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TDAH : quand la Haute autorité de santé désavoue Caroline Goldman (et les psychanalystes)


Oui, le TDAH existe. Non, ce n’est pas une invention des laboratoires pharmaceutiques pour vendre des médicaments. Dans un rapport qui fera date, la Haute autorité de santé (HAS) vient de ramener de la rationalité dans le débat français autour des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité. Le 23 septembre, cette institution indépendante, chargée de promouvoir les bonnes pratiques médicales et la qualité des soins, a publié des recommandations très attendues sur ce handicap. Etrillant au passage tous ceux qui, dans notre pays, niaient sa réalité, à l’encontre de toutes les évidences. A commencer par la très médiatique, et très controversée, Caroline Goldman, et au-delà, par une partie des acteurs du champ de la psychologie et de la psychiatrie encore sous influence de la psychanalyse.

Podcasts, interviews, émissions de radio, livres… La fille du chanteur à succès, elle-même psychologue d’obédience psychanalytique, n’a eu de cesse de le répéter : selon elle, le “véritable TDAH” toucherait 0,5 % des enfants diagnostiqués. Un chiffre jamais documenté, mais peu importe : les autres seraient victimes de “surdiagnostic”. Leur agitation, leur impulsivité, leurs difficultés de concentration ? Dues à des “raisons psychoaffectives […], des désordres de l’attachement ou des dysfonctionnements éducatifs”, comme elle l’écrit encore dans son récent Guide des parents d’aujourd’hui (Flammarion). En toute logique, le surdiagnostic entraînerait aussi la “surprescription” de méthylphénidate, plus connue sous le nom de Ritaline, dont Caroline Goldman (qui n’a pas donné suite aux sollicitations de L’Express) va jusqu’à reprendre le surnom de “drogue des enfants” ou “opium de la population scolaire”.

“Un tel discours cause beaucoup de dégâts. Il invalide le travail des spécialistes d’un revers de la main et suscite des doutes et des inquiétudes chez les parents, forcément coupables du malheur de leurs enfants”, dénonce le Dr Hugo Baup, psychiatre au centre hospitalier de Périgueux. Il laisse croire aussi au grand public qu’il existerait un débat scientifique autour de ce trouble et de sa prise en charge, ce qui n’est pas le cas. Une petite musique pourtant encore entonnée l’an dernier par le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge dont la présidente, Sylviane Giampino se trouve, elle aussi, être psychanalyste. Cet organisme avait publié un rapport dénonçant entre autres l’augmentation de la prescription de méthylphénidate. “Mais il s’appuyait sur une lecture incomplète des données disponibles qui était quand même assez troublante”, rappelle le Dr Hugo Peyre, pédopsychiatre au CHU de Montpellier.

“La Haute autorité de santé, c’est le juge de paix”

Conséquence de ces errements, le TDAH reste encore très largement sous-diagnostiqué en France, et notre pays est l’un de ceux où la prescription de Ritaline demeure la plus faible. Parce que ce psychostimulant traîne une image de stupéfiant, “les patients s’avèrent encore parfois stigmatisés, y compris en pharmacie”, regrette Hugo Baup. L’errance diagnostic et le retard à la prise en charge ne sont pas rares, avec des résultats parfois dramatiques. Non traité, le TDAH expose à des difficultés scolaires, et plus tard à des conduites addictives ou encore à des taux de suicides et de tentatives de suicide plus élevés que dans la population générale.

Pour ses travaux, la Haute autorité de santé a pris en compte la totalité de la littérature scientifique disponible. “C’est le juge de paix. Et ses conclusions viennent très clairement à l’encontre de beaucoup d’erreurs qui ont pu être dites ces dernières années”, tranche le Dr Etienne Pot, délégué interministériel aux troubles du neurodéveloppement. Les experts de la HAS le rappellent, le TDAH est très fréquent, “avec une prévalence estimée autour de 5 % des enfants et des adolescents, et 3 % des adultes”. Il doit être diagnostiqué et pris en charge par un médecin formé. L’accompagnement repose d’une part sur des thérapies comportementales et de la guidance parentale (les parents ne sont pour rien dans les difficultés de leurs enfants, mais apprendre à les accompagner ne s’improvise pas et nécessite une formation), et d’autre part sur un traitement médicamenteux en fonction de la sévérité des troubles, si la prise en charge psychologique ne suffit pas. Et surtout, les auteurs l’écrivent en toutes lettres : les thérapies psychanalytiques “ne sont pas recommandées dans le traitement spécifique du TDAH”. Pour une bonne raison : ils n’ont pas trouvé de preuve de leur efficacité.

Alors que les idées fausses sur ce trouble restent encore très ancrées, y compris dans certaines structures d’accueil des enfants, ce rapport suffira-t-il à offrir à toutes les familles un accompagnement conforme aux données de la science ? C’est désormais à la délégation aux troubles du neurodéveloppement de s’en assurer, en mobilisant les différents acteurs autour de cet objectif. De multiples actions en ce sens sont déjà engagées, avec la création, localement, de filières de soins labellisées TDAH, pour que les familles, mais aussi les médecins généralistes, sachent vers qui s’orienter. “Les agences régionales de santé y travaillent, en s’adaptant aux particularités de leurs territoires. Dans certains cas, il suffira de répertorier les professionnels, dans d’autres il faudra prévoir un rattrapage de formation pour les soignants”, résume Etienne Pot. Une enquête est par ailleurs en cours auprès des centres médico-psychologiques et plateformes de coordination et d’orientation, pour obtenir une vision précise de leur approche des troubles neurodéveloppementaux. “Les méthodes étant encore parfois très hétérogènes, l’objectif est aussi de les accompagner dans leurs évolutions”, constate encore Etienne Pot.

Pour autant, tous les spécialistes ont bien conscience que dans le champ de la santé, les changements de pratiques peuvent se révéler assez lents. “On a tendance à travailler de la façon dont on a été formé. Remettre en cause ces croyances peut être difficile, surtout sur des sujets présentés dans l’espace public comme des conflits idéologiques”, note Hugo Payre. Le rapport de la HAS devrait néanmoins beaucoup aider. “En attendant, les parents confrontés à une prise en charge inadaptée ont désormais un outil pour la dénoncer, et pour se tourner vers des soignants respectant les recommandations”, résume Christine Gétin, la directrice de l’association HyperSupers – TDAH France. Il était temps.




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