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Michel Barnier : et si c’était lui qui sauvait la Ve République ? Par Emmanuelle Mignon


Evidemment, on a très envie d’y croire. Un peu par désir de pouvoir passer à autre chose. Un peu par conscience que la situation idéale n’existe jamais et que la politique consiste à essayer de construire dans le cadre des contraintes existantes. Un peu aussi, et même sans doute beaucoup, parce que les réussites passées de l’impétrant, dans des configurations qui semblaient inextricables, sont impressionnantes. Pour Emmanuel Macron, le choix de Michel Barnier à Matignon n’était pas seulement le meilleur : il constitue une solution inespérée. L’homme est un as des compromis ; il sait faire des deals ; au temps des débauchages et des ambitions personnelles, il est resté loyal à sa famille politique ; son expérience et son parcours inspirent la considération, ses succès la crainte ; il est trop policé pour s’être fait de vrais ennemis ; sa fibre européenne et son engagement pour l’environnement sont incontestables.

En bon Savoyard qui se respecte, il est également vraisemblable qu’il n’a pas le vertige. En tout cas, c’est ce qu’on lui souhaite. Car la liste des défis qu’il doit relever est impressionnante : ne pas se faire censurer, ne pas être l’otage de l’extrême droite, ne pas être sous la coupe du président, faire du neuf avec une liste impressionnante de ministres qui veulent se maintenir et une configuration de l’Assemblée qui ne lui laisse guère d’autre solution que de continuer le “en même temps”, passer le budget sans compromettre le financement des investissements militaires ni encourir les foudres de Bruxelles, encore moins le ras-le-bol des marchés, reprendre en main le dossier calédonien et répondre un peu aux attentes des Français pour éviter un trop grand désordre social. Il doit tenir neuf mois. Au vu de ses victoires passées, il est vraisemblable qu’il y arrive. Nul doute notamment qu’il saura parler à l’Union européenne et à nos partenaires germaniques pour les convaincre du sérieux de la trajectoire budgétaire.

Le principal risque est qu’il ne fasse pas grand-chose. Quelques fausses économies, un peu de pression fiscale sur les plus riches – qui de toute façon s’y attendent – et un énorme baratin feront croire à Bruxelles et aux marchés que les finances publiques se redressent. C’est ce que la France pratique depuis quarante ans, avec la complicité coupable de toutes les institutions censées l’empêcher : pourquoi changer ? Il ne pourra rien faire pour le pouvoir d’achat car les caisses sont vides et que le redressement économique national – seule solution réelle pour recréer de la richesse – est une affaire d’au moins une décennie. Pour donner des gages à l’extrême droite, il devra en théorie faire quelques avancées sur les sujets régaliens. Mais il n’est même pas certain qu’il ait besoin d’en faire beaucoup : sa principale chance est que, tout en évitant la politique de gauche qu’aurait impliquée une solution de type Castets ou Cazeneuve, Marine Le Pen a intérêt à laisser pourrir la situation pour ramasser la mise à la prochaine présidentielle.

La France continuera donc à s’enfoncer dans le déclin. Elle n’est en mesure de relever aucun des vrais défis qui sont les siens et qui ont pour nom la désindustrialisation, la paupérisation, l’insuffisance de travail et d’investissement, la dérive des finances publiques et le dysfonctionnement des services publics. Une autre solution politique eût consisté, pour les partis de l’axe républicain, à se mettre autour de la table (ils représentent 301 voix si l’on compte les socialistes, et même 339 avec les écologistes et 356 avec les communistes) pour s’accorder sur les cinq ou six réformes douloureuses dont le pays a impérativement besoin, chaque parti prenant sa part du coût politique corrélatif. Les riches veulent bien payer plus d’impôts, mais il faut que les services publics fonctionnent et que la dérive des finances publiques s’arrête. Pour que ce suicide collectif, mais salutaire, se produise, il eût fallu un immense courage de la classe politique, le même que celui qui fit défaut, en leur temps, aux élites de la IIIe et de la IVe Républiques pour éviter les désastres qui les emportèrent. Avec toutes les qualités qu’on lui prête, Michel Barnier pourrait-il être celui qui réussit l’exploit d’élever ses collègues à la hauteur des enjeux de la France dans le monde d’aujourd’hui et d’empêcher la Ve de mourir elle aussi de la médiocrité de ses dirigeants ? Evidemment, on a très envie d’y croire.

*Emmanuelle Mignon est avocate et vice-présidente des Républicains (LR).




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