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Dépenses publiques : pourquoi la France devrait s’inspirer du pragmatisme britannique


Chaque année, le rendez-vous est inscrit dans l’agenda du gouvernement britannique non sans une certaine appréhension. Au Royaume-Uni, quelques jours avant la présentation du projet de loi de finances de l’année suivante, l’Institute for fiscal studies (IFS), le centre de recherche de référence sur les questions budgétaires et fiscales, publie son “green budget” et ce, depuis 1988. Ce document de 400 pages, épluché intégralement par les politiques et les économistes du pays, présente “une analyse approfondie des défis économiques et des compromis auxquels le chancelier est confronté”.

Ses auteurs y présentent des pistes d’amélioration des finances publiques et tracent les lignes rouges à ne pas franchir. Cette année, la nouvelle version sera publiée le 10 octobre, un peu plus de deux semaines avant que la nouvelle ministre de l’Economie, Rachel Reeves, ne présente le premier budget du gouvernement de Keir Starmer. Une première mouture attendue de pied ferme, alors que le Labour a fait campagne sur le thème de la rigueur budgétaire.

L’exercice mené par l’IFS, devenu traditionnel outre-Manche, serait pour le moment difficilement réplicable en France, tant l’évaluation des politiques publiques et de l’efficacité des dépenses de l’Etat demeure un angle mort. “Pendant longtemps, nous avons eu une culture d’évaluation embryonnaire, mais on ne peut pas dire aujourd’hui que nous n’en avons pas. Malheureusement, on ne s’en saisit pas assez”, regrette un ancien haut dirigeant de la Cour des comptes.

Pour sa première interview depuis sa nomination, Michel Barnier a pourtant tenté, dimanche 22 septembre, une incursion sur ce terrain miné. “On peut, dans tous les services publics, faire bien, parfois mieux, avec peut-être moins d’argent public”, a lancé le nouveau Premier ministre, au 20 heures de France 2, sans préciser la façon dont il comptait s’y prendre. Un vieux serpent de mer de la politique. “L’absence de culture d’évaluation est un problème très franco-français”, confirme l’économiste Christian de Boissieu.

Des doctorants dans l’administration

Au Royaume-Uni, elle s’est développée à partir des années soixante. “La question de l’efficacité de la dépense publique est un élément de base des mesures prises par les gouvernements. Pour le contribuable, il faut qu’une livre soit dépensée le mieux possible”, souligne Catherine Mathieu, économiste à l’OFCE. Pour améliorer la prise de décision, le Trésor britannique a rédigé plusieurs guides à destination des administrations publiques afin de préparer les futures politiques, mais aussi de les évaluer. “Là est la vraie différence entre le pragmatisme britannique et la France, où l’on a toujours une place pour le débat sans se donner un point de départ commun”, estime Stéphane Gregoir, professeur à l’école d’économie de Toulouse.

Pour évaluer l’impact de ses politiques publiques, le gouvernement britannique s’appuie, par ailleurs, grandement sur des centres indépendants, comme l’IFS ou les laboratoires de recherche des grandes universités du pays tel que la London School of Economics and Political Science. “C’est très important pour la qualité du discours public. Nous jouons certainement un rôle majeur en demandant des comptes aux gouvernements”, explique Paul Johnson, directeur de l’IFS, qui a mené ces derniers mois tout un travail d’analyse des propositions des différents partis à l’occasion des élections législatives. “Ces grands centres ont des personnels dédiés qui contribuent à la formation à ce type d’exercice, précise Stéphane Gregoir. Régulièrement, certains de leurs doctorants passent dans l’administration centrale et diffusent leur savoir”.

Leurs travaux sont scrutés de près au point d’influencer grandement les futures décisions gouvernementales. “En France, nous avons une autre tradition : la politique publique va d’abord être étudiée et évaluée au niveau du ministère. C’est un processus plus opaque”, souligne Catherine Mathieu. L’Institut des politiques publiques tente depuis quelques années d’imiter l’IFS en France et de peser dans le débat public. “La grande différence est que l’on n’a pas instauré une complète institutionnalisation de la procédure d’évaluation, avance Stéphane Gregoir. On donne des missions sans vraiment fournir les moyens humains ou en termes de compétences”.

A cela s’ajoute une difficulté à définir les objectifs visés. “Gérer la performance des politiques publiques n’est pas d’abord un problème de mesure ou d’indicateurs, mais surtout de définition des résultats visés. Ce sont des objets extrêmement complexes. Il n’est pas si simple de se mettre d’accord sur ce qu’est la réussite”, juge un ancien haut fonctionnaire de Bercy. Bien que Michel Barnier ait mentionné le sujet dès sa première interview télévisée, l’urgence du calendrier concernant le budget devrait reléguer, une nouvelle fois, cette problématique au second plan.




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