Le son des ambulances n’a cessé de résonner à Beyrouth la semaine dernière, semant la panique et le chaos dans la capitale libanaise. Le bilan des attaques inédites qui ont fait exploser simultanément des milliers de bipeurs piégés, puis le lendemain des talkies-walkies utilisés par le Hezbollah, est de 39 morts, dont deux enfants, et plus de 2 900 blessés. Le choc est brutal pour la milice chiite libanaise, armée par l’Iran, et considérée comme l’une des plus puissantes organisations para-étatiques au monde. Israël a fait preuve en quelques jours de sa supériorité technologique et militaire, et de ses percées en matière de renseignement, sans épargner les civils.
A peine remis du premier choc, le Hezbollah était dans la foulée, le vendredi 20 septembre, l’objet d’une nouvelle opération – aérienne cette fois – destinée à éliminer l’un de ses hauts commandants. Elle s’est traduite par la destruction d’un immeuble entier de la banlieue sud de Beyrouth, densément peuplée, faisant au moins 45 morts, dont 21 civils (une vingtaine de personnes sont encore portées disparues) selon un dernier bilan. Deux commandants, Ibrahim Akil et Ahmad Wehbé, ainsi que 14 combattants ont été tués. Ibrahim Akil succédait à la tête de l’unité d’élite al-Radwan à Fouad Chokr, assassiné par une attaque ciblée à la fin du mois de juillet. Il figurait sur la liste des terroristes recherchés par les Etats-Unis pour sa participation à des attentats meurtriers au Liban en 1983, quarante ans plus tôt, jour pour jour.
“Un coup d’épée qui lui a transpercé les entrailles”
L’opération constitue la troisième attaque israélienne à Beyrouth depuis le début de l’année – le 2 janvier Tsahal avait éliminé un dirigeant du Hamas, Salah al-Arouri. Elle signale une nouvelle phase du conflit depuis que le Hezbollah a lancé un front de soutien à Gaza, le lendemain du massacre perpétré le 7 octobre par le Hamas en Israël. Juste après avoir annoncé le déplacement “vers le nord” de l’offensive militaire en cours depuis près d’un an à Gaza – qui a tué plus de 40 000 personnes à Gaza selon le Hamas -, l’Etat hébreu joint donc les actes à la parole.
Les coups infligés au Hezbollah sont d’une sévérité “sans précédent” a admis son secrétaire général lors d’une intervention télévisée au lendemain de la double attaque sur les appareils de télécommunication. Mais Hassan Nasrallah, qui a promis un “terrible châtiment” à Israël, refuse de jeter l’éponge. Il a mis au défi le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou de réaliser son objectif de “ramener les habitants israéliens évacués du nord” tant qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu à Gaza, la condition du Hezbollah pour arrêter ses tirs transfrontaliers.
L’organisation islamiste a été profondément secouée par cette séquence. Elle a subi “un coup d’épée qui lui a transpercé les entrailles”, explique Mohanad Hage Ali, chercheur au centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Et de préciser : “L’impact est transversal sur un groupe très large de membres travaillant dans les différentes branches civiles ou militaires de l’organisation. Cela affectera certainement son fonctionnement et il lui faudra du temps pour récupérer.”
La portée exacte de la déstabilisation est cependant difficile à évaluer. Pour Kassem Kassir, un analyste proche du Hezbollah, sa capacité opérationnelle reste solide. Si les armes se sont tues à la frontière le jour de l’attaque des bipeurs, ce n’est pas, selon lui, parce que le réseau de communication a été perturbé. “La priorité était de comprendre ce qui se passait. Et notamment de vérifier si une opération militaire israélienne à grande échelle était imminente pour s’y préparer”, avance ce spécialiste.
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“Failles sécuritaires manifestes”
Dès les heures qui ont suivi l’explosion de milliers de bipeurs, le Hezbollah a démultiplié les tirs sur des cibles militaires dans le nord d’Israël “pour montrer que, sur le terrain, les hommes, la volonté, et le système” sont intacts, analyse Nicholas Blanford, chercheur rattaché à l’Atlantic Council. Pour lui, les pertes infligées à sa chaîne de commandement sont importantes, mais surmontables. “C’est une grande organisation, qui peut compter sur beaucoup de personnes ayant des années d’expérience, et en mesure de monter en grade.” Le vrai problème, selon cet expert, ce sont “les failles sécuritaires manifestes qu’elle n’arrive pas à colmater.”
Après l’opération des bipeurs, le Hezbollah a cherché à éviter que des informations médicales critiques ne soient interceptées par Israël. Les caméras, habituellement promptes à se rendre aux chevets des victimes sur leurs lits d’hôpitaux, ont été forcées à la discrétion. De nombreux blessés ont été transférés en Iran, probablement pour préserver leur anonymat. Mais l’afflux simultané de milliers de victimes dans les hôpitaux n’a pas toujours permis de préserver le secret. A en croire plusieurs médias, Ibrahim Akil aurait été repéré à sa sortie d’hôpital après l’explosion de son bipeur, ce qui aurait facilité son élimination ensuite.
Au-delà des morts et des blessés, l’impact est moral et psychologique. “Les actions d’Israël entament la confiance de la communauté qui entoure le Hezbollah, bâtie sur la protection apportée par un appareil militaire et sécuritaire hautement professionnel”, écrit Randa Slim du Middle East Institute. D’où les appels au sang-froid émanant de plusieurs figures proches du parti qui enjoignent à leurs soutiens de panser leurs plaies. A l’instar du journaliste Hassan Ileik, pour qui il est plus que jamais nécessaire “de faire échec aux tentatives de l’ennemi de nous faire douter de la résistance”. L’affluence aux obsèques des victimes organisées ces derniers jours témoigne d’une mobilisation intacte de la base directe du Hezbollah, dont la dimension sociale dépasse largement celle d’une milice.
L’inquiétude de la communauté chiite, de même que celle des Libanais, est en revanche plus perceptible tant la tension est à son paroxysme, en l’absence d’horizon diplomatique. Malgré les appels à la retenue émanant de Washington, les conditions d’un retour au calme sont loin d’être réunies. “Tactiquement les Israéliens montrent clairement qu’ils ont l’avantage depuis qu’ils sont entrés dans une nouvelle période, beaucoup plus agressive. Ils parient sur le fait que le Hezbollah retiendra encore ses coups pour éviter une guerre généralisée dont l’Iran ne veut pas non plus”, estime Nicholas Blanford.
Mais stratégiquement l’équilibre est le même, poursuit cet expert. Et de préciser. “Le Hezbollah utilise encore essentiellement des armes comme les roquettes de type Katioucha dont la technologie remonte à la Seconde Guerre mondiale, et quelques missiles non guidés à portée limitée. Il garde en réserve les missiles guidés de longue portée de la série Fateh-110 dont la précision est de 10 à 20 mètres et la charge explosive de 500 kilos.” Les Israéliens le savent.
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