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“Les Enchanteurs” : quand James Ellroy nous épuise avec ses obsessions


On le sait par avance. Ceux qui aiment absolument James Ellroy aimeront absolument son dernier livre Les Enchanteurs (Rivages). Ils emploieront les adjectifs habituels pour le qualifier : jubilatoire, transgressif, hors norme. Ils en adoreront le héros malsain, Freddy Otash, ex-flic corrompu, ex-journaliste à ragots, reconverti en enquêteur privé, déjà croisé dans Extorsion et Panique générale. Ils se délecteront de voir des stars de la politique et du cinéma tomber de leur piédestal. Ils applaudiront des deux mains la grossièreté du vocabulaire, le style télégraphique, l’absence de politiquement correct. D’autres, dont nous sommes, oseront, sur la pointe des pieds, dire leur lassitude après la lecture d’un texte épuisant dans sa forme et gratuit sur le fond tant il tourne au jeu de massacre pour des personnalités déjà égratignées mille fois par la littérature et le cinéma.

Nous n’avons pourtant pas toujours été insensible aux charmes de celui qui s’autoqualifie de “chien fou” de la littérature américaine. Nous avions aimé ses débuts avec Lune sanglante et le Dahlia noir, nous l’avons suivi longtemps sur ses chemins sombres jalonnés de stupre et de corruption. On se régalait d’une nouvelle lecture de l’histoire des Etats-Unis, on en appréciait la violence mâtinée d’humour noir. Sous sa plume, Los Angeles poissait loin des clichés de starlettes sur papier glacé et on adorait ça. Mais les décennies ont passé et l’œuvre a perdu de son brillant et de son originalité.

Son projet ? Montrer “le vrai visage” des personnages connus

Les 650 pages des Enchanteurs ne sont qu’une énième variation sur les mêmes obsessions. Que le présent ne soit pas le truc de James Ellroy, qu’il déteste la modernité, les téléphones, les ordinateurs, après tout, c’est son droit, mais est-il vraiment nécessaire de nous infliger à n’en plus finir le roman de l’Amérique des années 1940 au début des seventies ? Ce livre-ci démarre en 1962. Marilyn vient d’être retrouvée morte, les Kennedy font tout pour dissimuler leurs frasques et les studios hollywoodiens sont plus que jamais des lieux infréquentables. L’écrivain, jamais à l’abri d’un penchant mégalomaniaque, a depuis longtemps abandonné le titre de “maître du roman noir” pour se revendiquer chroniqueur historico-politique de son pays. Mais à force de dézinguer les mythes américains, d’en fouiller les bas-fonds, à force de détester tout, tout le monde, les années 1960, Marilyn, les politiciens véreux…, ne reste plus que l’impression d’un auteur tournant en rond.

Tout à son projet de montrer le “vrai visage” de personnalités connues, James Ellroy semble en oublier le lecteur de l’autre côté de la page. L’intrigue est foisonnante, elle part dans tous les sens, un deuxième fil, puis un troisième qu’on a du mal à suivre. Hier, on aimait le côté ambitieux de ses fresques romanesques, désormais le mot qui surgit est foutraque. Hier, on aimait son humour frôlant le burlesque, désormais il tourne à la grossière farce qui n’amuse plus que lui. Quant à son écriture syncopée, frénétique, adoptée depuis le Quatuor de Los Angeles, pensée comme une musique, elle est devenue si sautillante qu’elle finit par épuiser. Hier imaginée pour donner du rythme, elle résonne comme un automatisme.

A 76 ans, auteur de 23 romans, James Ellroy semble se reposer sur sa réputation. En France, il l’a acquise très tôt et durablement. Est-ce le style de ses premiers livres, en rupture totale avec la production hexagonale, qui a transformé ses lecteurs en fans inconditionnels ? Son passé de drogué, de délinquant ayant fait de la prison, son personnage de cinglé mais pas fou, totalement mégalo mais vivant simplement ? Sa capacité à échapper aux cases (il aime l’ordre mais ne met en scène que des flics corrompus), ses penchants réactionnaires doublés d’élans transgressifs ? Un peu tout ça, sans doute. Alors qu’il dérange aux Etats-Unis où ses livres se vendent surtout en poche, ici il aligne les succès. Avec le Dahlia noir bien sûr, son coup de maître, mais aussi avec de plus récents, comme Perfidia sorti en 2015 avec ses 73 000 exemplaires en grand format, et ses 64 000 en poche, selon Edistat.

S’il est une chose que l’on peut reconnaître à James Ellroy, c’est sa fidélité. A ses lecteurs francophones auxquels il rend visite à chaque sortie d’ouvrage. A sa maison d’édition en France, Rivages, qu’il n’a jamais quittée. A son éditeur, François Guérif, à qui Les Enchanteurs sont dédiés. Dommage que sa constance s’étende aussi à ses obsessions, ses rages et ses paranoïas. En littérature, la fidélité n’est pas nécessairement une qualité.

Les Enchanteurs, par James Ellroy. Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides et Séverine Weiss, Rivages, 672 P., 26 €




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