La prise d’un poste est souvent un moment heureux, synonyme d’une reconnaissance par le recruteur et d’une autonomie financière, en échange du temps donné pour le travail. Pourtant, le contrat à durée indéterminée (CDI) ne signifie pas “relation éternelle” car il peut être rompu des deux côtés. Pour l’employeur, c’est le licenciement. Pour le salarié, c’est la démission. Puis vint la rupture conventionnelle : un “au revoir” commun, comme un couple qui n’aurait plus rien à vivre ensemble et prendrait des chemins séparés. Ce mécanisme progresse depuis son introduction par la loi du 25 juin 2008 : la barre des 200 000 est largement dépassée en 2010, celle des 400 000 en 2020 et le cap des 500 000 ruptures conventionnelles annuelles a été franchi en 2022 et 2023 – un chiffre 12 fois supérieur à celui de 2008 (40 360).
La tendance haussière ne faiblit pas : quelque 132 500 ruptures conventionnelles en France métropolitaine au premier trimestre 2024, en progression de 2,3 % par rapport au trimestre précédent (Dares), du jamais vu. Comment expliquer cet essor ?
“Les réponses sont multiples : le souhait pour l’employeur de bénéficier de la sécurité juridique [NDLR : peu de contentieux aux prud’hommes], pour le salarié de toucher l’assurance chômage, l’intérêt commun de terminer un litige au plus tôt”, répond François Taquet, professeur de droit social et auteur de Départs négociés et ruptures conventionnelles (Gereso, 2024), qui souligne que les cadres sont aujourd’hui largement concernés : “En période de crise, cela permet de se séparer de manière consensuelle.”
Sur des salaires élevés, cela peut coûter très cher
“On voit autant de salariés qui la sollicitent que d’employeurs qui la proposent”, confirme Brice Briel, avocat associé chez Delsol Avocats. Selon lui, il n’y a pas de portrait type d’entreprises ou de salariés qui y ont recours, mais “il y a trois types d’employeurs : ceux qui ne veulent pas en entendre parler, ceux qui sont ouverts sur la question et ceux qui limitent aux seules ruptures à leur initiative. Du côté des salariés, ceux qui la sollicitent ont, en général, envie de passer à autre chose. Cela peut être un autre choix de vie, changer de métier…”. A deux nuances d’importance près : pas de rupture conventionnelle pour les personnes âgées de plus de 62 ans ou qui peuvent prétendre à une retraite à taux plein “car elles sont soumises à des cotisations sociales et, du côté des entreprises, cela coûterait également trop cher. Ce n’est donc pas intéressant pour l’ensemble des parties”. L’Etat veille aux comptes de l’assurance chômage et à conserver les seniors en emploi.
Par ailleurs, les entreprises peuvent hésiter à proposer une rupture conventionnelle quand elles sont face à un salarié avec une importante ancienneté et un salaire élevé. “Si à ses débuts, la rupture conventionnelle était une indemnité nette d’impôts et de charges sociales, un forfait social a ensuite été mis en place. Il était de 20 % puis il est passé à 30 % au 1er septembre 2023. C’est un coût supplémentaire pour l’employeur qui, pour une rupture à 10 000 euros, doit ajouter 3 000 euros. Sur des salaires plus élevés, cela peut coûter très cher. En comparaison, une indemnité de licenciement n’est pas soumise à des cotisations sociales”, précise l’expert. Un verrou imaginé pour conserver les seniors en emploi, toujours.
Que négocier ?
Une fois les parties d’accord et après avoir signé, elles ont quinze jours pour se rétracter. Puis, le document est envoyé à l’administration pour homologation, ce qui représente à nouveau quinze jours mais ouvrables. “Au total, il faut compter environ un mois et dix jours entre la signature et le départ de l’entreprise. C’est un délai incompressible”, détaille Brice Briel. Un processus rapide qui peut aussi être mis en œuvre le jour de l’entretien préalable à un licenciement ou pendant le préavis (Cour de cassation). Pour le salarié, l’avantage est d’être pris en charge par l’assurance chômage, comme pour un licenciement. L’indemnité de rupture minimale est la même que celle d’un licenciement, soit légale, soit conventionnelle selon sa convention collective si elle est plus favorable.
Reste, avant de signer, la question de la somme supralégale consentie à celui qui n’est pas forcément volontaire au départ. “France Travail décalera la prise en charge de l’indemnité chômage. Néanmoins, il est possible de négocier une enveloppe supplémentaire dans la fourchette du barème Macron, qui correspond à son ancienneté”, préconise l’avocat. Se faire assister par un élu et/ou un avocat peut aider à obtenir davantage et à se quitter en bons termes. “Je ne vois pas d’inconvénient à ce mode de rupture qui s’est généralisé à un tel point qu’aujourd’hui, la démission n’est plus dans la culture”, conclut maître Briel.
Source