La spectaculaire opération cybernétique qui a frappé, via des bipeurs et talkies-walkies, de nombreux combattants du Hezbollah représente la plus grande attaque jamais menée contre cette milice chiite. Mais elle est aussi remarquable dans les réactions qu’elle a provoquées au sein des populations du Proche-Orient. En dehors du sud du Liban, territoire sous l’influence du bras armé de l’Iran, beaucoup se sont moqués ou ont exprimé leur satisfaction de voir le Parti de Dieu à ce point humilié.

Depuis le 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza, après chaque opération d’Israël contre le Hamas, des vidéos de civils tués ou blessés sont massivement relayées, et les habitants des pays voisins d’Israël expriment leur colère comme leur solidarité avec les Gazaouis. Les discours d’Abou Obaïda, porte-parole masqué du Hamas, sont diffusés lors des manifestations contre l’Etat hébreu, notamment en Jordanie. Mais si le Hamas, groupe terroriste sunnite, a réussi à se présenter comme un mouvement de résistance contre l’occupation israélienne, la propagande du Hezbollah ne semble, elle, plus fonctionner dans la région.

L’attaque d’un poulailler

Le 11 octobre 2023, quatre jours après le début de la guerre, le chef de la milice, Hassan Nasrallah, confirmait son soutien militaire au Hamas, en insistant sur la capacité armée du Hezbollah : “Pour la première fois dans l’histoire de la résistance au Liban, nous utilisons des drones d’attaque, ainsi qu’un nouveau type de missiles.” Il expliquait alors que l’un de ces missiles, nommé Volcan, transporte une tête explosive de 300 kg. Près d’un an plus tard, les chiffres des pertes dans les deux camps prouvent que la menace réelle comme la capacité de dissuasion du Hezbollah se situent loin de ces promesses.

Entre octobre 2023 et juillet 2024, 60 000 civils israéliens ont été contraints de quitter leurs foyers dans le nord du pays, et 33 personnes, dont 10 civils, ont été tuées dans les attaques du Hezbollah. Alors qu’au Liban, plus de 90 000 personnes ont dû quitter leurs maisons, et environ 100 civils ainsi que 366 combattants du Hezbollah ont été éliminés dans les frappes israéliennes. Le 30 juillet, à la suite du massacre de Majdal Chams où le Hezbollah a tué 12 enfants, Israël a liquidé Fouad Choukri, un haut responsable de milice chiite. Cette dernière a alors menacé Israël d’une attaque massive pour venger cette mort. Vingt-six jours plus tard, le 25 août, il a visé l’unité de renseignement 8200 avec 340 missiles. La majorité a été interceptée par le Dôme de fer israélien. L’opération n’a causé que des dégâts mineurs à quelques bâtiments en Israël, notamment un poulailler, ce qui a déclenché une vague de moqueries sur les réseaux sociaux arabes. Certains ont même dépeint Nasrallah en propriétaire d’un KFC.

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“Ca doit être rapide, avant 2030”

Après l’attaque des bipeurs, Al Arabiya, chaîne saoudienne opposée à la politique du Hezbollah et suivie par 16 millions de personnes sur YouTube, 31 millions sur Facebook et 10 millions sur TikTok, a publié en 24 heures 42 vidéos sur le sujet. L’une d’elles est intitulée : “Une source haut placée au sein du Hezbollah affirme que Hassan Nasrallah n’a pas été blessé dans l’attaque des bipeurs”. La majorité des commentaires déplore que le chef de la milice n’ait pas été touché ou expriment le souhait qu’il soit éliminé lors d’une prochaine attaque. Sur une autre vidéo intitulée “Le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, confirme qu’il s’attend à des représailles majeure du Hezbollah contre Israël”, tous les commentaires se moquent de cette réaction. Abu Abdo Al Saddour a écrit : “La patience et la sagesse sont une preuve de force. Mais ça doit être rapide, avant 2030.” Nassif Noffal a quant à lui commenté : “Comme d’habitude, la réaction du Hezbollah consiste à tuer dix poules et casser 50 œufs”.

Même chose pour Sky News Arabia, suivie par 5 millions sur YouTube et 24 millions sur Facebook. La chaîne des Emirats arabes unis (EAU) a publié une déclaration du ministre de la Santé libanais : “Certains blessés ont été transférés en Syrie et d’autres en Iran, mais la majorité reste au Liban. La plupart des interventions chirurgicales ont concerné les yeux, les membres et les mains.” Certains expriment leur solidarité avec les civils, mais pas avec le Hezbollah : “Ils ont participé à l’extermination du peuple syrien, ils méritent pire que cela”, écrit Mohammad Eid.

Al Jazeera, la chaîne qatarienne soutenant le Hamas et le Hezbollah, suivie par 18 millions de personnes sur YouTube, 24 millions sur Facebook et 5 millions sur TikTok, a couvert l’événement avec 16 vidéos dans les 24 heures suivant l’attaque. L’une des plus vues est intitulée : “Le ministre libanais de la Santé : Le nombre de blessés graves a atteint environ 300.” Sur Facebook, 92 personnes ont commenté ; 18 estiment que le Hezbollah l’a bien cherché, tandis que les autres expriment leur solidarité avec les victimes civiles, avec le Hezbollah, ou considèrent l’attaque comme un complot américain contre le Liban. Sur TikTok, la chaîne a publié une autre vidéo vue par un million de personnes : «”Des centaines de blessés dans l’explosion des bipeurs du Hezbollah”. Cette vidéo a reçu 1 939 commentaires. La moitié exprime son admiration pour la force de frappe israélienne, sa joie suite à l’attaque, ou sa tristesse en raison du nombre insuffisant de terroristes touchés.

La particularité syrienne

De nombreuses réactions condamnant le Hezbollah sont publiées par des Syriens. Ce n’est pas le manque de succès de la milice dans sa bataille actuelle contre Israël qui motive leur opposition à ce mouvement, mais son intervention militaire aux côtés de Bachar al-Assad pour mener une répression massive contre la révolution syrienne. Nasrallah avait déclaré en 2012 que sa milice accomplissait son “devoir djihadiste” en Syrie. À partir de 2013, le Hezbollah a bombardé, aux côtés du Corps des gardiens de la révolution islamique iranienne, plusieurs plusieurs villes majoritairement sunnites, principalement dans les régions de Damas et d’Alep. Ces carnages ont aidé le régime d’Assad à reprendre le contrôle de la plupart des villes syriennes et à expulser leurs populations. Entre 2011 et 2022, selon les Nations unies, le nombre de Syriens tués dépasse les 500 000, tandis que 6,9 millions ont été déplacés et 5,5 millions ont fui vers les pays voisins et l’Europe.

Bien que la plupart de ces Syriens ne soutiennent pas Israël, ils sont généralement opposés au Hezbollah, même lorsque celui-ci est attaqué par Tsahal. Hadi al-Abdallah, journaliste syrien populaire au Proche-Orient, a publié sur TikTok une vidéo intitulée “Des membres du Hezbollah ont été touchés à Idlib, à Alep et à Deraa. Comment ne pas se réjouir de l’assassinat de ceux qui nous tuent et nous expulsent de notre pays ? Nous avons le droit de nous réjouir en attendant la grande joie, lorsque le Hezbollah sera complètement détruit, lui et le régime d’Assad.” La vidéo a reçu 1 700 commentaires soutenant Abdallah. À Soueïda, une ville du sud de la Syrie opposée au régime, une manifestante a publié sur X une photo d’elle montrant le visage de Nasrallah incendié, avec une phrase conseillant au Hezbollah d’utiliser des pigeons voyageurs à la place des bipeurs.

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien,Une chambre en exil, et récemment Etre Français.