Il faut toujours écouter les Québécois, surtout lorsqu’ils parlent de la France. Certes, Olivier Kemeid est atypique, tant il impressionne par son imposante culture historique du Vieux Continent, héritage de son père, syro-libanais maronite passé par l’Egypte et émigré au Canada en 1952.
Codirecteur général et directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous de Montréal jusqu’en 2023, Olivier Kemeid est réputé pour ses pièces L’Enéide (2007), Moi, dans les ruines rouges du siècle (2012), etc., et ses romans (Tangvald, 2017), effectuant des parallèles audacieux entre les mythologies d’hier et les maux contemporains, et creusant les relations père-fils.
Rebelote aujourd’hui avec un roman aussi spirituel qu’enrichissant, Le Vieux Monde derrière nous (Arthaud). La trame? Cent cartes postales envoyées par son père, Gil, à sa “blonde” Carole (une Rochefort pure souche, elle), rencontrée lors de l’Expo 1967 de Montréal. Nous sommes en 1968, l’étudiant en architecture a décidé, à 22 ans, de rallier le Levant en scooter depuis la France. C’est cette quête identitaire, ce périple étonnant, que nous suivons via les missives de Gil et la plume instruite de son fils.
D’auberge de jeunesse en auberge de jeunesse
17 mai 1968, Gil Kemeid débarque à Dieppe, là où près de mille Canadiens périrent un certain 19 août 1942 (brouillon du Jour J). “Les Français sont parmi les gens les plus stupides de la Terre. Tout est bloqué”, écrit Gil, exaspéré de ne pouvoir poursuivre son chemin mais surtout ému de voir conspué son héros, le général de Gaulle, qui, avec son “Vive le Québec libre”, propulsa sur la scène internationale le mouvement indépendantiste québécois. “Libérer la France et le Québec à vingt-quatre ans d’intervalle, c’est assez pour en faire un dieu aux yeux de mon père”, note Olivier.
Un drôle de bonhomme que ce père, un tissu de contradictions, nomade perpétuel et anarchiste bienveillant attaché aux vieilles pierres, au libéralisme, à la liberté comme à l’immigration. Une fois acquise sa Vespa, à Marseille, et la révolte essoufflée (relatée ici par le menu avec brio), le Levantin au teint hâlé peut s’envoler, d’auberge de jeunesse en auberge de jeunesse. Bienvenue dans les dictatures : Espagne, Portugal, Yougoslavie, Grèce, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Hongrie… c’est fou ce que l’Europe compte alors de régimes autoritaires, dont notre érudit romancier brosse les grandes lignes.
L’odyssée de Gil s’achève en Turquie, faute de visa pour Beyrouth. “Ça y est il y est, il a relié les capitales des trois empires, Londres, Paris, Istanbul, sous les jougs desquels toutes ses patries ont été asservies, Egypte, Liban et Québec”, souligne l’auteur. Et l’on applaudit notre écrivain d’outre-Atlantique, digne représentant de cette francophonie que l’on célèbre les 4 et 5 octobre à Villers-Cotterêts lors du XIXe Sommet de la Francophonie.
Et que l’on fête également à Paris, dans le cadre du Festival de la francophonie (du 2 au 6 octobre) qui se tient à la Gaîté Lyrique (Paris 3). Pour “Refaire le monde”, intitulé de la manifestation, sont notamment conviés Marguerite Abouet (Côte d’Ivoire), Djaïli Amadou Amal (Cameroun), Eric Chacour (Québec), Kev Lambert (Canada), Barbara Cassin (France), Zineb Mekouar (France/Maroc), Marcelino Truong (France/Vietnam). Tandis qu’une une grande librairie éphémère francophone s’installera dans l’espace forum de la Gaîté Lyrique avec près de 5 000 livres.
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