Dans le champ public, la confusion des valeurs est pire encore que celle des sentiments. Au moment des campagnes présidentielles, la quête des parrainages tourne souvent au psychodrame : un(e) Le Pen serait-il privé par le système du droit de se présenter ? Cette année, entre les deux tours des élections législatives, tous les partis, au nom du front républicain, se liguent pour écarter les candidats du RN, quitte à absoudre certaines dérives fort peu républicaines de La France insoumise : on ferme les yeux après s’être bouché le nez, ce qui ne facilite pas une meilleure perception de la réalité.
Deux mois plus tard, Emmanuel Macron demande à Marine Le Pen de valider le nom de Michel Barnier. “Le président de la République a tenu compte, en tout cas, des critères posés par le Rassemblement national dans son choix de Premier ministre”, indique à La Tribune dimanche la nouvelle faiseuse de rois. Et le citoyen en reste coi. “Au fond, comme chef de l’Etat, deux choses avaient manqué à Albert Lebrun : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un Etat” : on connaît le mot fameux du général de Gaulle. Pour que Marine Le Pen soit l’arbitre des élégances, encore faudrait-il qu’elle soit arbitre et que l’élégance surplombe les débats.
Comment considérer et donc comment traiter le RN ? Il y a encore quelques mois, Emmanuel Macron, qui avait convié les représentants de tous les partis, et donc Jordan Bardella, aux rencontres de Saint-Denis, indiquait pourtant n’avoir “jamais considéré que [ce parti] s’inscrivait dans l’arc républicain”. Il contestait ainsi l’analyse de son Premier ministre d’alors, Gabriel Attal, selon lequel “l’arc républicain, c’est l’Hémicycle”. Mais c’est à Marine Le Pen que le président demande de valider le choix d’un Premier ministre ?
A la télévision le 23 juillet, après que le RN eut récolté presque 11 millions de voix au premier tour des législatives, le chef de l’Etat s’émeut de l’absence de députés RN au sein du bureau de l’Assemblée, soulignant “qu’il n’y a pas de sous-députés”. Parce qu’ils étaient sous les feux des projecteurs, son propre camp et la gauche ont voulu avoir les mains propres. Mais en 2023, quand il s’est agi de reconduire le bureau dans lequel figuraient des représentants du RN, personne n’a émis la moindre protestation. Notre boussole est cassée. On a perdu l’électeur de bonne foi.
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