Il est conseiller général du canton de Bourg-Saint-Maurice, en Savoie, depuis quatre ans quand, à l’autre bout du pays, à Amiens, naît un petit garçon qui répond au nom d’Emmanuel Macron. Et puis Michel Barnier sera député, longtemps, ministre, souvent, de Mitterrand (sous la cohabitation), de Chirac, de Sarkozy, commissaire européen aussi, deux fois, négociateur en chef du Brexit. “Il a accédé à une reconnaissance de chef d’Etat”, dira dans Le Monde le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes de l’époque, Clément Beaune. Sauf en France, ajouterait volontiers Michel Barnier.
En juillet, il est au téléphone. Puisque la gauche propose une offre de gouvernement, il tente de contrebalancer. Il a toujours préconisé une alliance programmatique et non des débauchages, alors il tente le coup. Après le second tour des législatives, il parle à François Bayrou, à Bruno Le Maire, à Valérie Pécresse. A Gérard Larcher aussi, beaucoup. “Je n’ai aucune fébrilité, et, si j’ai passé l’âge d’être opportuniste, il ne faut pas douter de ma détermination”, dit souvent Michel Barnier à ses amis.
En août, il disparaît des radars. Et opte pour la course de lenteur. Il a compris qu’Emmanuel Macron était du genre à procrastiner – rien ne lui échappe. Lundi 2 septembre, Michel Barnier n’a pas de nouvelle mais n’a renoncé à rien. Les regards sont tournés vers Xavier Bertrand ? “Je suis acceptable par Laurent Wauquiez, qui ne voit pas en moi un concurrent pour 2027”, confie-t-il, mettant en avant sa marque de fabrique : “Je sais faire travailler les uns et les autres.”
Hors de nos frontières, il est une figure qui compte. Et pas seulement à Bruxelles : nos meilleurs ennemis, les Anglais, se sont interrogés, en 2020, à travers deux pages du Daily Mirror : serait-il le “patient zéro”, lui qui fut parmi les premiers contaminés du Covid ? Même Boris Johnson lui posa la question, sur le ton de la boutade, lors d’un entretien.
En 2002, Michel Barnier participe activement à la campagne qui conduira à la réélection abracadabrantesque de Jacques Chirac. Une fois que le président sortant a battu Jean-Marie Le Pen, Michel Barnier ne se voit rien proposer. Deux ans plus tard, commissaire européen, il fait passer un message à l’Elysée : il ne peut quitter son poste à Bruxelles que pour le Quai d’Orsay, par décence vis-à-vis des Européens. “Il sait être malin”, note l’un de ses amis. Et ça marche ! Le voilà qui succède à Dominique de Villepin comme ministre des Affaires étrangères. Plus dure sera la chute, l’humiliation même. A peine un an plus tard et au lendemain d’un référendum perdu sur l’Europe, il est débarqué. Là n’est pas le pire, qui se trouve dans le nom de son successeur : il s’appelle en effet Philippe Douste-Blazy, dont les compétences internationales et l’appétence pour la diplomatie n’avaient pas frappé les esprits. “Il en a énormément voulu à Chirac, se rappelle un proche. En même temps, imaginer que les promesses sont toujours tenues, c’est mal connaître la politique, non ?”
Entre les Barnier et Chirac, ce fut décidément un festival de malentendus. Oui, les Barnier. Car, en 1977, une dame interpella le président du RPR de l’époque à propos d’une investiture du parti, lors d’un meeting sur la place des femmes dans la société : “Pour qui nous prenez-vous ? Vous nous expliquez ici le contraire de ce que vous faites à Paris.” Chirac répondit, puis retourna s’asseoir et se pencha vers son voisin de tribune, Michel Barnier, celui-là même qu’il venait soutenir pour des législatives : “C’est qui, cette bonne femme ? – C’est ma mère.”
Déçu du chiraquisme, déçu du macronisme. Ce président arrivé sur l’air de l’Hymne à la joie ne pouvait qu’attirer l’oreille, et l’œil, de Michel Barnier. Or il juge que ce jeune président a manqué le coche, confronté à un vrai problème de gouvernance, à un exercice solitaire, voire arrogant du pouvoir. C’est aussi un rendez-vous manqué entre les deux hommes. Avec Emmanuel Macron, oui, il a parlé de la présidence de la Commission européenne, non, son appartenance à LR ne posait pas de problème au chef de l’Etat. Michel Barnier reconnaît une incompréhension et donc une déception : il pouvait être le premier Français depuis Jacques Delors à être propulsé à la tête de la Commission. Le président aurait aussi joué avec l’idée de le nommer à Matignon pour remplacer Edouard Philippe – en l’occurrence il a surtout joué avec les nerfs de l’intéressé, et ne s’en est pas fait un allié.
Patience et longueur de temps. Le voilà lointain successeur du premier Premier ministre d’Emmanuel Macron – on ne pariera pas que ce se sera le dernier. Un jour, il a dit à Emmanuel Macron : créer un vide entre le président et Marine Le Pen, c’est risquer d’y tomber. Les législatives ont été marquées du sceau du front républicain. Michel Barnier est – enfin – à la tête du gouvernement. Mais il n’a jamais été aussi près, et le pays avec lui, du vide.
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