Trou d’air ponctuel ou signe que le vent tourne ? En mal d’argent, la start-up Ynsect, porte-drapeau tricolore de la réindustrialisation, a annoncé le 26 septembre son placement en procédure de sauvegarde. Le coup est rude pour ce fleuron de la production de protéines et d’engrais à base d’insectes, gonflé aux levées de fonds – plus de 600 millions d’euros récoltés depuis sa création – et érigé en modèle au sein de la French Tech.
Quelques jours plus tôt, Trendeo montrait, dans sa dernière étude, que la réindustrialisation avait connu un coup de mou sur les six premiers mois de l’année. De janvier à juin, le cabinet d’études a dénombré 61 annonces de fermetures d’usines ou d’ateliers de plus de dix salariés, chiffre en hausse de 9 % sur un an. Côté ouvertures, le compteur affiche 79, soit une baisse de 4 %. Le solde net reste donc positif, mais la dynamique marque le pas. “J’ai vu les derniers chiffres de Trendeo et l’interprétation qui en est faite, mais je trouve qu’il est trop tôt pour affirmer que la réindustrialisation patine. Cela manifeste une espèce d’impatience sur le sujet, alors qu’on est sur un mouvement de long terme. On peut difficilement piloter une évolution aussi complexe en fonction de chiffres de court terme”, s’agace Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, qui organise un grand rassemblement d’entrepreneurs, Big, le 10 octobre prochain à Paris. D’après lui, la tendance est plus à la stabilité qu’au repli.
Un tournant
La réindustrialisation n’en demeure pas moins à un moment charnière. La dissolution de l’Assemblée nationale, puis l’incertitude qui a suivi ont mis un coup d’arrêt à certains projets. “Nous sommes sur un cycle long, il peut y avoir des moments où des difficultés freinent le processus de réindustrialisation. On l’a vu dans les enquêtes de conjoncture : il y a une sensibilité très forte au contexte politique”, rappelle Elise Tissier, directrice du Lab de Bpifrance. “C’est un signal d’alarme. Le flottement des derniers mois a pu conduire un certain nombre d’investisseurs à lever le crayon. La dynamique est moins positive. Il va falloir trouver des réponses”, constate l’ancien ministre délégué à l’industrie Roland Lescure.
Son successeur, Marc Ferracci, est attendu de pied ferme par le secteur. Pour sa première visite officielle, l’ancien député s’est rendu le 25 septembre à Tours, à l’inauguration de la nouvelle usine du constructeur de batteries médicales Vlad. Le nouveau ministre a tout à prouver. “Roland Lescure était assez visible et engagé. Marc Ferracci n’est pas quelqu’un qui s’est illustré sur ces sujets. Cela pose question sur la priorité qui pourrait être donnée à l’industrie”, juge l’économiste Vincent Vicard. Il lui faudra envoyer un signal fort à tous les acteurs, d’autant qu’en période de diète budgétaire le soutien de l’Etat pourrait être reconsidéré. “Quand on cherche de l’argent, couper les investissements est ce qu’il y a de plus facile et rapide, mais aussi de plus coûteux, parce que vous sacrifiez les emplois et la croissance de demain. C’est exactement l’inverse qu’il faut faire”, affirme Roland Lescure.
Les PME et ETI en première ligne
Depuis 2017, le discours politique s’est largement concentré sur les start-up industrielles et les giga-usines, à coups de grandes annonces. “N’oublions pas que le gros des troupes ce sont les PME et les ETI, les entreprises de taille intermédiaire. Elles représentent la majorité de notre potentiel de réindustrialisation. Une inflexion forte sur nos politiques actuelles est indispensable”, pointe Olivier Lluansi, auteur de Réindustrialiser, le défi d’une génération (éd. les Déviations), inspiré d’un rapport pour le gouvernement. “On profite d’une nouvelle génération d’entrepreneurs familiaux, dynamiques et modernes. La France regorge d’innovations, mais le sujet est de les faire atterrir dans l’économie. Il y a quantité de PME qui peuvent se réinventer complètement, avec des produits plus innovants et plus complexes”, assure Nicolas Dufourcq. Les multinationales auront elles aussi leur rôle à jouer. “Il faut réancrer nos grands groupes dans les territoires, afin de développer les écosystèmes autour”, ajoute Vincent Vicard.
Plusieurs freins restent néanmoins à lever pour libérer ce potentiel. A commencer par l’attractivité des métiers. “Nous avons suffisamment de places dans les formations aux métiers industriels. Le problème est que la moitié des diplômés ne rejoint pas l’industrie”, relève Olivier Lluansi, qui milite pour un “grand coup de communication au niveau national pour reconnecter l’image de ces métiers à leur réalité”. Et casser pour de bon l’imaginaire collectif autour du travail à l’usine.
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