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“Notre plus grande crainte, c’est qu’on oublie” : en France, l’activisme des proches d’otages israéliens


A chaque nouvelle annonce officielle concernant les otages israéliens détenus par le Hamas, la même angoisse paralyse Julia* : cette fois, son neveu fera-t-il partie de la liste des morts ? Depuis onze mois, cette sexagénaire vit dans l’attente, dépendante du terrible décompte des autorités israéliennes, qui annoncent régulièrement avoir retrouvé les corps sans vie de civils kidnappés lors des attaques terroristes du 7 octobre dernier. Samedi 31 août, six otages ont ainsi été retrouvés morts dans le sud de la bande de Gaza, exécutés “d’une balle dans la nuque”, selon le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. “Depuis deux jours, je suis sous calmant, parce que je n’arrive pas à dormir. On vient de passer 24 heures à attendre de connaître le nom de ces otages, en espérant que notre neveu n’en fasse pas partie”, confie cette Franco-israélienne à L’Express. Terrifiée à l’idée qu’une médiatisation trop importante ne puisse nuire aux conditions de détention du jeune homme, Julia préfère garder l’anonymat, et ne pas communiquer sur le prénom de son neveu. “Notre vie, ce n’est plus que ça. Des doutes, de la culpabilité, des questions sur la manière d’aider, d’agir. En résumé, nous avons tous arrêté de vivre depuis près d’un an”, souffle-t-elle.

Son quotidien a été bouleversé au matin du 7 octobre 2023, lorsqu’elle apprend par sa sœur que son neveu, qui participait au festival Tribe of Nova à la frontière de la bande de Gaza, est porté disparu. Une demi-heure plus tard, la famille accède à une vidéo sur laquelle on distingue le trentenaire, kidnappé par des membres du Hamas. “Le monde s’est écroulé pour nous. On ne pouvait pas imaginer l’ampleur de l’attaque, ni que cette prise d’otage durerait aussi longtemps”, explique Julia. Depuis, la retraitée a arrêté de sortir, de faire du sport, de danser – son activité favorite. “Je n’ai plus le coeur à ça”, lâche-t-elle. A la place, la sexagénaire mobilise toutes les ressources imaginables pour soulager ses proches. Depuis l’Hexagone, elle récolte des fonds pour soutenir la famille de son neveu – dont la plupart des membres ont arrêté de travailler, incapables de se concentrer sur leurs tâches professionnelles -, multiplie les appels téléphoniques avec sa soeur, l’aiguille sur les aides psychologiques et sociales disponibles pour les familles d’otages. Au téléphone, elle a remplacé, depuis des semaines, les habituels “Comment vas-tu ?”, par de plus adaptés “As-tu réussi à dormir ?”.

Jusqu’au mois de novembre dernier, Julia a accepté certaines interviews dans des médias français, rencontré des présidents d’association, des personnalités politiques ou médiatiques, participé à des mobilisations avec d’autres familles d’otages vivant dans l’Hexagone. Las, elle liste le nom de tous ceux à qui elle a demandé de l’aide. “J’ai été contactée par l’ancien ambassadeur de France en Israël, je suis allée voir la Croix-Rouge, Bernard Cazeneuve, Edouard Philippe, Xavier Bertrand… J’ai même rencontré des conseillers de l’Elysée ou des stars comme Natalie Portman. Mais j’ai vite compris que malgré leur soutien, ils ne pouvaient pas faire grand-chose,” murmure-t-elle. En fin d’année, lorsque le Hamas libère finalement plusieurs otages, elle décide de faire profil bas. “On ne sait jamais, peut-être qu’il vaut mieux ne pas faire trop de vagues… En espérant qu’ils le relâchent enfin”, espère Julia.

“Notre plus grande crainte, c’est qu’on oublie”

Comme elle, nombreux sont les proches d’otages français à s’être mobilisé pour tenter de sensibiliser à la disparition de membres de leurs familles. “Parler sur tous les plateaux, ça a été ma manière à moi de m’engager”, fait valoir Olivier, dont le petit-cousin Ofer Kalderon, enlevé le 7 octobre avec ses enfants Erez et Sahar, est toujours détenu par le Hamas. L’homme se souvient encore de la note vocale envoyée par un cousin sur le groupe WhatsApp familial, quelques heures seulement après les attaques. “Il nous a dit qu’il avait une ‘bonne nouvelle’ : il y avait des preuves qu’Ofer et ses enfants avaient été pris en otage, et non pas tués. Ça a été un choc terrible pour la famille, mais on a pu se raccrocher à cet espoir de les retrouver vivants”, se remémore-t-il. Les jours qui suivent cette annonce sont flous, marqués par de terribles nouvelles. “On voyait le nombre de morts augmenter, sans arrêt. Puis nous avons appris que ma cousine Carmela, 80 ans, et sa petite-fille Noya, 12 ans, avaient été tuées dans leur kibboutz. Leurs corps ont été retrouvés totalement brûlés, enlacés l’un à l’autre”, lâche Olivier.

Pour le Français, ces détails, bien que difficiles, doivent être entendus. “Aujourd’hui, il y a des gens qui relativisent ce qui s’est passé, qui minorent, qui oublient. Alors je suis là pour le rappeler, et expliquer les histoires humaines derrière les analyses politiques”, martèle-t-il. Depuis le 7 octobre, il estime avoir été interviewé “au moins 80 fois” par des médias français. Malgré la lassitude, il continue de raconter l’histoire de sa famille sur les plateaux, à la radio, devant l’Assemblée nationale, au Sénat, au Conseil économique social et environnemental (Cese), devant des politiques, des associations, des personnalités de la société civile, et même le pape François. “Notre plus grande crainte, c’est qu’on oublie”, confie son cousin Fabien, également très sollicité par les médias.

Alors que la situation semble plus bloquée que jamais, ce dernier ne se voit pas rentrer chez lui “comme si de rien n’était”. Depuis le 7 octobre, il est de toutes les mobilisations. Lors de la cérémonie du 11-Novembre à Verrières-le-Buisson, commune de l’Essonne où il habite, Fabien n’a ainsi pas hésité à rapporter une photo des otages, brandie comme un étendard. “Une dame que je ne connaissais pas, catholique pratiquante, m’a proposé de m’aider à les porter. C’était très symbolique, ça m’a fait beaucoup de bien”, raconte-t-il. En France, il a également rencontré d’autres familles d’otages, à l’image d’Ayelet Samerano, dont le fils Jonathan a été enlevé par le Hamas lors du festival Tribe of Nova.

Résidant la plupart du temps en Israël, cette mère de famille s’est rendue trois fois à Paris depuis le 7 octobre, afin de raconter l’histoire de son fils et de rencontrer plusieurs personnalités politiques et responsables associatifs. “Ces rencontres ont été pour moi très importantes, elles m’ont apporté beaucoup de réconfort. J’ai eu le sentiment que la France ne nous oubliait pas, et que les Français comprenaient ce que nous avons vécu, notamment par les attaques terroristes qu’ils ont récemment subies sur leur sol”, explique-t-elle à L’Express. Précisément 57 jours après la disparition de son fils, les autorités israéliennes ont retrouvé des vidéos du festival, dans lesquelles on peut apercevoir le corps du jeune homme emmené par des membres du Hamas. “Ils pensent qu’il est mort, mais ils ne peuvent pas le prouver. Alors je continue d’espérer. Il ne faut pas l’oublier”, demande Ayelet.

“Il faut agir”

Pour elle, et pour des centaines d’autres proches d’otages, de nombreuses associations et organisations juives françaises continuent de s’engager, notamment financièrement. Le Fonds social juif unifié (FSJU) a ainsi contribué à hauteur de 100 000 euros au Forum des otages, installé à Tel-Aviv pour soutenir les victimes. “Nous avons également participé à divers programmes d’aides aux familles et financé des bourses d’études pour les étudiants israéliens touchés. Ils ont besoin qu’on les soutienne financièrement, médiatiquement et socialement”, résume Ariel Goldmann, président du FSJU. Chaque vendredi, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) continue également de manifester à Paris pour rendre hommage aux otages. Fabien et Olivier, de leur côté, ont créé l’association Vies brisées – 7 octobre, qui compte désormais “plus de 150 membres” et avec laquelle ils ont réussi à récolter “plusieurs milliers d’euros”.

Dans l’Hexagone, les deux cousins ont bien senti “un réel soutien” de la population et d’une partie de la classe politique lors des premières semaines suivant l’attaque. “Nous avons été reçus par le couple Macron et le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, il y a eu l’hommage aux Invalides, des centaines de messages de soutien”, liste Olivier. Mais depuis, l’homme a également senti monter une vague d’antisémitisme. Il se méfie désormais dans les transports en commun, où il recouvre régulièrement son t-shirt “Bring them home now” [NDLR : Ramenez-les à la maison, maintenant] par une veste. “La haine de Netanyahou s’est transformée en une haine d’Israël, puis en une haine des juifs en général”, regrette-t-il.

Sur les plateaux, il tente d’éviter les questions politiques des chroniqueurs, et se garde de toute analyse sur la situation en Israël, où le chef de l’opposition et certaines familles d’otages ont appelé dimanche 1er septembre à la grève générale, exhortant le gouvernement à parvenir à un accord avec le Hamas pour libérer les derniers captifs. “Je ne suis pas légitime pour donner mon avis là-dessus. Ce que je veux simplement rappeler, c’est que mes proches étaient des civils innocents, qui n’avaient rien demandé à personne”, martèle Olivier. “Surtout, il ne faut pas oublier qu’Ofer est là-bas, quelque part. Il faut agir, avant que le prochain nom sur la liste des morts, ce soit lui”, réclame-t-il.

*Le prénom a été modifié.




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