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De Catherine II de Russie à Kamala Harris : ces femmes qui ont le pouvoir, par Fréderic Encel

Du 19 au 22 septembre se tiendra le tout premier colloque géopolitique consacré en France aux femmes, en l’espèce aux 9e Rencontres annuelles géopolitiques de Trouville-sur-Mer, fondées et animées par l’auteur de ces lignes*. En quoi les femmes peuvent-elles constituer un “sujet” dans cette jeune discipline ? A deux titres au moins. D’abord, en termes de place, de rôle et d’attitude face aux pouvoirs politique, diplomatique, économique voire militaire. Dans les temps contemporains, l’Israélienne Golda Meir, l’Indienne Indira Gandhi, la britannique Margaret Thatcher ou encore l’Allemande Angela Merkel ont eu à opérer, au plus haut niveau étatique de responsabilité, des choix considérables et parfois existentiels. Ont-elles exercé le pouvoir différemment que ne l’auraient fait des hommes ? Rien n’est moins sûr ; les panélistes du colloque apporteront leurs approches et nuances respectives. Surtout, est-ce si nouveau ? En d’autres temps et sous des latitudes géographiques et culturelles fort diverses, de Néfertiti à Catherine de Russie en passant par des reines mérovingiennes, la Pucelle d’Orléans et bien d’autres fortes personnalités, des femmes ont joué des rôles primordiaux en termes géopolitiques.

Ensuite et surtout, hélas, parler des femmes et du pouvoir, c’est évoquer celui et ceux qu’elles subissent, et en tant que telles. Les ignobles régimes afghan et iranien actuels nous le rappellent quotidiennement, mais, là encore, comment expliquer ce fléau misogyne et son exceptionnelle longévité ? L’une des réponses se trouve sans doute dans la représentation masculine du corps féminin. Dans nombre d’Etats, cette représentation (concept fondamental créé par Yves Lacoste, maître de la géopolitique contemporaine) du corps de la femme demeure archaïque et mène à sa répression, son enfermement, son remodelage, selon des canons imposés par un virilisme souvent issu du religieux. En terre d’islam surtout ? Aujourd’hui oui, mais gardons bien à l’esprit ce que les exégètes de Saint-Paul trouvaient déjà dans le bâtisseur de l’Eglise, au IVe siècle, à savoir une forme de misogynie virulente fondée sur une interprétation spécieuse du mythe du péché originel, laquelle légende monothéiste fera florès. Aujourd’hui, les islamistes font systématiquement référence à cela pour stigmatiser le corps de la femme, l’essentialisant à la fois comme réceptacle des œuvres maléfiques de Satan et pourvoyeur du péché, son outil de domination. Rien d’exclusivement monothéiste non plus, puisque dans des Etats et des sociétés hindouistes, bouddhistes, animistes et autres, le corps de la femme est là encore souvent soumis à fantasmes mortifères, et les viols – peu sanctionnés – y sont légion.

Or, au-delà des croyances mystiques ou théologiques, le but du patriarcat phallocratique, en contrôlant strictement le corps de la femme ainsi que sa destinée (matrimoniale notamment), est de contrôler pour partie les naissances et les progénitures, interdire le partage des pouvoirs et des richesses (quand une fille hérite moitié moins que son frère, voire rien du tout) et, le cas échéant, retourner facilement (lâchement ?) contre la moitié de la population ses propres échecs, faiblesses, égarements en matière institutionnelle, économique et/ou militaire.

Des représentations – c’est-à-dire des perceptions identitaires et collectives s’inscrivant sur des “temps longs” (Fernand Braudel) –, une instrumentalisation religieuse au profit du politique, un contrôle des ressources et de la descendance… ; on est bien là dans un schéma géopolitique. Voilà pour l’observation. Mais jamais l’éthique ne doit s’éclipser sous prétexte de rigueur académique et la défense constante, assidue et universelle du droit inaliénable des femmes à l’égalité dans le respect et les libertés ne doit faiblir, urbi et orbi. Car comme l’écrivait Leo Strauss, “si toutes les coutumes se valent, alors le cannibalisme n’est qu’une affaire de goût”. Si les mutilations génitales (non imputables à l’islam puisqu’on les retrouve souvent en zones ouest-africaines et éthiopiennes chrétiennes, pas du tout dans le Golfe arabo-persique) sont acceptables sous d’autres cieux mais pas en Occident, c’est-à-dire pour certaines femmes mais pas d’autres, l’universalité s’effondre au profit de l’expression d’un authentique racisme, peut-être le plus pervers, celui du relativisme. Et l’on n’oubliera pas qu’en France, un féminicide a lieu tous les trois jours…

* “Les femmes et le pouvoir”, du 19 au 22 septembre 2024, salon des gouverneurs du Casino Barrière. Programme sur le site de la mairie. Entrée libre.

Les Rencontres géopolitiques de Trouville auront lieu du 19 au 22 septembre 2024.




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