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“Comment devenir milliardaire” : Xavier Niel, un grand patron qui ne fout plus le bordel


Ce jour de mai 2004, il fait la une de l’actualité. Xavier Niel, patron d’Iliad et créateur du fournisseur d’accès à Internet Free, est mis en examen puis écroué pour “abus de biens sociaux” et “proxénétisme aggravé”, annonce d’un ton grave Claire Chazal, en ouverture du journal télévisé de TF1. Seul sur la scène de l’Olympia, l’entrepreneur-star diffuse lui-même l’archive. “C’est un petit peu gênant, non ?”, lance-t-il à la salle, comble et hilare. Niel, roi de l’autodérision, donnait mercredi 18 septembre l’unique représentation d’un show intitulé “Comment devenir milliardaire”. Son premier conseil : “Allez en prison”.

Il ne fallait pas moins d’audace pour accompagner un livre à paraître la semaine prochaine, Une sacrée envie de foutre le bordel (Flammarion), à la couverture tape-à-l’œil : couleur orange, ou plutôt Orange, le meilleur ennemi de Free. A l’intérieur, les mémoires du boss sous forme d’entretien cash avec son ami Jean-Louis Missika, ancien administrateur d’Iliad et ex-adjoint à la mairie de Paris. Le spectacle, dont le titre moquait le bullshit en vogue sur LinkedIn, s’est concentré sur l’ascension fulgurante de Niel qui l’a – réellement – rendu milliardaire.

En particulier, son entrée fracassante sur le marché des fournisseurs d’accès Internet puis de la téléphonie mobile, qu’il dynamitera tour à tour par l’innovation – les fameuses “box” – et le cassage des prix – son forfait à 2 euros. Rendant ses rivaux fous. “On vous a rendu des milliards d’euros de pouvoir d’achat”, a-t-il de nouveau clamé hier, suscitant les clameurs de ses fans.

Easter egg

Le héros du soir n’a pas boudé son plaisir. Quelques shots d’humour : déguisements, lecture de tweets l’insultant, faux reportage Brut sur sa passion pour les catacombes, parodie de ses débuts dans le minitel rose, qui lui ont valu un petit tour à la prison de la Santé… Entrecoupés de confidences plus ou moins profondes. “Free a changé l’image qu’on a de moi” ; “Je n’ai pas fait d’études” ; “Montez votre boîte !” ; “N’ayez pas peur de l’échec, je suis le plus gros loser du monde”. Rendant soudainement le “Comment devenir milliardaire” un peu plus sérieux. Le “bordel” promis s’estompe doucement. “J’ai remercié Renaud Van Ruymbeke [NDLR : le juge qui l’a condamné, aujourd’hui disparu], glisse-t-il en guise de regrets de ses années folles. Mordez la ligne jaune, mais ne la dépassez jamais”. Bref, n’allez pas en prison. Dans le public, le ministre démissionnaire des Armées Sébastien Lecornu. Le journaliste David Pujadas. Le fondateur de Veepee Jacques-Antoine Granjon. Quelques artistes et influenceurs comme Lena Situations. Le “Tout-Paris”, dans ce qu’il a de moins subversif.

Car Xavier Niel, depuis ses déboires et son ascension à l’américaine, s’est rangé. Neuvième fortune de France selon le magazine Challenges et compagnon de Delphine Arnault, la fille de Bernard, grand patron de LVMH, il a résidé dans la très chic Villa Montmorency, repère des ultra-riches, dans le XVIe arrondissement, avant de racheter récemment l’hôtel particulier Lambert, un joyau du XVIIe siècle. C’est un ami du président Macron. Le bailleur de fonds de nombreux titres de presse, dont Le Monde. Avec Orange, devenu un partenaire technique, la hache de guerre est enterrée. Le milliardaire place ses jetons, en bon investisseur, dans des start-up d’intelligence artificielle à laquelle il croit dur comme fer. Ou finance des écoles gratuites d’un nouveau genre, tels 42 dans l’informatique ou Hectar dans l’agriculture. Le Robin des Bois de l’Internet, qui avait mis fin au “cartel” des télécoms, a remisé ses flèches.

Pas un mot sur les sujets du moment, comme cette information selon laquelle Pavel Durov, le fondateur de la sulfureuse messagerie Telegram, a cherché à joindre Xavier Niel le soir de son arrestation sur le tarmac du Bourget. Ou l’arrivée surprise du Français au conseil d’administration de ByteDance, la maison-mère chinoise du très critiqué TikTok. Des braises sous le feu Niel, qui a sagement préféré s’en tenir aux blagues potaches et aux références geek. Avant d’inviter la chanteuse Nâdiya sur scène pour interpréter son tube “Et c’est parti”, sorti en 2004… quelques jours après son entrée en prison. Un clap de fin en forme de clin d’œil. Chez les fans de jeux vidéos, on appelle ça un easter egg.




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