Sans rien minimiser de la performance personnelle de Kamala Harris en débat face à Trump le 10 septembre, il était parfois difficile de ne pas voir apparaître, comme dans un songe, la figure tutélaire de Barack Obama derrière la candidate. Sur la forme et sur le fond, celle-ci s’inscrit en effet – sans le dire – dans la continuité de l’ancien président (2008-2016). Sur la forme, elle se révèle presque aussi éloquente que lui ; affiche le même calme et un grand sourire ; manifeste la même force tranquille ; parle parfois sur le même rythme que son illustre prédécesseur. Sur le fond, la démocrate opte pour une stratégie de campagne identique à celle de la présidentielle 2008 : l’unité plutôt que la division, la réconciliation de l’Amérique plutôt que la discorde ; la Liberté, la joie et l’espoir (“Hope”, scandaient autrefois les affiches d’Obama) plutôt que la peur de l’avenir. Avec un message subliminal : “Yes, she can !”
On l’a vu sur lors de la convention à Chicago, mi-août : Barack Obama reste une puissante force au sein le Parti démocrate. “En coulisses, il exerce une influence majeure mais très discrète en s’appuyant notamment sur “les deux David”, ses anciens stratèges David Plouffe et David Axelrod”, explique, depuis New York, le journaliste et auteur Chris Whipple, fin connaisseur des cercles du pouvoir. “Un jour, ajoute-t-il, l’histoire révélera que lui et ses deux fidèles, les David, ainsi que l’ex-présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, ont été déterminants pour convaincre Joe Biden de renoncer à se représenter à un nouveau mandat.”
Aujourd’hui, Barack Obama est plus proche que jamais de Kamala Harris. Et si l’ancien président a tardé à lui apporter son soutien fin juillet (il fut l’un des derniers démocrates à le faire), il ne faut pas s’y fier. “C’était tactique, assure, depuis Charlottesville, l’analyste Larry Sabato de l’université de Virginie. Il ne fallait pas que Trump puisse dire que Harris est une créature d’Obama.” En réalité, l’ancien président, présent mais invisible, lui prodigue constamment des conseils. Aussi la “Team Harris” est-elle truffée d’anciens de l’équipe Obama.
Parmi eux : le stratège David Plouffe, donc, qui fut l’artisan des victoires de 2008 et 2012 ; Stephanie Cutter et Jennifer Palmieri, deux anciennes de la Maison-Blanche ; Eric Holder, l’ancien ministre de la Justice, et bien d’autres. Barack Obama a aussi donné son avis sur le choix du colistier démocrate, le gouverneur du Minnesota Tim Walz. Kamala Harris n’a qu’à s’en féliciter. Car si, à l’heure de l’inventaire, Obama fait l’objet de critiques pour sa politique internationale – notamment à cause de son indétermination au début de la guerre en Syrie –, il en va autrement sur la scène intérieure où il demeure un tacticien incontesté et pour “Kamala”, un atout majeur.
Entre eux deux, l’histoire est ancienne. En 2004, celle qui est alors procureure de San Francisco organise une soirée de levée de fonds dans sa ville pour le jeune Barack Obama. Elu au sénat de l’Illinois depuis 1997, celui-ci se présente alors au poste de sénateur des Etats-Unis. Obama l’emporte et n’oubliera jamais ce soutien précoce. En 2007, Harris est aussi l’une des rares au sein du Parti démocrate à lui apporter son soutien dans la primaire qui l’oppose à Hillary Clinton, qui a l’avantage d’être l’ex-First Lady et la sénatrice de l’Etat de New York. Et Obama devient président.
@lexpress @kamalaharris avait tout à perdre dans ce premier débat face à Donald Trump : elle n’a rien perdu. L’analyse de notre journaliste. harris trump sinformersurtiktok apprendreavectiktok usa
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Entre elle et lui, les affinités sont nombreuses
En 2010, voici que c’est Harris qui fait campagne. La magistrate se présente au poste de procureure générale de Californie, l’équivalent de ministre de la Justice. “Une Obama au féminin”, écrivent alors certains médias locaux. Le président, lui, la juge “super intelligente” et, lorsqu’elle se rend à Washington, lui ouvre les bras et les portes de la Maison-Blanche. Entre elle et lui, les affinités sont nombreuses : tous les deux sont des métis avec des parents nés à différents endroits du monde (en Afrique et au Kansas pour lui ; en Inde, en Jamaïque, pour elle). Et tous deux se sont imposés dans des univers professionnels majoritairement blancs. “Ils se sont trouvés dès le départ et ont développé au fil des ans une amitié très forte”, a expliqué dans une interview Valerie Jarrett, une proche amie des Obama qui fut conseillère du président.
En 2013, ce dernier se retrouve au cœur d’une polémique lorsqu’il fait publiquement l’éloge de la beauté de “Kamala” lors d’un événement en Californie. “Tout d’abord, il faut dire qu’elle est brillante, bosseuse et coriace, ce qui est exactement ce que l’on attend de la part d’un représentant de la loi”, déclare-t-il devant l’auditoire. Avant d’ajouter : “Il se trouve aussi qu’elle est, de loin, la plus belle procureure générale des Etats-Unis.” Léger malaise dans la salle. Mais Harris viendra à sa rescousse pour expliquer qu’il n’y avait nulle ambiguïté dans ces propos ; simplement “les paroles d’un ami cherchant à complimenter une amie”.
L’année suivante, le nom de Harris circule à la Maison-Blanche pour remplacer le ministre de la Justice Eric Holder. Mais l’intéressée estime qu’elle n’en a pas encore fini avec sa tâche de ministre de la Justice de Californie. Lorsqu’elle devient vice-présidente six ans plus tard et subit le feu roulant des critiques en raison de ses débuts ratés, Obama et Harris maintiennent le contact. Ils se parlent au téléphone et déjeunent épisodiquement ensemble. L’ancien président procure des conseils avisés à sa protégée. Et, le 21 juillet dernier, lorsque Biden renonce à se représenter, Barack Obama est l’une des premières personnes jointes au téléphone par la candidate.
On l’a vu : à la convention du Parti démocrate, en août, les Obama ont signé leur grand come-back, avec des prises de paroles éclatantes. “Michelle a prononcé le meilleur discours de sa vie et le meilleur discours de la convention, suivie de près par Barack et, troisième ex aequo, par Hillary Clinton et Kamala Harris”, estime la politologue Barbara Perry qui suit les campagnes américaines depuis des décennies. “Les Obama sont incontestablement les meilleurs orateurs et rhétoriciens de la vie publique américaine. Leur soutien vaut donc de l’or”, ajoute cette autrice de nombreux livres sur les Kennedy. De fait, l’ancien couple présidentiel, comme les Clinton naguère, occupe désormais la première place au panthéon du Parti démocrate, délivrant des oracles à tous ceux qui les consultent.
Depuis leur départ de la Maison-Blanche voilà presque huit ans, Michelle et Obama se sont pourtant tenus à l’écart de la vie publique. Sous la présidence Trump, le couple a d’abord profité d’une retraite bien méritée mais active, avec la création d’une bibliothèque et d’une fondation présidentielles, à Chicago. Ils ont aussi partagé leur temps entre leur villa de Martha’s Vineyard, la célèbre île du Massachusetts, des croisières en Océanie et en Europe ou encore des dîners chez leurs amis Bruce et Patti Springsteen. “Ils se sont occupés de leurs enfants et ont fait de l’argent”, résume Barbara Perry.
Michelle a monté une société de production, Higher Ground Production, en partenariat avec Netflix, qui multiplie les projets de films, séries et documentaires. Barack, lui, a publié le premier tome de ses mémoires, Une terre promise (Le livre de poche), vendu a près de 5 millions d’exemplaires, ce qui lui a permis d’engranger au moins 65 millions de dollars (le chiffre exact n’est pas connu). Le second tome est prévu. Avec son autobiographie Devenir (Fayard), Michelle, elle, a battu tous les records d’édition à l’échelle planétaire avec 10 millions d’exemplaires vendus. Pendant ce temps, leurs filles Sacha et Malia, 23 et 26 ans, ont rejoint le monde de la production cinématographique. L’aînée travaille déjà comme scénariste et a réalisé un court-métrage tandis que sa petite sœur, récemment arrivée à Hollywood, a jusqu’ici travaillé sur avec l’équipe de casting d’une série documentaire appelée Couple therapy (thérapie de couple). Leur mère leur a vivement déconseillé de faire de la politique.
Une blessure jamais cicatrisée
Cet apparent désintérêt des Obama pour la chose politique pendant presque huit ans a une autre raison. “Entre Joe Biden et Barack Obama, les relations ont été compliquées, raconte Chris Whipple, auteur de plusieurs livres sur la Maison-Blanche ou sur les patrons de la CIA. Joe a longtemps ressenti une amertume profonde du fait qu’en 2016, Barack et ses conseillers lui ont préféré Hillary Clinton comme candidat à la présidentielle. La blessure n’a jamais cicatrisé, insiste-t-il. Les deux David – Plouffe et Axelrod, conseillers d’Obama – considéraient que Joe Biden n’avait pas l’étoffe d’un président. Ce dernier n’a jamais digéré ce manque de respect.”
Ensuite, Barack Obama et son équipe n’ont pas apprécié que son ex-vice-président répète sur tous les tons que, sous son actuel mandat, un plus grand nombre de lois et de réformes historiques avaient été passées. Sous-entendu : Biden est un plus grand président qu’Obama. “Le fait est, estime Chris Whipple, que Biden a affronté un plus grand nombre de défis : la crise du Covid, la récession, le retrait d’Afghanistan, l’invasion de l’Ukraine par Poutine, la guerre à Gaza.” Bien entendu, Obama ne voit pas les choses ainsi. Quoi qu’il en soit, Joe et Barack conservent l’un pour l’autre une certaine estime. “Le premier n’a pas oublié que le second l’a pris sous son aile, allant jusqu’à lui proposer de financer les soins médicaux de son fils aîné Beau Biden (décédé en 2015) lorsque celui-ci était mourant”, raconte encore Whipple.
A ces histoires de familles s’ajoutent les tensions entre Michelle Obama et le clan Biden. Elles remontent à l’époque du divorce compliqué de Hunter Biden, le fils cadet, avec Kathleen Buhle, qui est une amie de Michelle. Alors que son frère Beau mourait d’un cancer, Hunter, tombé dans la drogue, trompait son épouse avec des prostituées mais aussi, après le décès, avec la veuve de son propre frère Beau Biden ! Peu encline à pardonner ces mœurs dissolues, Michelle n’a pas apprécié non plus la manière dont la très dysfonctionnelle famille Biden a traité son amie Kathleen à l’époque. Résultat ? En 2020, elle a refusé de faire campagne pour Joe Biden.
La page Biden étant aujourd’hui tournée, ou presque, les Obama sont de retour. “Ils sont à fond derrière Kamala Harris, assure lui aussi Jacob Heilbrunn qui dirige la revue The National Interest, à Washington. “Barack fera certainement campagne sur le terrain pour elle comme il l’a fait pour Biden, prédit-il, notamment dans des endroits clefs comme la Pennsylvanie ou la Géorgie.” C’est que pour Barack Obama comme pour Joe Biden, le succès de Kamala Harris est une affaire personnelle.
Si Harris devient présidente…
“La postérité de Biden dépend du résultat de la présidentielle de novembre, reprend Chris Whipple. Car si Harris perd, il lui sera reproché de n’avoir pas abdiqué assez tôt pour permettre au Parti démocrate d’organiser des primaires permettant de sélectionner un autre candidat. Si au contraire, elle l’emporte, Biden restera comme l’un des plus grands présidents américains, celui qui a sauvé la démocratie face à Trump en 2020 et 2024, unifié l’Occident pour sauver l’Ukraine de l’agression russe et multiplié les réformes aux Etats-Unis.”
Barack Obama joue lui aussi sa place dans l’Histoire. Ainsi, poursuit-il, la présidence Harris pourrait ressembler à une sorte de présidence Obama bis.” Par effet de contraste, l’ère Donald Trump apparaîtrait alors comme une anomalie dans une trajectoire politique linéaire revenue à la normale grâce à la coalition qui avait porté Obama au pouvoir : celle des minorités, des travailleurs et des élites. Bref, l’avènement de Kamala Harris pourrait donc marquer le retour de Barack Obama au premier plan. Avec, pour lui, un nouveau rôle : celui du sage prodiguant ses conseils à la première femme noire de l’Histoire à avoir accédé à la Maison-Blanche. Sacré tandem.
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