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Déficit public : ce que la France pourrait apprendre du Canada


Le fatalisme, un travers bien de chez nous : un Français sur trois considère le déclin du pays comme irréversible, selon l’étude Fractures françaises de la fondation Jean-Jaurès publiée en octobre 2023. Quoi de surprenant dans une société où le président de la République en personne, à l’époque François Mitterrand, prétendait en juillet 1993 que “dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé” ? L’idée que la politique ne peut peser sur le réel a continué à se diffuser, comme un venin paralysant l’action publique. Et pourtant, à quelques kilomètres de chez nous, des peuples d’irréductibles réformateurs résistent encore et toujours à l’impuissance.

L’effort suppose d’abord un diagnostic clair, à long terme : en Italie, en Suède ou au Canada, c’est au bord du gouffre que les gouvernants ont élaboré des réformes d’ampleur, appelées à faire passer leur pays de malade à modèle. Surtout, il implique une volonté politique sans faille, outre la bureaucratie, les lobbys et ceux qui pensent que tout changement des pratiques est impossible. A l’heure où le nouveau gouvernement dirigé par Michel Barnier met en avant, jusque dans les intitulés de ses ministres, la “simplification”, le “partenariat avec les territoires”, la “souveraineté alimentaire” ou la “réussite scolaire”, comme autant de promesses, on ne peut que leur conseiller d’aller jeter un œil à ce qui marche ailleurs.

Au moment des élections fédérales de 1993, les Canadiens sont préoccupés par l’explosion de la dette. Il y a de quoi : le pays a perdu son triple A une année plus tôt et un tiers des recettes du gouvernement sert au paiement des intérêts sur la dette. “Les Canadiens comprenaient que cette situation ne pouvait pas durer et que des changements allaient arriver”, explique Jake Fuss, directeur du département d’études fiscales du think tank libéral Fraser Institute.

La réduction du déficit, proche de 5 % du PIB en 1993, est un leitmotiv chez tous les partis politiques. C’est finalement Jean Chrétien, candidat du parti libéral, qui convainc les électeurs avec son plan de discipline fiscale, exposé dans un petit livre rouge modestement intitulé Creating Opportunity. Face au péril d’une crise de la dette, le nouveau Premier ministre sait qu’il ne peut pas se contenter de changements cosmétiques. Dès 1994, il s’attaque à une réforme en profondeur de la fonction publique baptisée le “Program Review”.

Pour déterminer l’ampleur des coupes budgétaires, son plan prévoit six questions à poser aux différents ministères, telles que “L’activité concernée continue-t-elle à servir l’intérêt public ?” ou encore “Quelles sont les activités ou les programmes qui […] pourraient être transférés […] au secteur privé ou bénévole ?” Les réponses doivent permettre de cibler plus précisément les mesures à mettre en place. “Au lieu de dire “trouvez-moi 5 % ou 10 % d’économies”, on a donné une feuille de route claire qui permettait de couper les dépenses en fonction de critères précis. C’était la clé du succès”, analyse Geneviève Tellier, professeure de finances publiques à l’université d’Ottawa.

En cinq ans, les finances publiques se métamorphosent. Le déficit devient un lointain souvenir, laissant place dès 1997 à une décennie d’excédent budgétaire. “Même après avoir dégagé un surplus, le gouvernement est resté discipliné sur les comptes publics. Cela a permis de relancer les dépenses à la fin de la décennie 1990, mais de manière modérée”, explique Jake Fuss. La part de la dette dans le PIB décline chaque année entre 1997 et 2007, grâce à cet effort de rationalisation.

“Nous sommes en train de répéter les erreurs des années 1970”

Certes, ces réformes ont un prix. Près de 50 000 emplois dans la fonction publique fédérale – soit 14 % des effectifs – disparaissent entre 1995 et 1999. Une chute qui résulte, notamment, d’une incitation aux départs anticipés à la retraite. Mais aussi de la privatisation des “sociétés de la Couronne” – jusqu’ici contrôlées par l’Etat – qui a conduit au transfert de postes de fonctionnaires vers le secteur privé.

Les ministères sont affectés de manière inégale par les coupes budgétaires. “Le ministère de l’Industrie, par exemple, a vu 30 % de ses dépenses retranchées entre 1994 et 1998 avec la suppression de nombreuses aides aux entreprises, tandis que le ministère des Transports a vu les siennes fondre de presque 70 %, notamment avec la privatisation des aéroports”, explique Geneviève Tellier. Les provinces, chargées des services de santé et d’éducation, subissent aussi une forte baisse des transferts qu’elles reçoivent du gouvernement fédéral. Le financement des logements sociaux diminue également, un choix dont les répercussions sont encore visibles aujourd’hui, note l’universitaire.

Cela n’empêche pas les Canadiens de reconduire au pouvoir le Parti libéral jusqu’en 2003. Trente ans après la vague de réformes, le “consensus Chrétien” semble cependant s’être érodé. L’arrivée de Justin Trudeau au gouvernement en 2015 a fait basculer le pays sur une trajectoire opposée et les dépenses repartent à la hausse. “Avec la crise de 2008, la population a souhaité un Etat plus présent dans l’économie. Beaucoup de Canadiens ne se souviennent probablement pas de ce qui a été fait dans les années 1990, déplore Jake Fuss. Nous sommes en train de répéter les erreurs des années 1970 qui ont mené à la crise des années 1990.” Rien n’est jamais acquis.




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