La formule a l’ambiguïté de la novlangue macroniste. Ces concepts que chacun interprète à sa guise, c’est d’ailleurs leur raison d’être. L’Elysée a promis tout l’été que le prochain Premier ministre et son équipe exhaleraient un “parfum de cohabitation”. L’engagement, seriné à longueur d’articles de presse, serait fidèle au verdict des urnes. Certes, le camp présidentiel a perdu les élections législatives, rien ne peut être comme avant. Mais comme personne n’a gagné, les clefs du camion ne peuvent pas être confiées à un opposant irréductible au chef de l’Etat.
Méfiez-vous des oxymores. Il faut souvent n’en conserver qu’un mot. Emmanuel Macron semble surtout attentif à l’odeur dégagée par son nouveau Premier ministre. Prière de privilégier la douceur. Dès juillet, le président de la République demandait au futur exécutif de “ne pas détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer”, citant l’attractivité du pays. Il s’assigne alors l’obligation de former un gouvernement majoritaire pour mieux exclure le Nouveau Front populaire (NFP), arrivé en tête en nombre de sièges. Argument pratique pour évincer son programme radical. Le lundi 2 septembre, il reçoit Bernard Cazeneuve à l’Elysée. Lui aussi compte poser une empreinte de gauche sur la politique gouvernementale, au risque de bousculer des totems macronistes. Aie ! Le président tient à sa réforme des retraites, “fondamentalement injuste” aux yeux de l’ancien socialiste.
Les législatives, insaisissable scrutin
Jouer le jeu d’une “cohabitation”, mais avec qui ? Emmanuel Macron s’appuie sur l’ambiguïté des dernières législatives pour rester maître du jeu. Personne ne s’accorde sur le message envoyé par les Français. Chaque camp privilégie une analyse qui lui est favorable, aux moyens d’interprétations intéressées. Le Rassemblement national brandit ses 11 millions de voix au premier tour quand le NFP convoque son statut de première coalition en nombre de sièges. Le bloc central peut, lui, arguer de sa proximité idéologique avec LR – les deux camps ont voté ensemble de nombreux textes entre 2022 et 2024 – pour rester aux affaires. “Il faut assumer que le bloc central est le premier groupe de l’Assemblée”, glisse un député LR, s’incluant dans cet espace politique.
Le chef de l’Etat a ici tout loisir d’imposer sa lecture du 7 juillet pour rendre la “cohabitation” la plus indolore possible. Au risque d’être accusé de violer la volonté populaire pour conserver le pouvoir. Et d’exposer chaque Premier ministre, frappé d’illégitimité, à une censure express des oppositions. La plasticité du macronisme rend enfin difficile à tenir cette promesse de “parfum de cohabitation”. “Tout le monde a été, est ou sera macroniste”, aime à rappeler le vice-président des Républicains Julien Aubert, pour mieux souligner l’insaisissabilité de ce courant. Le macronisme a vogué au centre-gauche, avant de prendre le large au centre-droit. Il a triomphé en privant ses rivaux d’espace politique, conservant pour seuls opposants forts La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN). Une bouffée de “cohabitation” ne doit-elle pas être par essence radicale ?
Le bloc central, artisan de cohabitation ?
Et puis, comment définir une “cohabitation” ? Signifie-t-elle une rupture idéologique avec le pouvoir en place ? Ou peut-elle se réduire à une affaire de personnalités ? Prenez Xavier Bertrand. Le patron des Hauts-de-France entretient une relation dégradée avec Emmanuel Macron, qu’il espérait déloger de l’Elysée en 2022. “Vos politiques ont désespéré le pays, renforçant le sentiment de déclassement d’une grande partie de nos concitoyens”, dénonçait-il fin juin dans Le Figaro. Mais la virulence du propos est proportionnelle aux accointances idéologiques entre les deux hommes. Ils partagent un même engagement européen et n’ont pas une approche économique antagoniste. En cas de nomination, il faudrait un odorat très développé pour être enivré de parfum.
Le chef de l’Etat est frappé d’une dernière contradiction. Il promet du changement… mais le bloc central se retrouve de fait au cœur de la nouvelle Assemblée. Ainsi, les groupes Ensemble pour la République (EPR), Horizons et Indépendants et Les Démocrates, ceux de l’ex-majorité présidentielle, ne se sont pas inscrits dans l’opposition dans la nouvelle Assemblée. Des ministres souhaitent rester en place, les présidences de commissions ont été prises d’assaut par les députés macronistes cet été. Il faudra donc s’appuyer sur les députés de l’ex-majorité pour mettre en musique le parfum de cohabitation. Eux n’ont guère envie de multiplier les “pschitts”. Une remise en cause de la réforme des retraites est “une ligne rouge pour nous”, a assuré ce mardi sur Franceinfo l’ex-président du groupe Renaissance Sylvain Maillard. Un ministre démissionnaire met en garde : “Si Cazeneuve met un coup de barre à gauche et détricote la réforme des retraites, des députés centristes vont quitter la majorité.” Les députés du bloc central ont gagné en indépendance à la faveur de la dissolution et ne comptent pas se soumettre par principe au nouveau Premier ministre. Ce n’est pas Gabriel Attal, en conflit larvé avec le chef de l’Etat, qui les bridera. Ce parfum de la cohabitation est qualifié de manœuvre par les opposants d’Emmanuel Macron. Par la nature même du macronisme, il semble surtout hypothétique.
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