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Michel Barnier à Matignon, les coulisses : le plan B, la gaffe de Bertrand, l’échange Wauquiez-Kohler


A Matignon, à la place de Michel Barnier, aurait pu s’installer… Gérard Larcher. Le nom du président du Sénat ressemble à un grelot qu’on fait tintinnabuler aux oreilles des Français à intervalles réguliers quand Emmanuel Macron semble dans l’impasse – ce qui, ces derniers temps, arrive souvent. Mais le lundi 2 septembre, il s’en est fallu de peu pour que la “rumeur Larcher” vire à l’annonce officielle. A la fin d’une journée tourmentée par Thierry Beaudet, approché pour Matignon puis écarté, Emmanuel Macron échange avec Gérard Larcher. Le patron des sénateurs, homme de droite, élu local, aussi roué que responsable, apparaît comme l’antithèse parfaite de Beaudet, venu de la gauche, de la société civile et du Cese. Excellent, en route pour Matignon ! Chez le président de la République, la vérité matinale ne rencontre jamais la vérité vespérale. Et ce qui se conçoit mal s’énonce clairement ; le voici donc qui, distinctement, propose le poste au sénateur. Refus du matois Larcher, contre-proposition immédiate du chef de l’Etat : essayons Xavier Bertrand.

Mais, après plusieurs journées de consultation, plusieurs rendez-vous avec la droite, Emmanuel Macron aimerait ne pas avoir à sonder une énième fois les groupes parlementaires. On ne choisit pas de faire président pour se coltiner les tâches d’un chef de parti. Est-ce que l’éminent sénateur s’en chargerait ? “Ce n’est pas à moi de le faire, c’est à vous monsieur le président.” Gérard Larcher veut bien participer à l’installation de sa famille politique au sommet de l’Etat à condition que la manœuvre ne soit pas trop voyante. C’est donc le chef de l’Etat qui, mardi 3 septembre, sonde en début de matinée lors d’une visioconférence Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau. Le trio expose ses deux conditions à la nomination d’un Premier ministre de droite : l’assurance de sa non-censurabilité et le respect de certaines propositions figurant dans le pacte législatif présenté par les deux présidents de groupe. A 10 heures, l’affaire paraît entendue.

A 11 h 30, Laurent Wauquiez qui, quatre jours plus tôt assénait à un député LR : “Ne te fais pas d’illusion, on a zéro pouvoir sur la nomination d’un Premier ministre”, paraît moins pessimiste. Ou optimiste, on ne sait guère. Il rend compte à ses troupes de son échange avec le chef de l’Etat. L’assistance accueille favorablement l’hypothèse Bertrand. L’électorat de droite craint l’avènement d’un Premier ministre de gauche, comment faire barrage à la nomination d’un Premier ministre LR ? L’hypothèse tient du miracle, après l’échec des législatives. Seuls deux élus expriment des réserves.

Laurent Wauquiez, quant à lui, ne cache pas sa relation dégradée avec Xavier Bertrand, mais il fait mine de prendre de la hauteur. Il évoque devant ses pairs un “pacte de mandature”, tout en restant évasif sur la participation de LR au gouvernement. On se pince. Voici l’ex-ministre, adversaire résolu de toute coalition gouvernementale, prêt à mettre un doigt de pied dans le bain du pouvoir. Sa souplesse ? Subtil mélange d’habileté et de contrainte. Laurent Wauquiez ne prête en réalité pas un grand avenir au prochain exécutif. Il doit aussi composer avec un groupe hétéroclite, aux individualités parfois sensibles à un retour aux affaires. Des coups de fil commencent d’ailleurs à être passés pour établir les comptes des élus LR prêts à rejoindre le gouvernement.

Le coup de fil manquant

Il arrive, parfois, que l’Histoire trébuche sur un détail. Et quand il s’agit de l’histoire politique, ce détail prend, souvent, la forme d’une vexation. Le feuilleton Michel Barnier à Matignon aurait-il vu le jour si, mardi 3 septembre, Xavier Bertrand n’avait pas oublié un nom sur la liste de ses rendez-vous téléphoniques de la journée ? A l’heure du déjeuner, Laurent Wauquiez peine à cacher son étonnement. Aucun signe de Bertrand, ce dernier a-t-il compris qu’il allait devoir trouver une majorité à l’Assemblée nationale et qu’il ne pourrait le faire sans l’aide de l’homme fort de la droite ? L’ambitieux ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes range son orgueil et décide d’appeler lui-même le candidat à Matignon.

J’ai dû l’appeler moi-même et il m’a battu froid

L’échange est bref, cinq minutes à peine. Bertrand lui assure détenir la garantie de ne pas se voir censuré. Coup de bluff ? Le député peine à croire à ce scénario trop facile et réclame des détails. “Je ne serai pas censuré”, répète le presque Premier ministre sur un ton que Wauquiez n’apprécie guère. La conversation terminée, ce dernier confie à ses proches avoir trouvé son interlocuteur arrogant, trop sûr de lui. En début de soirée, Bruno Retailleau appelle Laurent Wauquiez. Et lui raconte : après avoir manqué plusieurs appels de Xavier Bertrand, il a enfin pu échanger avec lui à 18 heures une heure durant et l’a trouvé conciliant, sérieux, défendant le retour des peines planchers ou la réforme des retraites. Le risque de censure ? “Ne t’inquiète pas, j’en fais mon affaire”, rassure-t-il le sénateur de Vendée.

Découvrant ce récit, Laurent Wauquiez n’en revient pas. A Bruno Retailleau, il avoue, en substance : “J’ai dû l’appeler moi-même et il m’a battu froid.” Assister à l’ascension à Matignon de son rival Xavier Bertrand n’est pas chose aisée pour l’ancien chef des Républicains. Mais se voir ainsi coiffé au poteau par un homme qui ne lui montre pas le plus petit égard devient franchement insupportable. De plus, il doute de la non-censurabilité de Bertrand tant le RN et la gauche se déchaînent contre le patron des Hauts-de-France. Et n’entend pas se laisser éclabousser, lui et son groupe parlementaire, par l’échec d’un Premier ministre issu des rangs de la droite. Il faut mettre en garde l’Elysée, et formuler une contre-proposition.

L’appel de Wauquiez à Kohler

Le mercredi 4 septembre, Laurent Wauquiez téléphone au secrétaire général de l’Elysée avec lequel il s’entend bien. Aux yeux de ce dernier, seul compte l’intérêt général. Alexis Kohler voit bien les risques pour l’Etat et le pays engendrés par la censure immédiate d’un nouveau Premier ministre. Il veut en finir avec le désordre, alors il écoute avec attention la mise en garde du chef des députés LR qui lui assure : “Bertrand, ça ne passe pas.” Un constat qui n’est pas pour chagriner celui qui le formule. “Certes, mais je ne vois pas quelle autre solution passe”, rétorque le secrétaire général.

Est-ce au fil de leur conversation que resurgit le nom de Michel Barnier, dont l’absence – a priori – d’ambition présidentielle n’est pas pour déplaire à Wauquiez ? Ni à Emmanuel Macron, lui qui éructe contre ces Premiers ministres qui lui doivent tout et lorgnent déloyalement sur sa place bientôt libre. Oui, l’option Barnier mérite d’être regardée de près. Ce que l’Elysée fera. Des échanges entre le nouveau casté et Alexis Kohler se tiennent. A un cadre LR, Michel Barnier vante en milieu de semaine sa méthode d’auto-promotion, plus discrète que la campagne médiatique de Xavier Bertrand et conclut : “Cela ne serait pas mieux que ce soit moi ?” Déjà, il y a quelques semaines, il prenait pour référence le gouvernement de Raymond Barre composé de personnalités expérimentées et issues d’une nouvelle génération.

Mercredi soir, avant de recevoir Michel Barnier à dîner, Emmanuel Macron interroge Gérard Larcher au sujet de l’ancien commissaire européen. “Ça ne vole pas” avec Bertrand, lui glisse-t-il. Banco.Le vaudeville se conclut le jeudi 5 septembre, avec l’annonce de la nomination de Michel Barnier à Matignon. Le nouveau Premier ministre ne s’y trompe pas. A l’un de ses amis, il confie : “Laurent Wauquiez nous a aidés dans la dernière ligne droite.” Peut-être l’ancien ministre recevra-t-il un mot de remerciement de son “ami” Eric Ciotti. Au printemps, le Niçois envisageait sans déplaisir une série de personnalités LR pour Matignon dans le cadre d’une coalition avec Emmanuel Macron. Parmi elles… Michel Barnier.




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