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Lucie Castets, les coulisses d’un drôle d’été : sa notoriété soudaine, ses regrets, son futur


Il ne faut pas transiger avec le vélo, même électrique. Renoncer une seule fois pluvieuse à l’enfourcher, c’est abdiquer, se renier, le premier pas vers la défaite. C’est ainsi que Lucie Castets commente, en souriant grand et rouge, ses 3 700 kilomètres pédalés en un an. Avec une fraîcheur désarmante, et un seul téléphone portable silencieux posé sur la table, la toujours candidate du Nouveau Front populaire à Matignon s’expose, sans filtre ni façon, dans un café du XIe arrondissement. Désormais apostrophée dans la rue, elle a noté que, le jour de la rentrée des classes, la maîtresse de maternelle de son fils ne lui avait pas manifesté l’avoir vue tout l’été à la télévision, dont une fois, le 23 août, marchant vers le bureau du président de la République pour lui enjoindre de la nommer chef du gouvernement. “La seule maîtresse de droite de Paris”, suppose-t-elle, yeux clairs plissés de rire.

Naïve et cérébrale, l’énarque entreprend le récit de son été warholien, vortex qui la laisse en ce mois de septembre épuisée, et convaincue que l’histoire n’est pas achevée. “Je me place dans la potentialité d’élections futures”, dit celle à qui certains au NFP font, aussi, miroiter une candidature à la mairie de Paris. En attendant, revenons au 22 juillet, appel d’Olivier Faure, premier secrétaire du PS lui demandant s’il peut “tester” son nom, elle certaine qu’il a une liste de candidats, lui ne la rappelant pas de la journée, elle écrivant des textos à sa bande de copines, avec lesquelles elle part chaque année en Italie. Ne pas oublier de faire les enregistrements pour leur vol le samedi. Espère-t-elle en cette journée lunaire, la dernière avant la folle bascule, que le destin se détourne ? Se dit-elle que s’éloignent pour longtemps les soirées en terrasse avec son épouse, écrivaine et scénariste ayant achevé son deuxième roman, les blagues débitées à la chaîne s’étranglant de rire avant leur chute (une de ses spécialités au point qu’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, en fit le thème de son discours quand il la maria voici deux ans), les recettes qu’elle mitonne, les courses de vitesse en canoë-kayak qu’elle remporte et les séries d’espionnage avalées depuis son canapé ? Réalise-t-elle qu’on ne peut avoir été propulsée dans la folle lumière d’une chaotique saison politique puis revenir à sa carrière de directrice financière de la Ville de Paris, 600 personnes sous ses ordres, bureau 6E.011 ?

Elle assure ne le réaliser que maintenant, cette drôle de semaine où elle n’est pas retournée travailler, tandis que le président de la République charge le septuagénaire LR Michel Barnier de former un gouvernement. Elle a dit au revoir à son équipe par mail, ça la chiffonne. Elle a parfois, furtivement, songé à ce retour en arrière impossible, confiant le 11 août à un proche : “Je ne vais pas pouvoir rester en poste”, elle chasse la nostalgie, la gauche unie compte sur elle, on ne chouine pas devant l’Histoire. Le 23 juillet, son nom est retenu, toutes les huiles du NFP l’appellent, première matinale, un brin mécanique, sur France Inter, tourbillon de sollicitations. Le 27, l’avion s’envolant sans elle, qui ne pourra organiser la séance collective estivale de visionnage du film Gladiator de Ridley Scott. Congés déposés à la Ville de Paris, message courtois d’Anne Hidalgo, et la voici qui se lance, bravache.

Patatras, elle découvre être seule. “Tout le monde a cru qu’il y avait 50 experts prêts à me faire travailler, une armée, mais il n’y a rien eu, le jour d’après les partis ne l’ont pas pensé.” Lâchée en rase campagne. Il lui faut lancer des déplacements, répondre à la presse, creuser un programme un peu mieux ficelé que celui négocié in extremis par les quatre partis du NFP. Or tout le monde s’est carapaté, “fatigués de s’être tapés dessus pendant 15 jours dans une pièce sans fenêtre”, commente-t-elle, indulgente. Elle les appelle un par un, elle s’entend répondre qu’ils sont épuisés, en vacances, loin, et comprend devoir inventer ce job hors-sol : candidater au poste de Premier ministre. La bonne élève ne renonçant jamais, elle active son réseau d’énarques, monte un groupe de spécialistes, Lucas Chancel planchera sur la fiscalité, Michaël Zemmour sur les retraites. Elle avale des notes, elle organise, ordonne, réunions le soir dans son salon, visios tous les jours. Arnaud Bontemps, avec lequel elle a lancé voici trois ans l’association “Nos services publics”, s’improvise bénévolement directeur de cabinet.

Un cadre des Verts se dit alors qu’il lui faudrait un budget de fonctionnement, il envoie un chiffrage, une somme “supérieure”, glisse-t-elle, aux 51 000 euros mensuels révélés par Marianne. La trésorière des Verts affine la copie, avec ventilation des frais par parti et quatre salaires temps pleins. “Nous n’avons pas activé cette option”, dit Lucie Castets, qui n’a pas touché un centime du NFP, bénéficiant de son salaire pendant ses congés, ses billets de train eux lui furent remboursés. Autour d’elle, un noyau d’une dizaine de personnes, ça phosphore, élaborant un projet de gouvernement, sans en référer aux huiles du NFP, qu’elle ne prévient pas de ce qu’elle va dire ou faire. Et qui ne s’en soucient guère, comme si elle n’avait pour mission que d’occuper le terrain estival en attendant le retour aux manettes des professionnels. Quand elle a besoin d’un conseil en communication, elle téléphone à Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande, comme à d’autres. Jamais elle ne se tourne vers les équipes des partis.

Elle consulte, réfléchit, travaille, elle s’entretient avec l’élu MoDem Jean-Paul Mattei, dont elle approuve le projet de taxation des superdividendes, elle parle avec Stéphane Lenormand, patron du groupe Liot à l’Assemblée, avec Charles de Courson encore. “L’accusation de sectarisme à mon endroit est caricaturale, j’aurais monté des accords.” Elle semble croire sincèrement que ces quelques interlocuteurs d’août auraient tenu parole en octobre à l’Assemblée, si elle avait été choisie. Dans la foulée, elle envisage de converser avec tous les anciens Premiers ministres. Dominique de Villepin lui expose ses vues sur le Proche-Orient, elle l’aurait voulu comme son ministre des Affaires étrangères ; Bernard Cazeneuve prend lui aussi le temps, “une conversation élégante, très correcte”, dit-elle. En revanche, le directeur de cabinet de Gabriel Attal décline quand tous les autres l’ignorent. Elle chemine ainsi, solide, appliquée, trimant, bonnement persuadée qu’au NFP “personne n’a intérêt à ce que l’union explose”.

Quand, le 31 août, LFI lance son appel à la destitution du président de la République, l’ayant prévenue pour la forme en amont, elle s’agace, les insoumis passent outre. “On a eu une explication de texte très franche par téléphone avec Manuel Bompard”, précise la trentenaire. L’été file ainsi, sacrificiel, “je n’ai pas grand-chose à perdre, à part peut-être la vie que j’aimais”. Et puis, consolations gratifiantes : “Dans toutes les universités des partis, les militants de gauche ont une forte demande d’union.” Certes, mais leurs chefs ? Raphaël Glucksmann par exemple ? Un ami, “on se parle, il est un peu évanescent”. En effet, celui-ci se prépare à affirmer début octobre son échappée solitaire, loin de la tutelle LFI. Et Anne Hidalgo, son ex-patronne ? “Elle m’a souhaité tout le succès possible.” Lucie Castets comprend-elle seulement les égoïsmes, calculs et fourberies de la politique ? Encartée au Parti socialiste, de 2009 à 2013, elle le quitte, figure en position non éligible sur la liste PS normande de Nicolas Mayer-Rossignol aux élections régionales de 2015. Deux fois, elle décline une investiture – rose, toujours – aux législatives de 2022 et de 2024. La troisième circonscription du Calvados, à Lisieux, lui fut promise, en juin dernier. Deux heures pour donner sa réponse. Merci mais non merci, pas question de griller le collectif “Nos services publics” pour un hypothétique siège au Palais-Bourbon, elle ajoute alors ne se reconnaître dans aucun parti, aux européennes, elle vote Verts.

Quand fin juillet, elle prévient ses parents à Caen que son nom est sorti du chapeau à quatre bosses, son père, médecin psychiatre, lui dit trouver “génial” ce qu’elle fait, mais qu’il aurait “préféré que ce soit fait par quelqu’un d’autre”. Il arrive qu’elle partage cet avis, “ça dépend des jours”. Retour vers l’enfance heureuse, mère psychothérapeute, une éducation tournée vers la liberté et le champ des possibles, “beaucoup de tourments se sont transformés en paix à force d’être digérés”. Ses longues années sur le divan l’ont unifiée, pensée quotidienne pour son analyste qui prit sa retraite l’hiver dernier et ne lui donna aucun signe de vie cet été. Elève à l’ENA, elle fait en 2012 son stage de préfectorale à Montauban, ses parents l’y visitent, ils font un tour au marché, croisent le préfet. Lucie Castets fait les présentations : “Monsieur le préfet, je vous présente mes parents.” Court bavardage poli, dispersion. Sa mère l’interpellant, moquant la présentation formelle, ce “Monsieur le préfet”, ânonné un dimanche matin entre les étals de fruits et de légumes, un peu ridicule, non ? Elle associe, spontanée en diable, ce souvenir à sa rencontre, le 23 août, avec Emmanuel Macron, qui ne l’a nullement impressionné. “Un grand oral de l’ENA”, conclut-elle.

Sans malice, elle estime avoir bien accompli l’exercice, rodée aux concours, cette course de haies si française. Classe préparatoire au lycée Louis-Le-Grand, la voici en 2005 à Sciences Po, bûcheuse et bonne camarade, partageant notes et polycopiés avec ses camarades qui eux militent déjà comme des fous. On la sait de gauche, sans plus, féministe, sans plus. C’est l’époque des manifs contre le Contrat première embauche, voulu par Villepin Premier ministre, et l’école bout. Marie Toussaint, cheffe des écolos de Sciences Po, harangue les étudiants, tandis que Manon Aubry, présidente de l’Unef, où milite Gabriel Attal, électrise les amphis. Elle se tient à l’écart. Concours de l’ENA réussi du premier coup, elle y retrouve son cousin Armel, fils d’enseignants lyonnais, deux ans plus âgé qu’elle. Toujours aucun engagement politique manifeste, on la sait de gauche, classiquement. Elle sort classée 20e, pas dans “la botte”, celle des quinze premiers qui choisissent l’un des trois grands corps de métier de la fonction publique. Son frère Simon, de trois ans son aîné, assure qu’elle n’en a conçu aucun agacement, ces camarades de promo se souviennent d’elle, “noire, amère”, demeurant figée rue de l’Observatoire, assistant à la présentation des postes proposés aux meilleurs. Une meurtrissure, la première. Tous s’accordent sur son souci de l’intérêt général et louent son enthousiasme à rejoindre la haute fonction publique et le Trésor. “Elle aime les chiffres, ils font tourner le monde, ils sont à l’appui de ses convictions”, explique Simon Castets. Elle assure avoir refusé un poste dans le cabinet d’Arnaud Montebourg, puis, par deux fois, un autre dans le cabinet de Michel Sapin. Les deux anciens ministres ont tiqué en lisant ces lignes reprises dans sa fiche Wikipédia, ils ont chacun appelé leur directeur de cabinet de l’époque, et personne ne se souvient avoir jamais songé à recruter cette jeune énarque.

Chez Tracfin, elle bosse bien, très bien, “une personnalité forte, dynamique, ambitieuse” la loue un de ses anciens directeurs, précisant toutefois que la nature de ses fonctions ne lui donnait pas accès au contenu des dossiers de lutte contre le blanchiment. 2019, elle démissionne soudain, supportant mal qu’une mission interne ait été vendue à un cabinet d’audit privé. Et puis elle ne peut envisager de travailler sous les ordres d’une de ses anciennes camarades de l’ENA, qui devient sa cheffe, une ancienne du cabinet Darmanin, sortie elle dans la botte. Recrutée en 2020 au cabinet d’Anne Hidalgo, elle s’y déploie, se voit nommée trois ans plus tard première femme à la direction des affaires financières.

Puis vint l’été 2024, le vertige, la campagne solitaire, et un jour de septembre, sous la pluie, Michel Barnier nommé Premier ministre. Elle a demandé sa mise en disponibilité, les formalités ne sont pas encore réglées. Des détails de sa démission – l’entourage de la maire de Paris lui a ouvert grand la porte -, elle ne souhaite pas parler. Il lui fut suggéré de demander sa réintégration à Bercy, au Trésor, ce serait une bonne planque, elle y serait rémunérée et elle n’aurait rien à faire, trop exposée politiquement. La proposition l’indigne, elle envisage chercher du travail dans l’associatif, une grosse ONG lui plairait. Oxfam par exemple. Seulement le poste de directrice générale y est occupé par Cécile Duflot. Satanée politique.




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