Un gouvernement dont le chef est sans majorité à l’Assemblée nationale, dans des circonstances financières critiques doublées d’un climat politique passionnel – en France, il l’est presque toujours – peut redresser une nation. La France l’a déjà fait ! C’est en effet la situation que notre pays a connue en 1926, quand Raymond Poincaré a été nommé président du Conseil. Poincaré était le modèle d’homme politique le plus abouti de la IIIe République.
Plusieurs fois ministre, puis président du Conseil en 1912, il fut président de la République pendant la Grande Guerre. Il redevint président du Conseil après le conflit, en 1922, dans un contexte budgétaire déjà difficile. L’un de ses faits d’armes fut de faire occuper militairement, et in fine sans succès, la Ruhr, pour forcer les Allemands à payer des réparations de guerre alors qu’ils rechignaient à le faire. La France s’était fortement endettée pendant le conflit. L’instabilité politique inquiétait nos créanciers. La crise financière et monétaire s’aggrava sous le Cartel des gauches et sous le ministère d’Edouard Herriot, à partir de 1924.
“Le mur de l’argent”, coupable facile
Le Cartel des gauches, comme le Nouveau Front populaire aujourd’hui, consistait en une alliance électorale sans homogénéité programmatique. Imprécis et indécis, Herriot était incapable de mener une politique économique conséquente et de rassurer les marchés, alors même qu’il avait hérité d’une situation assainie sur le plan des finances publiques. Il rendait responsables “le mur de l’argent” et la Banque de France, qui ne pouvait plus recourir à la planche à billets comme jadis, de faire échouer sa politique, laquelle finit par être rejetée par le Parlement.
Si la gauche française souffre d’une mauvaise réputation dans la conduite de la politique économique, elle le doit largement à Herriot et au Cartel. Le président Gaston Doumergue s’en remit alors, avec la bénédiction des députés, pourtant majoritairement à gauche, à un “homme providentiel” pour diriger un gouvernement d’union nationale. Poincaré incarnait l’expérience, quand le Cartel des gauches fleurait bon l’aventurisme.
Républicain, laïque, rigoureux mais audacieux comme l’affaire de la Ruhr l’avait montré, Poincaré s’appuya sur une coalition de partis rassemblant le centre droit, la droite modérée et les radicaux-socialistes. Il avait le soutien des milieux d’affaires et des classes moyennes, qui avaient apprécié par le passé sa politique de stabilité et de discipline économique. Ce qui ne l’empêcha pas de confier les Affaires étrangères à un homme de gauche, Aristide Briand, lui-même ancien président du Conseil – la IIIe République n’en manquait pas.
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Poincaré, une image rassembleuse
Poincaré, qui s’arrogea le ministère des Finances, augmenta les impôts indirects pour faire rentrer de l’argent dans les caisses et diminua ceux sur les hauts revenus et les successions pour donner de l’attractivité au pays. Surtout, il leva un tabou qui contraignait l’action économique depuis la Grande Guerre : il rétablit la convertibilité du franc en or, avec un taux de change 5 fois inférieur à celui de 1914. La mesure ruina les rentiers, dont le patrimoine financier était libellé en francs, mais relança la croissance et diminua la valeur de la dette. D’après l’économiste Charles Serfaty, le ratio dette publique/PIB passa de 180 % en 1921 à 70 % en 1929. Ce qui était vu comme une humiliation monétaire était en réalité d’une grande sagesse. Il fallait le prestige de Poincaré pour le faire admettre.
Ce gouvernement dura trois ans. Il fut courageux et parvint à redresser le pays. Quels enseignements en tirer ? Primo, pour débloquer une crise politique, un Premier ministre rassembleur doit s’appuyer sur son expérience et son image. Poincaré était auréolé d’un passé qui l’a servi. Ensuite, les membres du gouvernement, quelle que soit leur couleur politique, doivent partager des valeurs. Poincaré était de droite, mais pas sectaire. Comme les hommes de gauche de son équipe, il combattait les extrémismes, qu’ils soient monarchistes ou socialistes révolutionnaires.
La troisième leçon, c’est qu’une coalition ne peut fonctionner que si les partis au Parlement font passer l’intérêt du pays au-dessus de leurs chicayas politiques. En 1926, l’objectif de remettre d’aplomb les comptes publics faisait l’objet d’un consensus. Il n’est pas certain que ce soit le cas aujourd’hui, au-delà des belles paroles.
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères
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