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Procès Google : le deal qui a bouleversé le monde de la pub

Un moment de grâce dans l’histoire d’Internet. Le 13 novembre 2014, pendant deux heures, de nombreux internautes ont pu naviguer sur un web sans publicité. DoubleClick était “down”, comme disent les professionnels de la tech. Hors service en somme. L’anecdote pose l’importance de ce service que le grand public découvrait alors, sans savoir qu’il était propriété de Google, depuis mars 2008. La compagnie, déjà très puissante dans le search, l’avait acquis pour 3,1 milliards de dollars, face à la concurrence féroce de Microsoft et de Yahoo!.

Fondu dans une nouvelle entité, Google Marketing Platform, Doubleclick revient aujourd’hui sur le devant de la scène via le procès intenté par le département de la justice américaine (DoJ), qui a débuté lundi 9 septembre. Celui-ci vise à déterminer si Google a abusé de sa position dominante pour contrôler l’immense marché de la publicité en ligne, culminant à 630 milliards de dollars. Sa plainte, rendue publique pour la première fois en janvier 2023, dépeint DoubleClick comme “une première étape dans la marche de Google vers le monopole”.

Le rôle de cette entreprise permet en effet de mieux comprendre comment la firme de Mountain View, en Californie, a mis la main sur la plus grosse part du gâteau – plus de 220 milliards de chiffre d’affaires chaque année. Formant la base de son empire, qui se décline aussi, à présent, dans l’intelligence artificielle, la cybersécurité ou bien la domotique, dans un plus vaste groupe appelé Alphabet.

Précieux serveur publicitaire

DoubleClick n’est pas la toute première brique de Google dans la publicité. En 2000, l’entreprise lance avec succès AdWords (depuis renommé Google Ads), permettant l’affichage de petites publicités à chaque recherche d’un utilisateur sur Google, suggérées en fonction des mots-clés utilisés. L’acquisition du service vidéo YouTube, en 2006, a aussi contribué à faire de Google un acteur incontournable du secteur. Surtout du côté de l’achat d’espace publicitaire et de l’intermédiation technique. L’outil Analytics, né au milieu des années 2000, permet quant à lui d’étudier les retombées des campagnes publicitaires des annonceurs sur ses propres sites, et au-delà.

Le marché de la publicité en ligne, que Google domine dans chacun des secteurs.

Mais la publicité dite programmatique, omniprésente sur le web, se compare à du trading à haute fréquence. Pas moins de 150 000 publicités sont vendues chaque seconde. La grande complexité du système vient donc de la mise en relation (extrêmement) rapide entre les sites, les éditeurs de contenus – les vendeurs – et les annonceurs – les acheteurs, donc. C’est ici que Google fait coup double. DoubleClick vient à l’époque de lancer un échange publicitaire. Un tuyau “essentiel et coûteux” commente Alban Peltier, à la tête de la start-up publicitaire AntVoice. Là où les enchères sont conclues de façon automatisée. Ce qui lui confère désormais un rôle central. Et DoubleClick possède, en plus, un serveur publicitaire. Un précieux “logiciel de gestion d’inventaire qui garde la trace du nombre d’espaces publicitaires qu’un éditeur a à vendre”, décrit la chercheuse américaine Dina Srinivasan dans son article intitulé “Pourquoi Google domine le marché publicitaire”, publié en 2019. Le meilleur de sa catégorie. “Fondé en 1996, coté au Nasdaq – il était le premier serveur publicitaire au monde et détenait environ 57 % du marché aux États-Unis. Une longue liste d’éditeurs de presse, dont Sports Illustrated, AOL Online et le Wall Street Journal, ont utilisé DoubleClick pour faire migrer leurs activités de l’imprimé vers le numérique et pour automatiser le processus de ciblage et de vente d’annonces publicitaires”, poursuit Dina Srinivasan.

DoubleClick inévitable

Ces informations cruciales sur l’audience présentes sur les sites les plus consultés par les internautes, couplées à celles que Google collectait déjà via son propre moteur de recherche et ses différents services, ont vite rendu DoubleClick inévitable. Son nouveau propriétaire l’a vite compris.

“En 2009, Google a commencé à restreindre la capacité des éditeurs et des annonceurs à accéder à leurs données DoubleClick et à réserver à ses propres divisions commerciales un avantage essentiel en matière d’information”, raconte encore Dina Srinivasan. De quoi décupler ses profits. Mais aussi de quoi lui attirer certains ennuis aujourd’hui. Dans la seule activité liée au serveur publicitaire, DoubleClick recueille 90 % de parts de marché. Et environ 50 % sur le lieu d’enchère. Trop, aux yeux de la justice américaine. “Google opère simultanément comme vendeur et acheteur, et gère une plateforme d’enchères”, dénonce-t-elle. “Au tribunal, nous montrerons que les acheteurs et les vendeurs d’annonces ont de nombreuses options, et lorsqu’ils choisissent Google, ils le font parce que notre technologie publicitaire est simple, abordable et efficace. En bref, ça marche”, lui répond la compagnie. Problème, un de ses employés a lui-même admis, dans un mail extrait par l’accusation, l’extrême domination de Google dans la pub : “L’analogie serait que Goldman Sachs ou Citibank possédait le NYSE [NDLR : la Bourse de New York]”. Une comparaison lourde de sens que le DoJ compte bien retourner contre la firme.




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