Un pavé dans la mare qui ne date pas d’hier : “les entreprises américaines dépensent des sommes énormes pour la formation de leurs employés — 160 milliards de dollars rien qu’aux Etats-Unis et près de 356 milliards dans le monde en 2015 — mais elles ne tirent pas un bon rendement de leur investissement”, alertaient déjà il y a six ans trois experts dans un article publié dans la Harvard Business Review. Une spécificité américaine ? En 2022, en France, un peu plus de 4,1 millions de salariés ont été formés pour un total de près de 31 milliards d’euros. Le coût unitaire par participant formé s’élève à 622 euros (22 heures en moyenne) et à 28 706 euros pour les parcours de reconversion longs (962 heures en moyenne) qui ont bénéficié à 19 000 salariés (France Compétence, rapport 2023). 77 % des Français font confiance à la formation professionnelle pour sécuriser leur avenir (Afpa/Ipsos, 2017).
Pourtant, première distorsion : 21 % des nouveaux managers français trouvent leur formation ennuyeuse, 14 % la jugent ni claire, ni bien structurée (enquête 2023 de la plateforme de formation collaborative 360learning.com).
Trop de théorie, pas assez de pratique
De leur côté, “les employeurs font de moins en moins confiance aux méthodes de formation actuelles. Pourquoi ? Parce que les formations actuelles sont lacunaires et le retour sur investissement qu’elles génèrent reste minime”, pointe le cabinet de conseil en formations Microdoing dans un article publié en 2021. Deux problèmes sont avancés : le manque de montée en compétences des apprenants à la suite de leur formation et l’absence de suivi. Il n’y a ni analyse du besoin du manager dans son organisation, ni formation sur-mesure à l’aune de la réalité vécue sur le terrain. “Quelle que soit la méthode, et des statistiques le prouvent, seuls 10 % des éléments vus sont retenus à la fin d’une formation. On monte à 20 % lorsque l’on discute de ces nouvelles connaissances avec nos pairs. Mais l’apprentissage n’est complet que lorsque l’on met en application, de manière concrète et usuelle, les connaissances que l’on a acquises”, poursuit Microdoing.
La théorie sans la pratique n’est pas opérationnelle. Aucun bilan d’étape, aucun cahier des charges, aucun référent externe ou interne pour vérifier que la mise en œuvre est correcte. Ainsi, un manager qui pratique le micromanagement et suit une formation en feedback, risque de perdre en autorité si cette transformation, pourtant positive, n’est pas expliquée et ne concerne pas l’ensemble du service. Par ailleurs, la formation de certains managers est destinée à obéir à une injonction de leur hiérarchie ou de la DRH pour justifier d’une promotion. Selon la Harvard Business Review, “dans la plupart des cas, la formation ne mène pas à une meilleure performance organisationnelle, parce que les gens reviennent rapidement à leur ancienne façon de faire” – seulement 12 % des employés appliquent les compétences acquises dans les programmes de formation.
L’écart entre l’investissement et le ressenti est abyssal
Pourtant, la formation est considérée comme un outil de développement économique pour l’entreprise. Quid du salarié ? Certains enthousiasmes peuvent s’étioler, dans la mesure où les politiques de formation mises en place par les entreprises françaises semblent moins orientées vers la sécurisation des trajectoires de leurs salariés qu’à l’appui de leur croissance et de leur performance. Par ailleurs, “en 2015, les entreprises françaises se distinguent par un investissement soutenu dans la formation, essentiellement sous la forme de cours et stages, mais accusent un retard pour les formations en situation de travail [NDLR : 23,5 % en 2015 contre 24,5 % en 2021], qui se développent par ailleurs rapidement en Europe”, souligne une étude publiée par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) en 2024.
Autre hiatus : 67 % des entreprises investissent dans les formations techniques et spécifiques au métier (Céreq) tandis que 41 % des managers pensent que leur formation est trop générale et pas assez spécifique (enquête 360learning citée plus haut). L’écart entre l’investissement et le ressenti est abyssal. En outre, 23 % de nouveaux managers n’ont pas le sentiment de bénéficier d’une formation au moment où cela leur serait le plus bénéfique. Trop tôt ou trop tard. Dernier dysfonctionnement : “ce ne sont ni le contenu ni l’approche de ces formations qui posent problème, mais la direction des entreprises, qui les met souvent en place sans réel changement de son organisation. D’où un décalage entre ce que le salarié apprend et ce qu’il constate, ce qui peut le rendre indifférent, démotivé ou cynique”, relevait en 2016 la Harvard Business Review. Ou envieux : 30 % des managers français déclarent ne pas avoir reçu de formation sur le management (étude Robert Walters, juillet 2024).
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