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Guerre en Ukraine : les missiles iraniens peuvent-ils changer le cours du conflit ?

Au bourdonnement singulier des drones iraniens retentissant régulièrement au-dessus des villes ukrainiennes depuis plus de deux ans, pourrait bientôt s’ajouter le bruit bien plus assourdissant des missiles balistiques produits par Téhéran. Quatre jours après la fuite de l’information dans la presse anglo-saxonne, Washington et ses alliés ont confirmé le 10 septembre que l’Iran avait livré des missiles Fath-360 à la Russie pour l’appuyer dans sa guerre contre l’Ukraine. A ce jour, plus de 200 systèmes de ce type auraient été acheminés début septembre via la mer Caspienne.

Missile balistique à courte portée, le Fath-360 peut frapper à une distance de 120 kilomètres et atteindre une vitesse de plus de 4 900 km/h à l’impact. Grâce à sa charge de 150 kg d’explosifs, il est capable de détruire un large panel de cibles. “Les caractéristiques du Fath-360 sont relativement similaires à celles du Himars américain ou du Tornado-S russe, détaille Farzin Nadimi, chercheur au Washington Institute et spécialiste des questions de défense iranienne. Le véhicule qui lui sert de lanceur peut transporter jusqu’à six missiles et les tirer à raison d’un toutes les dix secondes.” De quoi accroître un peu plus la puissance de feu de Moscou, à l’heure où ses troupes poursuivent leurs offensives dans l’est de l’Ukraine, au prix de lourdes pertes.

Surtout, cette livraison permet de regarnir un arsenal russe mis à rude épreuve par plus de deux ans de guerre et une utilisation extensive de ses drones, missiles et bombes planantes pour frapper le territoire ukrainien. Dans un rapport publié fin août, le commandant en chef des armées ukrainiennes, Oleksandr Syrsky, révélait que la Russie avait utilisé pas moins de 9627 missiles et 13 997 drones depuis le début de la guerre, en février 2022. “Ces missiles iraniens n’ont pas réellement de capacités supplémentaires par rapport à ceux dont disposent déjà les Russes, mais ils constitueront une masse additionnelle intéressante pour eux, note Fabian Hinz, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) et spécialiste en armement. Il est probable que les Russes les ont achetés parce qu’ils n’ont pas les capacités de production suffisantes pour couvrir tous leurs besoins.” En décembre dernier, la Corée du Nord avait déjà fourni quelques dizaines de missiles balistiques Hwasong-11 à Moscou pour soutenir son effort de guerre.

Craintes pour les civils ukrainiens

Quelques mois plus tard, en avril, les services de renseignement ukrainiens avaient estimé que la Russie était en mesure de produire chaque mois une quarantaine de missiles balistiques Iskander, auxquels s’ajoutent une quarantaine de missiles de croisière Kh-101, et quelques dizaines de systèmes multirôles Kalibr et hypersoniques Kinzhal. Au-delà de l’aspect quantitatif, l’arrivée des missiles iraniens pourrait aider l’armée russe à optimiser l’emploi de ses propres engins. “Les missiles Iskander ont la capacité de frapper en profondeur, mais les Russes s’en servent parfois contre des objectifs relativement proches du front, relève Fabian Hinz de l’IISS. S’ils disposaient demain de nombreux missiles iraniens à courte portée, cela pourrait leur permettre de réserver leurs propres systèmes à des cibles situées plus en profondeur.” Et donc d’accroître la menace sur les arrières ukrainiens.

Ces nouvelles armes font craindre une intensification de la campagne de terreur contre les civils. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a ainsi déclaré le 10 septembre s’attendre à ce que ces missiles soient probablement utilisés “dans les semaines à venir en Ukraine contre les Ukrainiens”. Forts de leur portée de 120 kilomètres, ils pourraient atteindre de nombreuses villes situées dans le nord et l’est de l’Ukraine, comme Soumy et Kharkiv, la deuxième plus grande du pays, ou encore Kramatorsk et Pokrovsk, deux bastions dans la région de Donetsk. Le bilan du mois de septembre a d’ores et déjà été particulièrement sanglant. Le 3, une frappe contre un institut militaire et un hôpital à Poltava, dans le centre de l’Ukraine, tuait 58 personnes et en blessait plus de 300 autres, tandis qu’une deuxième le lendemain à Lviv, dans l’Ouest, faisait sept morts et une trentaine de blessés.

Des sauveteurs ukrainiens dans les décombres de l’institut de communication militaire de Poltava, deux jours après une frappe de missiles russes, le 5 septembre 2024 en Ukraine

A l’approche de l’automne et de la baisse des températures, l’inquiétude porte aussi sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes, alors que près de 60 % de la production d’électricité a été détruite. “L’un des dangers est que la livraison de ces missiles ouvre la voie à l’achat par la Russie de leurs’grands frères’iraniens, comme le BM-300, le Zoheir et le Zolfaghar, qui ont respectivement une portée de 300, 500 et 700 kilomètres, pointe Farzin Nadimi, du Washington Institute. Ils pourraient alors constituer une sérieuse menace pour les infrastructures ukrainiennes.”

Manque de défenses antiaériennes

Dans un premier temps, l’utilisation des Fath-360 sur le champ de bataille pourrait compliquer la protection du ciel ukrainien – alors que les forces de Kiev alertent depuis des mois sur leur manque de défenses antiaériennes. Lors du dernier sommet du groupe de contact pour la défense de l’Ukraine à Ramstein le 6 septembre, Volodymyr Zelensky avait insisté sur le nombre “important” de systèmes de défense antiaérienne “qui n’ont pas encore été livrés” en dépit des annonces. “Les systèmes d’interception sont souvent plus coûteux que les missiles envoyés par l’adversaire, et il peut être difficile d’avoir suffisamment de moyens de défense, souligne Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). La livraison de ces missiles iraniens ne peut qu’aggraver le problème auquel sont confrontés les Ukrainiens et pourrait les contraindre à faire des choix difficiles sur les menaces qu’ils décideront, ou pas, d’intercepter en priorité.”

La situation risque d’autant plus de se compliquer que le taux d’interception des missiles balistiques par Kiev est bien plus faible que celui des drones – dont le Shahed-136 iranien massivement utilisé par Moscou. D’après des données partagées fin août par l’état-major ukrainien, 63 % des drones lancés par les forces russes depuis le début du conflit auraient ainsi été détruits en vol, contre seulement 4,5 % des missiles balistiques. Un argument de poids en faveur de l’utilisation des missiles iraniens. Selon les estimations, Téhéran détiendrait actuellement l’arsenal le plus fourni du Moyen-Orient, avec plus de 3 000 engins à son actif. “Les Iraniens ont agrandi plusieurs sites de production de missiles ces dernières années, relève Fabian Hinz. Ils seraient donc potentiellement en capacité d’en fournir un grand nombre si les Russes en font la demande.” En juillet, des images satellites ont révélé des élargissements majeurs de deux installations iraniennes liées aux systèmes balistiques, sur la base militaire de Modarres et le site de production de missiles de Khojir, non loin de Téhéran.

Face à cette nouvelle menace, Washington et ses alliés ont annoncé le 10 septembre des sanctions contre six entreprises iraniennes impliquées dans la production de drones et missiles balistiques, ainsi que des sanctions économiques contre la compagnie aérienne Iran Air. De son côté, Kiev espère surtout une levée des restrictions l’empêchant d’utiliser les missiles à longue portée occidentaux contre des cibles militaires situées en profondeur sur le sol russe, et utilisées comme bases pour lancer des raids aériens contre l’Ukraine. La livraison des Fath-360 iraniens pourrait-elle inciter les Occidentaux, divisés sur la question, à changer de ligne ? Interrogé le 10 septembre, Joe Biden a indiqué “y travailler”.





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