“On ne peut bien photographier que seul”, affirme cette baroudeuse de l’image, qui, paradoxalement, ne cesse de célébrer l’altérité dans ses clichés en noir et blanc, fruits de voyages en solitaire à travers le monde. Des processions de la Vierge noire de Guadalupe, en Espagne, aux chantiers de démolition navale d’Alang, en Inde, des villages du Burkina Faso jusqu’à l’ombre des pyramides aztèques de Teotihuacan, la “cité des dieux” du Mexique central, Henriette Ponchon de Saint André a capté les visages, les instantanés de vie, qu’ils soient faits d’épisodes rituels ou d’histoires personnelles.
Le caractère ethnologique de ses photos se fond ainsi dans les rencontres humaines – son véritable “centre”, comme elle appelle sa quête des regards. Bientôt six décennies qu’elle manie la petite boîte noire dans un parcours atypique, plusieurs fois distingué, comme en 1977 quand elle a reçu le prestigieux prix Ilford pour son travail aux îles Hébrides, en Ecosse, ou plus récemment, en 2019, le prix Coline-Rafer, dédié aux femmes.
Celle qui fêtera ses 95 ans le soir de Noël est aujourd’hui au centre d’une exposition à la Bibliothèque municipale de Lyon (BmL), visible jusqu’au 31 décembre. L’occasion de célébrer l’enfant du pays car Henriette Ponchon de Saint André, native de Saint-Didier-au-Mont-d’Or (Rhône), a grandi dans la capitale des Gaules où elle œuvre toujours dans son laboratoire de l’Atelier d’images, un lieu de transmission et de conservation photographique qu’elle a fondé sur les pentes de la Croix-Rousse. Si cette grande dame de la photographie humaniste a sillonné les cinq continents, elle a aussi largement documenté “sa” ville.
Alors que nombre de ses œuvres ont rejoint les collections de la BnF dès 1992, la photographe a fait don l’an dernier à la BmL d’une partie de ses archives autour de la métropole lyonnaise. Cet ensemble, qui s’étend de la fin des années 1970 jusqu’au milieu de la décennie 1990, avant que la retraite permette à Henriette, bon pied, bon œil, de multiplier les périples lointains, comprend plus de 13 000 diapositives et une centaine de tirages. Ce sont les témoins d’une époque révolue, lorsqu’elle s’est immergée au sein de 75 usines de Villeurbanne pour explorer le tissu industriel local ou qu’elle est partie sur les traces des canuts, trimballant son appareil au cœur des derniers ateliers de soyeux croix-roussiens.
A 12 ans, déjà, la gamine, réfugiée près de Roanne pendant la guerre, mitraillait son entourage avec le “Piccolette” de ses parents. Après une parenthèse de vingt-cinq ans comme peintre-décoratrice de jouets en bois dans la société familiale, elle est revenue à sa passion première pour ne plus la quitter. Henriette Ponchon de Saint André photographie comme elle respire. Sans s’arrêter, jamais. Nul mieux qu’elle n’a saisi l’amour maternel, la confraternité des hommes au labeur, l’éclat du sourire édenté d’un enfant.
Des moments fugitifs qui évoquent le talent d’un Paul Strand ou d’une Dorothea Lange, parmi les grands noms de son art qui l’ont durablement influencée. Comme eux, elle place les petites gens, les oubliés, l’observation sociale au cœur de sa pratique. Et elle pourrait reprendre à son compte le credo de Sabine Weiss, adepte, dans ses clichés, de la figure humaine et de l’économie de moyens, proche d’elle à bien des égards : “Il ne s’agit pas d’aimer bien, il faut être ému.”
“Pour la vie”, exposition des photographies d’Henriette Ponchon de Saint André, à la Bibliothèque municipale de Lyon, jusqu’au 31 décembre.
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