Deux drames similaires, deux réactions divergentes. Le 14 octobre 2022, Lola, une fillette de 12 ans, est assassinée à Paris. La principale suspecte dans l’affaire, Dahbia B., est une Algérienne visée par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). La droite épingle l’inexécution de cette mesure d’éloignement, Fabien Roussel, lui, reste plus discret. Le patron des communistes évoque alors un “infanticide”, et un acte “pédocriminel”, comparable à ceux commis par Michel Fourniret ou Nordahl Lelandais.
La mort de Philippine, jeune femme de 19 ans, marque alors une évolution dans l’analyse du secrétaire national du PCF. Ici aussi, le suspect – Taha O., un Marocain de 22 ans – était visé par une OQTF. Il avait aussi été condamné pour un viol commis en 2019 dans le Val-d’Oise. Sur X, Roussel se livre à une explication dense de l’engrenage tragique : “La loi existe et n’est pas appliquée. Un violeur est un criminel. Il aurait dû être surveillé. Ça n’a pas été fait. Il aurait dû être expulsé. Ça n’a pas été fait. L’Etat est défaillant. Plus on le prive de ses moyens, plus il recule.” Par ce message, publié dans la foulée du drame, le patron du Parti communiste français entend “briser un tabou à gauche”, dixit l’un de ses très proches. Il l’affirme, sans circonvolutions – et détonne à bâbord : la mort de Philippine est aussi liée à la gestion de l’immigration en France.
“Pourquoi on ne pourrait pas articuler les deux explications ?”
La gauche n’est pas restée mutique après ce drame. D’aventure timide quand il s’agit d’ériger le fait divers en objet politique, elle entend imposer sa propre lecture du meurtre de Philippine. Et mener la bataille culturelle face à une droite offensive sur la thématique migratoire. A rebours de Fabien Roussel, ses représentants appellent surtout à penser le meurtre de Philippine sous le prisme des féminicides, et non de l’immigration. Comme la députée écologiste Sandrine Rousseau, qui considère que “les femmes sont en danger de mille et une manières sous la violence des hommes”, concernant ceux “de toutes couleurs et de toutes situations”. Ou encore l’ex-Insoumise Clémentine Autain, regrettant que l’on parle des OQTF, autrement dit “de la chasse aux migrants, et non pas de la façon dont protéger les femmes”, le “vrai sujet”, d’après la députée. “L’extrême droite réagit quand les féminicides sont commis par des personnes de nationalités étrangères”, juge Manuel Bompard, coordinateur LFI.
Progressivement à gauche, ce regard s’impose avec force… Quitte à devenir le miroir inversé de la droite, avec un message distinct mais tout aussi univoque. Au regret, parfois, de certains députés, à l’instar d’Emmanuel Maurel : “Et pourquoi on ne pourrait pas articuler les deux explications, dire que c’est à la fois un féminicide, que le criminel sous OQTF n’aurait pas dû être présent sur notre territoire ?” Ce n’est pas gagné. Au PCF, les messages plus ou moins subliminaux affluent contre le patron. Dans un communiqué signé Roussel, la place du Colonel-Fabien tente finalement d’apaiser, appelant “à un investissement massif en matière de lutte contre les violences faites aux femmes”.
Déjà-vu
L’épisode a des airs de déjà-vu. À l’instar de l’affaire Lola, quand la principale suspecte est sous le coup d’une OQTF. La droite épingle le faible taux d’exécution de ces mesures d’éloignement, quand une partie de la gauche s’attarde sur le profil psychiatrique de l’accusée. Ou encore en juin 2023, lorsqu’un réfugié syrien attaque au couteau des enfants à Annecy “au nom de Jésus Christ”. La droite exige une refonte de notre politique d’asile, tandis que les Insoumis pointent “le problème de la santé psychique en France”. Ici, le meurtre de Philippine est un féminicide pour les uns ; il est la conséquence délétère de l’immigration incontrôlée (ou de l’immigration tout court) pour les autres. La double grille de lecture organise la guerre de position entre la droite et la gauche.
Au tâtonnement de la gauche répond la martialité de la droite et de l’extrême droite. Ici les querelles d’interprétation sont moindres : la chaîne pénale et administrative du pays se trouve au centre des griefs. Voilà donc le Rassemblement national qui dépose une proposition de loi pour “faciliter l’expulsion des étrangers constituant une menace pour la France”. Ou la Droite républicaine (DR), le lendemain, affirmant vouloir “allonger la durée maximale de rétention des immigrés en situation irrégulière à 135 jours au lieu des 90 prévus actuellement”, voire à 210 jours “pour un étranger condamné pour un crime”. Aucun crédit n’est accordé aux arguments de la gauche. La députée DR, Frédérique Meunier, le regrette : “C’est vrai qu’on est trop clivés… Je crois qu’on manque sûrement d’ouverture d’esprit.”
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