* . * . * .

L’Europe en récession en 2025 ? “Des forces beaucoup plus négatives se profilent à l’horizon”


Au coeur de l’été, les places boursières ont tremblé. Début août, le département du Travail américain a publié un rapport montrant que le marché de l’emploi a ralenti plus que prévu en juillet. La réaction des bourses mondiales n’a pas tardé, les cours ont chuté brutalement, sur fond de crainte d’une récession aux Etats-Unis. Si l’orage semble désormais passé, il pourrait resurgir.

Mathieu Savary, économiste au cabinet BCA Research et spécialiste de la zone euro, anticipe que l’Europe entrera en récession début 2025. Pour L’Express, il détaille ses prévisions. Son raisonnement se fonde notamment sur le cas de la Suède, qu’il considère comme un parfait baromètre de la santé de l’économie européenne.

L’Express : Dans quel état se trouve aujourd’hui l’économie européenne ?

Mathieu Savary : Elle est dans une phase de transition. Elle bénéficie encore de certains facteurs positifs du début de l’année, comme le rebond de l’activité industrielle mondiale, favorable à l’Europe et à la zone euro en particulier, qui dédie une proportion importante de son PIB et de son emploi au commerce extérieur, ainsi qu’au secteur manufacturier. D’un point de vue domestique, on a également observé des bénéfices liés au fait que les ménages possèdent beaucoup d’épargne excédentaire et ont vu leurs revenus réels [NDLR : hors inflation] augmenter à un rythme de 2,3 % sur un an. C’est un gros changement par rapport à 2023.

Cette bonne passe va-t-elle se prolonger ?

Non, des forces beaucoup plus négatives se profilent à l’horizon. Cette amélioration du cycle industriel mondial semble prendre fin. On observe déjà que les nouvelles commandes en Allemagne ou encore au Japon ralentissent et sont même en train de connaître une contraction. Par ailleurs, la liquidité mondiale commence à se détériorer à la suite des turbulences sur les marchés internationaux liées à la stratégie du “carry trade” qui ont eu lieu au début du mois d’août. En Europe, les augmentations de salaires ralentissent. Les tendances de l’emploi suggèrent que cela va se poursuivre. Les intentions d’investissement des firmes sont très déprimées à l’heure actuelle.

Vous en déduisez que l’Europe pourrait entrer en récession en 2025 ?

Il y a même une probabilité pour la fin de cette année, mais notre scénario central penche plutôt pour le début de 2025, étant donné que l’économie mondiale montre d’importants signes de détérioration, en particulier sa locomotive, les Etats-Unis, dont la situation est très inquiétante. L’épargne excédentaire des ménages y a disparu, tandis que la politique budgétaire américaine s’est resserrée. De plus, les intentions d’investissement et l’activité dans le secteur immobilier se sont effondrées. Quant aux intentions d’embauche, elles sont en baisse.

La probabilité d’une récession aux Etats-Unis est très élevée, ce qui créera un choc important pour la zone euro. Nous estimons que la Chine, grand partenaire commercial de l’Europe, ne pourra pas sauver la situation. Celle-ci continue à faire face à de la déflation. Quand une économie est aussi endettée et que l’immobilier se porte très mal, la probabilité pour qu’elle réaccélère est très faible. On voit aussi beaucoup de problèmes qui apparaissent dans les marchés émergents où la liquidité manque et la croissance ralentit.

Le destin de l’économie européenne est fortement lié à celui de son homologue américaine ?

Il y a plusieurs raisons à cela. Le premier vecteur, ce sont les exportations européennes vers les Etats-Unis. Il s’agit d’un marché majeur pour les compagnies européennes, leurs profits sont évidemment très influencés par la croissance nominale américaine. Or, il y a aujourd’hui un risque de baisse des résultats des entreprises. Par ailleurs, une récession aux Etats-Unis s’accompagne souvent de chocs financiers : les cours des actions chutent, les écarts de crédit s’élargissent, le dollar américain a tendance à rebondir… Au total, cela crée un resserrement très significatif des conditions financières mondiales. Or, les marchés européens sont fortement corrélés à Wall Street.

Quelles vont être les marges de manœuvre de la Banque centrale européenne ?

On entre dans cette fenêtre où l’impact négatif du resserrement monétaire précédent est à son maximum. Une récession en elle-même est généralement le catalyseur d’une stratégie de diminution des taux d’intérêt. Elle a déjà commencé et va s’accélérer en fin d’année, puis se poursuivre en 2025. Nous prévoyons que la récession sera courte et ne sera pas particulièrement violente. C’est vraiment dans ces moments-là que la politique monétaire fonctionne le mieux pour recréer une relance forte. Il faut cette synchronisation où littéralement toutes les banques centrales assouplissent les conditions monétaires.

Quelles pourraient être les conséquences de cette récession, même si elle se révèle de faible ampleur ?

On peut s’attendre à une augmentation des déficits. Mais cela n’aura pas forcément de répercussions sur le marché obligataire, sachant que lors d’une récession, le secteur privé s’efforce d’augmenter son épargne par précaution. De plus, les banques centrales, elles-mêmes, dans un contexte récessionniste, ont généralement tendance à baisser les taux, ce qui simplifie le financement des déficits publics.

A ce titre, comment jugez-vous la situation de la France et de son budget ?

En cas de récession, aussi bien l’Union européenne que les marchés auront une tolérance beaucoup plus élevée pour une augmentation des déficits publics. Mais si la France continue à creuser son déficit public alors que l’économie va bien, la tolérance des marchés sera complètement différente. A la suite de la dissolution du Parlement en juin, les écarts de taux entre la France et l’Allemagne se sont beaucoup élargis. Il y a déjà une prime de risque importante imputée dans les actifs français liée à l’environnement politique et la politique budgétaire.

Pour justifier votre prévision de récession, vous prenez en exemple l’économie suédoise. Pour quelles raisons ?

Cela fait très longtemps que la Suède est un excellent baromètre de l’Europe. Son économie est petite et très ouverte. Les exportations et importations constituent une proportion très importante, même disproportionnée, du produit intérieur brut suédois. Ce qui rend le pays très sensible à l’évolution du cycle industriel mondial. Par ailleurs, ce pays exporte principalement des biens intermédiaires et des capitaux, historiquement les premières catégories à réagir, car en amont des chaînes d’approvisionnement. La Suède a tendance à bouger un peu plus rapidement que l’économie mondiale, et en particulier l’Europe, parce qu’elle est très intégrée dans les chaînes d’approvisionnement européennes. Or les nouvelles commandes domestiques internationales s’effondrent en Suède, ce qui est généralement un très mauvais signal pour l’économie du continent.




Source