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Michel Barnier à l’Assemblée : la Vénus de Milo a remplacé le Premier ministre


Pour préparer un débat de la primaire de la droite en 2021, Michel Barnier avait accepté de forcer sa nature. “Il faut que tu t’entraînes en te confrontant avec Nadine Morano”, lui avaient conseillé ses amis. L’ancienne ministre sarkozyste à la gouaille légendaire n’est pas exactement la tasse de thé du Savoyard, il avait pourtant écouté et s’était entraîné avec elle.

Forcer sa nature. Le Premier ministre n’avait pas mis les pieds dans l’hémicycle depuis quinze ans, un hémicycle dans lequel lui-même n’a pas siégé depuis trente-et-un ans. L’insoumis Louis Boyard était âgé de 5 ans, la bordélisation n’avait pas valeur de stratégie politique. Un proche du chef du gouvernement a alerté Matignon, quelques jours avant sa déclaration de politique générale : “Il ne doit pas parler aux députés mais aux Français. Il ne faut surtout pas qu’il s’arrête, sinon les autres vont se déchaîner.” Michel Barnier le savait sans doute déjà, mais cela va mieux en le disant.

Il fut un temps où Michel Barnier parlait de “ruptures”. C’était au premier jour de sa vie de chef de gouvernement, sur le perron de Matignon. Mardi 1er octobre, devant les députés, il a évité de répéter le même terme et a plutôt dû souligner qu’il n’était là qu’”aussi longtemps que vous le déciderez”, puis de répéter, à la fin de son propos, en évoquant son sort : “C’est vous qui avez la clé dans vos mains.”

Pas de virage idéologique trop raide

A situation inédite, attitude inédite. Un Premier ministre pas applaudi au moment de prendre pour la première fois la parole devant l’Assemblée nationale, cela ne s’était jamais vu. 47 députés DR (Droite républicaine) enthousiastes, c’est un peu court dans cette Assemblée fragmentée.

Un Premier ministre dans l’incapacité de faire des effets d’annonce le jour de sa déclaration de politique générale, voilà qui n’est pas commun non plus. Ce n’est plus un Premier ministre, c’est la Vénus de Milo à Matignon. Qui lance une “réflexion” sur la proportionnelle”, une “réflexion” sur des ajustements de la loi sur les retraites, qui s’engage à “regarder les moyens d’augmenter les compétences des collectivités locales”, “mettre à l’étude une idée, une journée nationale de consultation citoyenne”, “reprendre le dialogue sur la fin de vie”…

Qui renvoie enfin gauche et droite à leurs “impasses idéologiques” sur l’immigration. Non, lui se saisira du sujet avec “lucidité” et “pragmatisme”. Et ce ne sont pas quelques annonces législatives – reprise du projet de loi d’orientation agricole, texte sur la violence des mineurs ou sur la reconnaissance de l’expertise des infirmiers – qui renverseront la table. Mais nécessité fait loi. Michel Barnier ne peut prendre de virage idéologique trop raide, au risque de perdre une partie de son équipage. Son hétéroclite coalition doit être dirigée avec doigté.

Pour Michel Barnier, il est plus facile de se faire applaudir en contre, “aucune tolérance vis-à-vis du racisme et de l’antisémitisme”, “aucun accommodement sur la laïcité”, “aucune remise en caisse de la loi Veil ou de la PMA”. Plus facile de se faire applaudir pour un hommage aux Français tués au Liban en 1983. Plus facile d’annoncer un report (celui des élections en Nouvelle-Calédonie) que de grandes réformes.

“A la différence des grands génies qui l’ont précédé, il n’a pas un grand plan, c’est au jour le jour”, confiait un fidèle de Michel Barnier avant la DPG. C’est le calcul du Premier ministre : jouer l’opinion contre les partis, profiter d’un paysage politique dévasté pour tenter de trouver un chemin. Cela ne fait pas rêver, il n’est pas là pour ça, telle n’a jamais été sa marque de fabrique.

Michel Barnier prend donc les Français à témoin dans sa rude bataille. “Ils nous demandent de dépasser nos divisions et nos querelles et d’agir pour l’intérêt supérieur du pays”, lance-t-il à la fin de son allocution. Il laisse son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau dérouler ses propositions droitières dans les médias, elles qui sont adoubées par les enquêtes d’opinion. Il demande ce mardi une participation fiscale accrue des “grandes entreprises qui réalisent des profits importants” ou des “Français les plus fortunés” pour résorber le déficit public. Il franchit une “ligne rouge” tracée par des macronistes ? Hé bien, qu’ils s’expliquent devant le peuple ! “Barnier colle à l’opinion, note un député EPR. On gueule à raison sur les sorties de Retailleau, mais certaines sont populaires. Si on est en plus obtus sur les impôts, on va se faire défoncer.”

“Point d’équilibre”

En 2021, Michel Barnier s’était imposé en favori de la primaire LR grâce à un style tout en retenue, voire soporifique. Cette rhétorique l’avait préservé un temps des attaques internes, tant il n’offrait guère de prise à ses concurrents. Quand on l’écoute, on baille plus qu’on ne hurle. Et si ce trait de caractère était un atout dans cette Assemblée émiettée ? On prédisait l’enfer de Dante au nouveau Premier ministre, promis à la mitraille des Insoumis. Par son ton monocorde et son propos consensuel, il les a anesthésiés.

Eux auraient aimé moins soupirer. Les députés du bloc central sont entrés dans l’hémicycle pétris d’interrogations sur les orientations du chef de gouvernement. Ils en sont sortis avec les mêmes doutes. “Très mauvais, sur le fond comme dans la forme. On ne retient rien”, lâche un cadre de l’ex-majorité. “Ce n’est pas une DPG mais une déclaration de bonnes intentions”, raille une cadre Ensemble pour la République (EPR). “Ses marges de manœuvre sont tellement étroites qu’il ne prend aucun risque”, abonde un homologue Horizons.

Michel Barnier est une pièce rapportée. Dans le bloc central, qu’il l’accueille avec méfiance. Dans cet hémicycle, qui le juge parfois illégitime à exercer ces fonctions, lui issu d’un parti aux 47 députés, lui plus à l’aise dans la défense du compromis cher au Parlement européen plus qu’à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre apporte des cadeaux à ces hôtes. Aux macronistes, il fait crédit d’une progression de la capacité d’innovation de la France “sous l’impulsion du chef de l’Etat et de ses gouvernements depuis 2017”. Au Parlement, il montre patte blanche. Oui, le gouvernement s’appuiera davantage sur ses travaux.

La veille de sa nomination, Michel Barnier confie à un fidèle : “Je pense qu’on peut être le plus petit dénominateur commun. “Non, tu es le point d’équilibre”, lui répond l’élu. Que nous sommes loin des figures classiques de la Ve. Pour qu’il soit un chef de la majorité, il lui manque deux choses : qu’il soit un chef et qu’il y ait une majorité.




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