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EXCLUSIF. L’antisémitisme au plus haut en France, un an après le 7 octobre

Ce sont des chiffres collectés par la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) au ministère de l’Intérieur, que L’Express a pu consulter en exclusivité. Ces relevés, portants sur les agressions racistes et antireligieuses en France entre janvier et juin 2024, attestent de l’ampleur de l’antisémitisme dans l’expression de la haine. Alors que les juifs comptent pour moins de 1 % de la population française, les agressions antisémites représentent désormais 57 % de l’ensemble des agressions racistes et antireligieuses dans le pays. Une disproportion effarante, connue des statisticiens policiers, mais souvent tue par crainte d’alimenter des concurrences victimaires. Un an après le 7 octobre, elle atteint un niveau inédit. Il convient de la regarder en face.

Le thermomètre français de la haine se situe à Beauvau. Au premier semestre 2024, 887 faits antisémites ont été relevés, dont 563 atteintes aux personnes, en hausse de 192 % par rapport au premier semestre 2023. Près de cinq par jour, regroupant des atteintes physiques, des insultes, des menaces ou des dégradations ayant entraîné une procédure policière, comme une plainte, ou judiciaire.

Les faits racistes, liés à l’origine d’une personne ou d’une communauté, augmentent également légèrement, de 10 % ; Beauvau en dénombre 573 en six mois, soit trois par jour. Idem pour les faits antimusulmans, en hausse de 5 % ; on en recense 101, à cette précision près que lorsqu’une agression présente un caractère arabophobe, mais qu’il n’est pas question explicitement de l’islam, elle est classifiée parmi les agressions racistes. Les faits anti-chrétiens présentent eux, une particularité : ils concernent en grande majorité (92 %, c’est-à-dire 312 faits) des atteintes aux biens, c’est-à-dire des dégradations d’édifices religieux comme des églises. 29 atteintes aux personnes portant un motif exclusif anti-chrétien sont également relevées, en six mois.

“Contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France”, assénait Jean-Luc Mélenchon sur son blog, le 2 juin dernier. Allégation péremptoire sourcée au nez mouillé et totalement hors-sol lorsqu’on pose ce constat lourd, pareil à un pavé dans l’estomac : plus d’une agression raciste sur deux, en France, concerne un juif. Depuis vingt-cinq ans, la courbe des faits antisémites n’a cessé de dessiner une pente toujours plus abrupte. En 1992, seulement 139 faits antijuifs sont signalés dans l’année ; en 2016, un an après le massacre de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, on en dénombre 606.

Evolution de l’antisémitisme

Septembre 2017, L’Express consacre sa Une au “nouveau malaise des Français juifs” ; la Fondation pour la mémoire de la Shoah s’alarme dans un rapport que “les Français juifs subissent un tiers des actes racistes”. Une proportion désormais obsolète, tant la haine à l’encontre des juifs a encore flambé. Le total annuel des faits antisémites d’il y a sept ans est désormais atteint en quatre mois. Celui de 1999, point bas historique (69 actes annuels), en deux semaines.

D’où vient cette haine grandissante ? Que les faits antisémites connaissent une augmentation de 192 %, c’est-à-dire une multiplication par trois, depuis le 7 octobre, depuis aussi les bombardements à Gaza, doit alerter sur ce qui excite ces pulsions. Dans les mots de nombreux agresseurs, le rapport à la Palestine est transparent. Début mars, dans le 20e arrondissement de Paris, un homme de 61 ans est tabassé à la sortie d’une synagogue. “C’est toi qui tues les gens à Gaza ?”, lui demande l’agresseur. Il écope de trois ans prison. À Gennevilliers, en avril, une femme de confession juive est séquestrée et menacée de mort par un homme ayant le “désir de venger la Palestine”. En juin, une jeune fille de 12 ans est violée par trois adolescents du même âge. Ils l’ont traitée de “sale juive”, lui ont reproché d’avoir caché sa religion et d’être contre la Palestine, la photo d’un drapeau israélien brûlé a été retrouvée dans le téléphone d’un des auteurs.

“Je voulais attaquer des juifs”

Dès 2002, l’universitaire Pierre-André Taguieff évoquait “la nouvelle judéophobie”, un antisémitisme mû par la haine d’Israël, devenue le combat d’une partie du monde arabo-musulman. Dans certains cas, cette motivation communautaire se mêle à un discours islamiste. Le 17 juillet, Dereck Riant, fiché S radicalisé, est interpellé dans la Sarthe alors qu’il est en route pour commettre un attentat. Il a tenté d’égorger un chauffeur de taxi “en tenant des propos favorables au Hamas” et à “ses frères musulmans”, témoignera la victime. “Je voulais attaquer des juifs […] Je serais tombé sur un mec du Crif, je l’aurais tué”, confirmera-t-il en garde à vue. Le 24 août, El-Hussein Kenfri incendie la synagogue de la Grande-Motte (Hérault), affublé d’un drapeau palestinien et d’une hache dont il a recouvert le manche d’inscription sur la Palestine et le sang des musulmans. “El-Hussein Kenfri s’est radicalisé dans la pratique de sa religion depuis plusieurs mois et nourrit également, de longue date, une haine des juifs, plus spécifiquement focalisée sur la situation en Palestine”, précise alors le parquet national antiterroriste. Depuis 2006, onze juifs ont été assassinés pour des motifs antisémites.

Ces violences racontent aussi le signe égal que ces esprits dressent entre “Israéliens”, “sionistes” et “juifs”. Au moins dans certains cas, cette confusion paraît savamment entretenue, comme le 8 septembre, lors de la manifestation parisienne organisée par plusieurs associations pro-palestiniennes, à laquelle participent plusieurs parlementaires de la France Insoumise. Si le mot d’ordre ne vise que le gouvernement israélien, à la tribune, le militant Ramy Shaath évoque les “sionistes”, en arabe, selon l’écrivain Omar Youssef Souleimane, présent sur place. A deux reprises, il parle même des “juifs”, un terme qu’Omar Alsoumi, dirigeant d’Urgence Palestine, traduit par “Israéliens”. Le 11 octobre 2023, à Marseille, lors d’une manifestation organisée notamment par la CGT locale, les slogans habituels sur Israël et le sionisme ont laissé place, un instant, à une accusation plus crue. “Les juifs, les juifs, c’est vous les terroristes”, a-t-il été proféré, selon le témoignage de Pascale Léglise, directrice des libertés publiques au ministère de l’Intérieur, devant le Conseil d’Etat, le 17 octobre.

Dès 2014, tout en réfutant la thèse de Pierre-André Taguieff sur la “nouvelle judéophobie”, qu’elle considérait peu rigoureuse, la chercheuse Nonna Mayer avait soulevé l’existence d’un “antisémitisme de contact”, “dans les quartiers où les communautés se croisent”. Ce diagnostic semble plus valide que jamais, bien qu’il n’ait jamais été réellement pris au sérieux par les autorités. En 2016, dans L’an prochain à Jérusalem ? (Editions de l’Aube), Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach démontrent comment les Français juifs ont fui certains quartiers, à Saint-Denis, Aulnay-sous-Bois ou Villepinte (Seine-Saint-Denis). Le 20 février 2019, Emmanuel Macron annonce, lors du dîner annuel du Crif, la réalisation d’un audit sur le nombre d’enfants juifs qui quittent l’école publique. Comme le révèle l’enquête de L’Express dans notre dossier du 3 octobre, cette étude n’a toujours pas été réalisée quatre ans plus tard.




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