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Commission européenne : Teresa Ribera, la “négociatrice hors pair” dont les pro-nucléaires se méfient


Critiquer les choix de sa potentielle future patronne n’est pas le meilleur moyen d’assurer son avenir. Sauf peut-être dans le monde si singulier de la politique européenne. En mai dernier, Teresa Ribera tançait “l’attitude de résignation extrêmement pernicieuse” d’Ursula von der Leyen à propos du Pacte vert européen. La ministre espagnole de la Transition écologique craignait que ce dernier, âprement combattu par l’extrême droite, ne soit victime des manœuvres de la présidente de la Commission pour assurer sa reconduction à la tête de l’exécutif européen après les élections prévues en juin.

Aujourd’hui, pourtant, la socialiste de 55 ans est pressentie pour un poste de choix : prendre la tête de la politique environnementale de l’Union européenne avec, semble-t-il, un portefeuille élargi, qui pourrait combiner transition verte et numérique. Et même une vice-présidence, la cerise sur le gâteau espérée par Madrid ? L’affaire doit encore être confirmée par Ursula von der Leyen en milieu de semaine. Ce choix, s’il est avéré, risque de faire grincer quelques dents. “Elle a eu des propos durs contre von der Leyen, mais le collège des commissaires va devoir s’habituer à ce qu’elle dise les choses comme elle les pense. Elle n’a pas ce côté politique de vouloir contenter tout le monde et de se rendre toujours sympathique”, relève Gonzalo Escribano, responsable du programme Energie et climat de l’Institut royal Elcano.

“Une confiance vigilante”

Teresa Ribera porte également une étiquette anti-nucléaire. Ce qui lui vaut le regard méfiant des pays qui misent sur l’atome, comme la France, et de ceux qui se sont déjà frottés à la haute fonctionnaire. “Nous avons un certain nombre de dissensus et nous avons bien ferraillé lors de la réforme du marché de l’électricité”, finalisée fin 2023 sous la présidence espagnole de l’UE, se souvient l’eurodéputé Christophe Grudler (Renew), président de l’intergroupe parlementaire sur le nucléaire.

Sur ce dossier électrique, la France avait obtenu gain de cause dans la dernière ligne droite des négociations, après de vifs échanges avec l’Allemagne : le nucléaire allait pouvoir bénéficier de contrats pour différence (un contrat à long terme signé entre l’Etat et un producteur d’électricité engageant le premier à compenser les pertes du second) au même titre que les énergies renouvelables. L’arbitre Teresa Ribera, pragmatique, avait su clore le débat. “Elle est capable d’arriver à des compromis et de renoncer à des principes dont elle croit qu’ils sont bons pour l’Espagne, parce qu’elle considère que c’est le meilleur résultat possible pour le continent. C’est une européiste convaincue”, décrit Gonzalo Escribano, qui l’a connue avant qu’elle ne se lance dans le bain politique, au sein du gouvernement socialiste de José Luis Zapatero (2008-2011).

Christophe Grudler loue “une personne compétente”, qui apporte une expertise intéressante sur de nombreux sujets – la gestion de l’eau par exemple – et qui pourrait servir pour tous les pays. L’eurodéputé prévient toutefois que le “dogme anti-nucléaire n’a pas sa place à ce poste. Nous lui accorderons une confiance vigilante et regarderons ses réponses devant le Parlement. Et si les actes ne suivent pas, nous monterons au front”.

Comme elle l’a fait pour le marché de l’électricité, Teresa Ribera devra trouver un équilibre entre ses opinions personnelles et la ligne défendue par Bruxelles, qui a opéré un vrai virage sur le sujet. “Elle a des convictions bien ancrées mais n’est pas maximaliste dans ses positions”, affirme l’expert espagnol. Et s’il fallait encore donner des gages aux défenseurs de l’atome, Ursula von der Leyen pourrait nommer, comme c’est pressenti, le Tchèque Josef Síkela à l’Energie. “Ce serait vu comme un geste pour les pays européens qui souhaitent maintenir le nucléaire dans leur mix énergétique”, analyse Coralie Laurencin, directrice principale chez S & P Global, spécialisée sur les politiques énergétique et climatique.

“Négociatrice hors pair”

Avec des Vingt-Sept aux intérêts divers, la poursuite du Green Deal n’aura rien d’un long fleuve tranquille. Notamment sur le volet agricole. L’Espagne n’a pas été épargnée par les tensions qui ont secoué l’Europe en début d’année. Ni Teresa Ribera, vivement critiquée par le secteur. Voyant se dessiner le futur de la ministre à la Commission, le président du syndicat des jeunes agriculteurs espagnols répète à l’envi son souhait de la voir “le plus éloigné possible de l’endroit où elle peut prendre des décisions affectant l’agriculture”.

Pour boucler les dossiers sensibles, la juriste de formation devra déployer ses “talents de négociatrice hors pair”, vantés par plusieurs observateurs. “Elle est opiniâtre et très à l’écoute des positions, surtout sur les enjeux de justice sociale”, loue Sébastien Treyer, son successeur à la tête l’Institut du développement durable et des relations internationales, à Paris, qu’elle a dirigé de 2014 à 2018. Il évoque spontanément son rôle pour limiter la casse chez les mineurs du nord de l’Espagne au moment de la fermeture des centrales à charbon, mais surtout, quelques années plus tôt, son travail essentiel lors des conférences climatiques mondiales pour la reconnaissance de la vulnérabilité des pays du sud.

Car c’est dans les couloirs feutrés et pendant les interminables réunions des COP qu’elle a acquis une grande partie de sa reconnaissance internationale. Au point d’en éclipser son numéro 1. Ainsi, lors de son premier sommet climat, Pedro Sánchez racontait que “tout le monde demandait qui était à côté de Teresa”. C’était pourtant lui, le président du gouvernement, moins en vue que sa loyale ministre, elle qui était déjà, en 2015, une éminente membre de son “conseil des sages” lorsqu’il luttait dans les guerres intestines du Parti socialiste. Conscient de la valeur de Teresa Ribera et de l’image de celle-ci sur la scène climatique, il n’a cessé de la promouvoir depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Jusqu’à l’envoyer en orbite à Bruxelles. “Elle n’est pas une personnalité politique habituelle”, admet Sébastien Treyer. Il faudra au moins cela pour gérer l’agenda climatique d’une Union européenne tout aussi sensible aux pressions externes qu’aux (multiples) tensions internes.




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