare donc, depuis 2022, à un nouvel essai, dont la date reste inconnue, quitte à faire face à une nouvelle volée de sanctions internationales. “Les Nord-Coréens tentent de construire des armes nucléaires tactiques, des dispositifs plus compacts, à moindre rendement, différents de ceux testés jusqu’alors, explique Ankit Panda, spécialiste de la prolifération à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. L’histoire nous a enseigné l’utilité des essais pour valider la conception d’une telle ingénierie.”

Modernisation des sites d’essais en Chine et en Russie

La Corée du Nord n’est pas le seul pays à se préparer. La Chine, engagée dans un programme d’expansion sans précédent de son arsenal, procède à une vaste modernisation de son site de Lop Nur, dans le désert du Xinjiang. Elle y a construit de nouveaux bâtiments et creusé tunnels et puits susceptibles d’accueillir de nouveaux essais. “La Chine a conduit moins de tests (45) que l’URSS et les Etats-Unis et pourrait trouver un intérêt à en réaliser pour ses nouvelles armes, de même que l’Inde et le Pakistan, dont les ogives ne sont pas du même niveau que ceux des autres Etats dotés”, explique Hans Kristensen, le directeur de la Fédération des scientifiques américains.

La Russie n’est pas en reste. Une enquête de CNN a révélé que son site de Nouvelle-Zemble, où s’est tenu le dernier essai décidé par Moscou, le 24 octobre 1990, a connu d’importants travaux d’extension. Ce pays “pourrait procéder à des essais pour confirmer la crédibilité de son arsenal après des années de modernisation, estime, dans une note, Heather Williams, spécialiste des questions nucléaires au Centre des études stratégiques et internationales. [Ils] enverraient un message fort : la Russie est si déterminée à gagner la guerre en Ukraine qu’elle est prête à saper les quelque traités et normes nucléaires internationaux restants.”

Si Paris a fait le choix de démanteler les installations de son Centre d’expérimentation du Pacifique, Washington s’est gardé d’une telle décision. A une heure de voiture de Las Vegas, son “site d’essais du Nevada”, où a eu lieu le dernier, en 1992, est toujours actif. Les Etats-Unis y ont récemment étendu les infrastructures souterraines d’un centre, U1a, où sont menés des essais dits “non-critiques” – ces explosions avec des matières radioactives ne provoquent pas de réaction en chaîne et ne sont pas considérées, officiellement, comme des essais nucléaires. Si la Maison-Blanche le décidait, les physiciens pourraient rapidement y reprendre les explosions atomiques.

L’effacement des derniers filets de sécurité

Le dernier accord de limitations des armements entre la Russie et les Etats-Unis, New Start, expire en février 2026. Vladimir Poutine a déjà suspendu sa mise en œuvre. Le traité de désarmement sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (500 à 5 500 kilomètres), signé du temps de la guerre froide, a pris fin en 2019. Et au début de l’été, le président russe a annoncé que la Russie “devrait commencer à produire de tels systèmes de frappes”. En novembre 2023, il a aussi révoqué la ratification russe du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (négocié et adopté en 1996, mais jamais entré en vigueur), sous prétexte que les Etats-Unis ne l’avaient jamais entériné – pas plus que la Chine.

Avec l’effacement de ces derniers filets de sécurité, les arsenaux pourraient se mettre à grossir comme jamais depuis la fin de la guerre froide. “Parfois, pour que cela aille mieux, il faut d’abord que cela aille plus mal, la limitation et le contrôle des armements pourraient revenir, espère Hans Kristensen. Mais pour qu’il y ait un accord, il faut un intérêt de chacun des acteurs à faire des concessions.” On en est loin.




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