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Emmanuel Macron, tenir jusqu’en 2027 : sa stratégie, le spectre d’une démission, ses ambitions


“Maintenant, il faut que tu acceptes de souffrir un peu” : conseil d’ami directement adressé à l’intéressé. Souffrir pour Emmanuel Macron, c’est accepter de ne plus être tout à fait Emmanuel Macron, c’est savoir s’effacer, vraiment. Souffrir pour ne pas mourir, souffrir pour tenir. Dans les derniers jours d’août, l’Elysée s’était plongé dans les archives : quel président de la République avait nommé un Premier ministre en direct à la télévision ? Le 5 septembre, Michel Barnier arrive à Matignon et Emmanuel Macron, contrairement à ce qui avait été annoncé, reste coi. Pas d’allocution, juste un communiqué de quelques lignes. Le président disparaît, il veut signifier que les temps changent, le président disparaît, est-ce pour lui le seul moyen d’aller jusqu’en 2027, après sept ans d’usure maximale ?

Ce n’est pas uniquement un pari politique avec un Parlement émietté, c’est un pari social, sociétal dans un pays plus éruptif que jamais. Le nouveau monde de 2017 a pris un sacré coup de vieux, le dernier défi du chef de l’Etat ne s’appelle plus le dépassement, mais la coalition et le compromis. Michel Barnier, par son parcours et sa méthode, doit en être l’incarnation. “Est-ce que ce pays est dégagiste ou est-ce qu’il veut l’apaisement ? Je ne crois pas que quand on meurt aux urgences, quand il n’y a plus de classes sociales ascendantes donc optimistes, sauf dans les quartiers, on veut l’apaisement” : Jean-Luc Mélenchon, par son analyse et son attitude, illustre la stratégie radicalement inverse. La bataille pour l’Elysée, c’est maintenant, pas demain.

Se protéger, est-ce s’effacer ? Qu’Emmanuel Macron ait pu songer à la société civile (Thierry Beaudet) laisse songeur. L’échec d’un technicien est celui de son créateur. Un politique échoue seul, comme un soldat tombe à la guerre. Tant de ballons d’essai ou de négociations avortées n’ont pas été vains. Emmanuel Macron s’est résolu à nommer Michel Barnier. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Il a davantage choisi l’ancien Commissaire européen que le candidat malheureux à la primaire LR pour l’élection présidentielle de 2022. Un intime d’Emmanuel Macron s’étonne toujours de ce curieux chef de l’Etat, incapable “d’envisager une réalité qui ne dépende pas de lui”. Le choix Barnier illustre cette psychologie. Celle d’un président hostile à toute cohabitation, tant les orientations idéologiques des deux hommes sont jumelles. Celle d’un homme posant un regard paternaliste sur l’Assemblée, s’assurant que “l’heureux élu” ne sera pas censuré une fois monté à la tribune de l’hémicycle. Rester au cœur du réacteur, quitte à s’exposer. L’influence peut avoir la forme d’un nœud coulant.

Emmanuel Macron, “le fusible”

Le président s’est assigné l’obligation de choisir un Premier ministre “non censurable” par l’Assemblée nationale. Cette règle, inscrite nulle part dans la Constitution, sert son intérêt politique. Mais l’oblige pour l’avenir, et lui lie les mains. Ainsi le chef de l’Etat se retrouve responsable du chaos, à la merci de censures virtuelles prononcées sur les chaînes d’information en continu. BFMTV, nouveau juge de paix institutionnel. Dans l’ex-majorité, certains le pressent de responsabiliser le Parlement pour détourner le viseur. Si les députés censurent un Premier ministre, qu’ils l’expliquent aux Français ! Dernier écueil : en cherchant un Premier ministre tolérable pour le Rassemblement national, le président subit un procès en collusion avec l’extrême droite.

Se défausser sur l’Assemblée, pour éviter les balles. L’analyse a la force de l’évidence. Elle n’est qu’une traduction imparfaite du piège dans lequel se trouve Emmanuel Macron. Comme la dissolution est son œuvre, l’instabilité gouvernementale lui sera par essence reprochée. Une Assemblée sans majorité ne suffit pas à faire perdre à la France sa culture présidentielle. Ici, aucune culture des chutes de gouvernements successifs. Tout remonte au chef, la césure entre Elysée et Parlement n’existe pas. Un cercle vicieux se dessine : plus le président met du temps à trouver la perle rare pour Matignon, plus il dramatise la censure. Si celle-ci survient, il en est la première victime, au moment même – suprême paradoxe – où il affiche sa volonté de respecter l’article 20 de la Constitution, autrement dit de laisser le gouvernement gouverner. Opposant farouche au chef de l’Etat, Bruno Retailleau résume l’insoluble équation présidentielle. “S’il lui arrivait de nommer un Premier ministre qui serait immédiatement censuré, Emmanuel Macron serait le fusible.” Quand Michel Barnier prononcera sa déclaration de politique générale, il n’engagera pas que son simple avenir personnel. La Ve marche sur la tête, CQFD.

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🇫🇷 Avec Michel Barnier Premier ministre, c’est maintenant le Rassemblement national qui se trouve en position d’arbitre. On vous explique ⤵️ politique france news newsattiktok barnier

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Et les esprits, forcément, s’affolent. Le premier s’aventure sur le psychologique, moins par choix que par nécessité, le second fait de la politique jusqu’au bout des ongles, moins par nécessité que par réflexe. Edouard Philippe met la charrue avant les bœufs et ce n’est pourtant pas le genre de la maison. Il se lance dans une guerre de mouvement. 2027 n’existe pas dans l’interview du Point, dans laquelle il annonce sa candidature : il n’est question que de “la prochaine élection présidentielle”. Comme beaucoup d’autres, comme tout le monde, il n’a pas vu arriver la dissolution. Le dimanche 9 juin, il tombe de l’armoire. Mais puisque Emmanuel Macron s’est mis sur le terrain de l’irrationnel, son ancien Premier ministre est obligé de ranger ses affaires de classe. Il ne sera pas surpris une seconde fois. Il avait un agenda qui lui ressemble, séquencement précis du temps et de l’espace, tour méthodique des sous-préfectures, théorisation de la lenteur. Souvent Gérald Darmanin le pressait d’accélérer, le maire du Havre estimait qu’il fallait ménager sa monture et que la présidentielle était aussi une course d’endurance. Patatras. Quand son parti Horizons réunit son bureau politique deux jours après le second tour des législatives, tout a changé. Edouard Philippe comprend – non, cela échappe à son entendement, il constate plutôt – que le président a choisi la fuite en avant et que celle-ci risque de l’entraîner loin, très loin… Emmanuel Macron a créé une machine qui peut le broyer.

C’est là que la psychologie intervient, mais la politique est juste derrière le rideau. Double message : il existe une vraie possibilité que ce mandat présidentiel n’aille pas à son terme ; seule la première dissolution est gratuite, la seconde peut être fatale au président. L’incertitude sur le sort de Michel Barnier à Matignon ne fait que confirmer l’impression : “Personne ne mettrait un gros billet sur une présidentielle qui se tienne en 2027”, disent les amis d’Edouard Philippe. Celui-ci n’a pas décidé d’être candidat à l’Elysée cet été. Depuis son départ de Matignon, l’idée chemine en lui et lorsqu’il annonce la création de son mouvement, le 9 octobre 2021 au Havre, le chemin devient autoroute. Il sait où il veut aller. Ce qu’il a décidé cet été, avant même de partir en vacances, c’est de ne pas tourner autour du pot. Il ignore à ce moment que son annonce tombera en pleines négociations autour de Matignon. Le pied de nez à l’actualité ne lui déplaît pas.

Destitution, démission : et si, et si…

La guerre de mouvement est aussi son dada, surtout si le président est dans une guerre de position. Le 4 juillet, trois jours avant le second tour, Jean-Luc Mélenchon prend les devants. Au 20 heures de TF1, il lance : “S’il n’y a pas de majorité, la solution pour sortir de l’impasse, c’est que lui [NDLR : Emmanuel Macron] s’en aille. C’est normal, c’est lui qui est responsable de la pagaille.” A cet instant, il n’a pas encore en tête le processus de destitution. Il cherchera les moyens plus tard, pour l’heure, il en est à donner des coups de butoir. Pour le leader insoumis, “chaque jour qui passe, il y a la Constitution qui en prend plein la gueule”. Depuis 2005 et le référendum sur la constitution européenne qui a vu un “non” sorti des urnes devenir un “oui” voulu par Nicolas Sarkozy, le système se décompose. Toute manœuvre permettant d’enfoncer le clou est bonne à prendre.

Parce qu’il l’a à peine croisé, parce que la psychologie d’Emmanuel Macron lui est forcément plus étrangère – “Je n’ai jamais percé le secret de son comportement, qui oscille entre sentiment de toute-puissance et séduction qui l’amène à dire ce que l’autre veut entendre” – Jean-Luc Mélenchon se situera seulement, mais complètement, sur le terrain politique. Le responsable de la situation d’aujourd’hui se trouve à l’Elysée ? C’est à la porte de l’Elysée qu’il tape. Emmanuel Macron s’est mis dans la seringue, l’important est de l’y maintenir.

Des discussions entre certains parlementaires LFI, de la nouvelle situation que crée une majorité NFP au bureau de l’Assemblée nationale, surgit alors l’idée d’invoquer l’article 68. Puisque le référendum révocatoire n’existe que dans le programme de Jean-Luc Mélenchon et pas dans la Constitution, alors va pour la procédure de destitution. Bien sûr, elle n’ira pas à son terme, mais peu importe, l’important est d’installer la fin de règne. Le spectre de la démission. Ça et la dissolution… Mélenchon y croit dur comme fer depuis la dernière élection présidentielle et les législatives qui l’ont suivie, il y a deux ans déjà. Alors, il s’est toujours tenu prêt. Et quand on lui parle de 2027, il balaie d’un revers de main parce que c’est loin, parce qu’il aura 76 ans. C’est beaucoup. Presque trop. La dernière campagne l’a éreinté, même s’il adore ça. Il faut aller vite. Il aime les campagnes éclair. Sa machine insoumise n’a besoin que d’un mot d’ordre. Confidence de l’époque : “C’est un bonheur absolu quand l’idée devient une force matérielle et j’avance, gentiment.”

Destitution, démission, et si, et si… Au PS aussi, on planche sur l’idée d’un départ anticipé d’Emmanuel Macron. Ils y croient, parce qu’ils l’espèrent, ainsi va l’adage socialiste. Surtout ne pas aller au gouvernement, pour préparer demain. Olivier Faure craignait qu’un Cazeneuve à Matignon, ce soit l’assurance de faire imploser le Nouveau Front populaire. Les écologistes ne veulent pas, les nsoumis encore moins. Le premier secrétaire du PS y voit un mauvais coup du président, qui n’a pas forcément vraiment eu l’intention de nommer Cazeneuve, pour mieux diviser la coalition de gauche. “On nous demande de faire péter l’union pour quelqu’un qui ne sera jamais à Matignon”, maugrée une huile du PS. Cazeneuve à Matignon, c’était surtout l’assurance de l’avoir comme candidat à l’élection présidentielle, mais Faure espère lui aussi être candidat en 2027. Alors pourquoi pas plus tôt ? “Si Macron part demain, il n’y aura pas d’union de la gauche, pas de primaires… Il faudra donc un candidat du PS”, lui a dit un de ses amis au moment de la dissolution. Des plans sur la comète que les amis d’Olivier Faure narrent parfois à François Hollande, convaincus que les jours du chef de l’Etat sont comptés et qu’il fera tout pour empêcher la vieille maison rose de se remettre d’aplomb. L’ancien président leur réplique : “Arrêtez de croire que Macron ne pense qu’à vous torturer, il ne cherche qu’à durer jusqu’en 2027.” L’un doit tenir, l’autre a besoin de temps. Laurent Wauquiez, patron officieux d’une droite en décomposition, n’a guère intérêt à une accélération du calendrier. Une stature de présidentiable ne se construit pas en six mois. Voilà donc l’ex-patron de région prêt à soutenir Michel Barnier et lui envoyer quelques soldats au gouvernement.

Emmanuel Macron n’a nulle intention de démissionner, Jean-Luc Mélenchon comme Edouard Philippe en sont parfaitement conscients. Le premier guette même les nominations au Conseil constitutionnel du premier trimestre 2025, redoutant un coup de Trafalgar alors que le président ne peut pas se présenter à un troisième mandat consécutif. Ce n’est pas un coup de blues qu’ils espèrent ou anticipent, mais un blocage institutionnel complet. Les deux hommes ne sont pas seuls dans cette communauté d’intérêts. Pour Marine Le Pen et Gabriel Attal aussi 2027, c’est loin. Le second ne veut pas se laisser dépasser par le Havrais, il veut aller vite, lorgne sur le parti Renaissance. Les partis, machines à campagne. Quant à Le Pen, elle ne sait pas vraiment ce qu’il adviendra de son jeune champion Jordan Bardella. On jure de sa fidélité mais sa popularité décolle, quitte à prendre le large ? Il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir, disait François Mitterrand.





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