Au tableau, l’image d’une carte Pokémon et la photo d’une bouteille d’eau. “Qu’est-ce qui coûte le plus cher ?” lance Anthony Benhamou à une classe de CM1. Les doigts se lèvent, les réponses fusent : “La carte Dracaufeu !” Bien joué. Cette édition unique a été vendue aux enchères à Londres pour 418 000 euros, leur raconte l’économiste, qui intervient ce matin-là face aux élèves du Petit Cours du Rocher, une école privée du VIIIe arrondissement de Paris. “Tout ce qui est rare est cher. Mais est-ce que cette carte est utile ?”
Une petite fille devine où ce prof d’un jour veut en venir : “On n’en a pas besoin autant que l’eau. L’eau nous permet de survivre.” Bien vu : la diapositive suivante met en scène une bouteille dans un désert aride. Aucune carte Pokémon au monde ne permet d’étancher sa soif. “Ce qui fait le prix d’une chose, c’est à la fois sa rareté et son utilité”, conclut Anthony Benhamou, économiste au Medef dans le civil, avant d’éveiller ces jeunes esprits à d’autres notions sur la formation des prix. Le tout en trois quarts d’heure chrono. Les enfants apprennent le concept de la marge, en évaluant le prix de vente d’un hamburger, et saisissent vite pourquoi le tarif fixé doit être supérieur au coût des ingrédients.
Certains ont visiblement le sens inné du business. Comme cette petite brune à sweat Mickey, qui a bien cerné qu’on pouvait choisir de vendre beaucoup de marchandises à petit prix ou peu au prix fort, selon que l’on joue sur les volumes ou la valeur. Et pourquoi pas faire de la publicité pour écouler ses produits ? “Mais ça coûte cher !” décoche-t-elle. Queue-de-cheval blonde et col roulé blanc, une camarade renchérit : “Pendant l’été, j’ai ouvert un magasin de coquillages. Pour en vendre plus, j’ai baissé le prix.” Transition parfaite vers la loi de l’offre et de la demande.
Le format emporte l’adhésion des élèves
Exemples pratiques, références ludiques. Le format est efficace et emporte l’adhésion des élèves, du personnel enseignant, et des parents lorsque les économistes en herbe relancent le débat le soir au dîner. Pour mener à bien sa démarche, Anthony Benhamou a créé en 2022 une structure, A3E (Agir pour l’éducation économique des enfants). Mais sa réflexion remonte à 2019, lors d’un séjour à Londres. Muni d’un billet de banque à l’effigie d’Adam Smith, pape de la pensée économique, il teste la connaissance d’un serveur, au café. Ignorance et indifférence… Le Parisien ressort dépité. Et comprend qu’on peut passer toute sa scolarité sans suivre un cours d’économie. Le niveau de maths dans l’Hexagone cristallise les inquiétudes. Gérer un budget ou comprendre les subtilités d’un crédit ont aussi leur importance. Or, les Français se classent à peine dans la moyenne des pays de l’OCDE, selon l’enquête de la Banque de France qui mesure leurs connaissances en la matière. Et seulement 15 % d’entre eux se disent bien formés en économie, déplore Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, dans la préface d’On parie que vous allez aimer l’économie ! (Ellipses). Un ouvrage cosigné par Anthony Benhamou et Marc-Olivier Strauss-Kahn, ancien économiste à la Banque de France, destiné à un public d’étudiants et de cadres.
“Pourtant, c’est une discipline qui permet une meilleure compréhension du monde, de meilleures prises de décision, insiste le premier. Les économistes sont les champions pour commenter ce qui ne va pas. A nous aussi de faire avancer la société.” Ce père de quatre jeunes enfants teste ses intuitions avec sa progéniture. C’est ainsi qu’il a conçu un module à partir du personnage de Picsou, idole de l’aîné, autour du thème de la monnaie, “sans tabou, dans un pays de tradition judéo-chrétienne où parler d’argent ne va pas de soi”. La deuxième session est consacrée à la formation des prix. La troisième aborde le monde de l’entreprise, à travers l’exemple d’un fabricant de citronnade. “On essaie de déterminer le prix du produit, et on trinque à la fin de la séance. Ça doit rester un bon moment.” L’enseignant écume une dizaine d’écoles primaires par an, en région parisienne et dans le nord de la France.
Les écoliers sont ensuite conviés à Citéco, la Cité de l’économie, ex-succursale de la Banque de France devenue musée, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Ils visitent la salle des coffres, et repartent du photomaton avec leur bobine sur un billet de banque. Pour se mettre à la hauteur des 6-10 ans, Citéco va créer un espace dédié, projet auquel Anthony Benhamou apporte sa contribution. “En classe, nous entrons dans leur monde. Cette fois, ce sont eux qui entreront dans le nôtre.”
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