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Michel Barnier et l’immigration : itinéraire d’un converti aux positions radicales


Les amis expérimentés sont formidables. Surtout lorsqu’ils ont été ministres de l’Immigration et de l’Intégration. Nous sommes en 2021, quelques mois avant le coup d’envoi de la primaire interne des Républicains. Michel Barnier, qui a achevé sa mission européenne de négociateur en chef pour le Brexit, mûrit désormais ses rêves élyséens. Dans ses bureaux de la Commission au Berlaymont, dont il dispose encore pour quelques semaines, il convie l’eurodéputé et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux.

L’heure est à la réflexion globale autour du programme, et à la confection des mesures phares. L’élargissement au régalien surtout, dans un congrès de droite où la demande d’autorité fait figure de priorité. Pour l’Européen, écolo avant l’heure, ancien ministre par quatre fois, de l’Environnement, des Affaires étrangères ou encore de l’Agriculture, les discussions avisées sur l’immigration sont plus que bienvenues. “Il faut restreindre l’accès à la nationalité”, lui conseille le parlementaire européen. L’intéressé écoute, et conclut : “J’ai engagé une réflexion sur les sujets migratoires, et mes propositions seront audacieuses.”

“Il n’avait pas cette image régalienne”

28 juillet 2021. Un mois est passé depuis sa déclaration de candidature, alors que Michel Barnier dévoile, dans les colonnes du Figaro, sa mesure phare. “Il faut un moratoire sur l’immigration”, écrit-il, afin de geler les flux “pendant trois à cinq ans”. Le candidat propose de préserver cette mesure des engagements internationaux, et donc des instances juridiques de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe – il parle de “retrouver [une] souveraineté juridique” – par la mise en place d’un “bouclier constitutionnel”, soumis au référendum. Le RN crie au plagiat, les LR font la moue – la promesse est “difficilement réalisable”. Stupeur, en revanche, dans le microcosme européen. La Commission européenne rappelle alors que la France doit respecter les traités et la prééminence de la Cour européenne de justice. Les eurodéputés, eux, se sentent floués, à l’instar de Nathalie Loiseau : “Comme négociateur européen du Brexit, Michel Barnier défendait bec et ongles la primauté de la Cour de Justice de l’UE et de la CEDH. Ou du moins on l’espère. Comme candidat à une primaire, il renierait ce qu’il a défendu ?”

S’ensuivent des propositions visant à supprimer l’aide médicale d’Etat, l’expulsion systématique des étrangers condamnés à de la prison ferme, la suppression du droit du sol à Mayotte, et l’interdiction du voile dans l’espace public. En politique, “l’audace” présumée n’est pas toujours un gage de réussite. Il s’incline finalement aux portes de la finale. “Il fallait qu’il force un peu le trait, c’était un impératif. Ça n’était pas vraiment son sujet : il est arrivé troisième, s’il n’en avait pas parlé du tout, ça aurait été plus compliqué pour lui”, analyse un LR après coup.

5 septembre 2024, sur le perron de Matignon. Il devient officiellement le cinquième chef de gouvernement d’Emmanuel Macron, au gré de laborieuses tractations. La question turlupine les oreilles attentives : quel Michel Barnier se présente face à son auditoire ? Le LR pur jus aux positions radicales en matières migratoires, ou le fin négociateur du Brexit, capable d’écoute et de consensus ? La tentative d’équilibre penche à tribord lorsqu’il édicte les priorités de son action gouvernementale. “Je pense à l’accès au service public, l’école restera bien la priorité du gouvernement […], je pense à la sécurité au quotidien, je pense aussi à la maîtrise de l’immigration.” Une ministre démissionnaire, présente dans l’assistance lors de la cérémonie de passation entre le nouveau Premier ministre et Gabriel Attal, fronce les sourcils. Et glisse ses inquiétudes à l’épouse du nouveau locataire de Matignon : “J’espère qu’il est conscient qu’il doit traiter tous les groupes, et envoyer rapidement des messages à la gauche, sinon ça ne durera pas autant que les impôts.” Message reçu, assure Isabelle Altmayer.

Mais ces cinq dernières années en France ont appris à Michel Barnier à fleurir son vocabulaire. TF1, le lendemain, première interview. “Il y a toujours le sentiment que les frontières sont des passoires et que les flux migratoires ne sont pas maîtrisés.” Richard Ramos, député Modem, tique : “A mon avis, il est déjà dans une espèce de cohabitation avec Marine Le Pen.” Cette dernière et ses troupes, maîtres du destin du Savoyard depuis que le Nouveau Front populaire a annoncé une censure immédiate de son gouvernement, veulent faire monter les enchères. Et ont préparé un bouquet de mesures, autour – entre autres – de la proportionnelle, la sécurité et l’immigration. “Il est incontestable que Michel Barnier semble avoir, sur l’immigration, le même constat que le nôtre”, se félicite d’ailleurs la patronne des députés RN dans La Tribune Dimanche, et appelle – “pourquoi pas ?” – à mettre en œuvre sa mesure sur le moratoire de l’immigration.

@lexpress

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“Il s’est engouffré dans la fenêtre d’Overton”

Qu’il semble loin, ce 17 novembre 1985, au Forum de la radio RMC. Député RPR de Savoie, Michel Barnier juge “un peu dangereux” que la question de l’immigration devienne le thème central de la campagne électorale de 1988, alors que le Front national monte en flèche. “Ce qui est vrai de l’économie l’est aussi de la société. L’avenir n’est pas aux nations qui se ferment et se recroquevillent.” Mais de discrètes prises de position ne trompent pas quand, dans son livre paru en cette même année – Vive la politique ! -, l’intéressé parle de “certains espaces de relégations” comme de véritables “concessions étrangères”. “De quel droit traiter par le mépris la lassitude ou l’exaspération de ceux qui vivent la cohabitation avec certaines populations étrangères ?”, s’interrogeait-il. Ceux qui le connaissent de longue date et ont travaillé à ses côtés assurent pourtant que l’homme n’a jamais trop été porté par ces thématiques. “Ça n’a jamais été un sujet de préoccupation qui m’a paru majeur dans sa manière de travailler”, argue une ancienne compagnonne de route. Une amie politique, elle, n’a même “jamais échangé sur l’immigration avec lui” ! “Ça n’est pas vraiment l’image que j’ai de cet homme”, poursuit-elle. La droite savoyarde n’est pas celle de la région Paca, question de contexte, argue une députée Les Républicains. “Je pense qu’il s’est engouffré dans la fenêtre d’Overton”, celle ouverte par Eric Ciotti. “Dans les faits, Michel Barnier n’a jamais vraiment eu d’image régalienne”, abonde une huile LR.

Une évolution par l’expérience, analyse, lui, Patrick Stefanini, monsieur immigration de la droite : “Ça n’était pas son domaine de compétence. Mais l’Union européenne, lorsqu’il était commissaire, a connu une crise migratoire sans précédent. Michel Barnier a ensuite négocié le Brexit, dont chacun sait que les phénomènes de l’immigration n’étaient pas pour rien dans la séparation entre le Royaume-Uni et l’UE.” Et de poursuivre : “Il s’est rendu compte que l’interpellation des Britanniques sur ce défi n’était pas un accident conjoncturel.” En 2021, Michel Barnier n’avait de cesse d’affirmer qu’en la matière, “si on ne change rien, il y aura d’autres Brexit”.

En Macronie où l’on peine, depuis 2017, à accoucher d’une doctrine consensuelle sur la thématique de l’immigration, les moins droitiers attendent avec vigilance le discours de politique générale du nouveau Premier ministre. Sans trop d’illusions. “S’il maintient la ligne proposée de 2021, il n’aura aucun soutien de ma part. C’est un LR, il ne vient pas de chez nous, et en l’état, on sait de quoi il est capable : il peut dire des choses très dures qui ne correspondent pas à nos valeurs”, cingle Ludovic Mendes, député Renaissance. “Mais on ne va pas refaire le programme de Barnier, souffle Emilie Bonnivard, élue de Savoie, très proche du nouveau Premier ministre. En revanche, on veut de vrais outils juridiques pour acter une pause sur l’immigration.”

“On regardera si, après avoir couru après le socle dur des Sarkozystes, il fera de même avec le RN”, surenchérit le parlementaire Modem, Richard Ramos, qui s’interroge, avec ses collègues, sur ses positions radicales en termes d’immigration. “Etait-ce par opportunisme, par conviction ?” Ironie d’une trajectoire, Hanane Mansouri, députée fraîchement élue sous la bannière ciottiste était, en 2021, à la tête des “Jeunes avec Barnier”. A l’époque, elle avait trouvé son positionnement anti-immigration sincère. Cette semaine, elle lui a envoyé un message de félicitations. Question de politesse.





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