Dans le très haletant livre La surprise du chef (éditions Denoël, 272 p.) à paraître le 9 octobre, soit quatre mois jour pour jour après l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron, la rédaction de Politico décortique l’une des séquences les plus hallucinantes de la Ve République. “En revenant sur la période avec ce livre, une des surprises pour moi, ç’a été Edouard Philippe”, confie la cheffe du service politique Pauline de Saint Remy. Un feuilleton dont les protagonistes ne sortent pas tous grandis. Entretien.
L’Express : Pourquoi revenir sur la dissolution ? Y avait-il encore des choses à raconter sur cette période folle ?
Pauline de Saint Remy : La période a été tellement intense, tout est allé si vite, que nous avons eu envie de nous replonger à tête reposée dans ce feuilleton et de décortiquer certains épisodes. Je dois d’ailleurs avouer que de ma carrière de journaliste politique, je n’avais jamais aussi peu vu venir une annonce.
On avait bien entendu parler de la rumeur. D’abord, on a appris qu’Emmanuel Macron allait prendre la parole, alors que cela devait être Gabriel Attal. On savait donc qu’il allait se passer quelque chose. Mais personne ne croyait à cette dissolution, pas ce soir-là, le soir des élections européennes, parce que cela ne nous semblait pas rationnel, la majorité présidentielle étant promise à une raclée en cas de législatives anticipées. Encore aujourd’hui, je cherche la part de rationalité dans cette décision…
Qu’est-ce qui, selon vous, a pu le conduire à prendre une telle décision ?
Macron a toujours aimé surprendre, et prendre des décisions à contre-courant. Par le passé, on a pu penser qu’il commettait une erreur, avant de convenir qu’il avait eu raison. Sa candidature à la présidentielle en 2017 semblait au départ une folie. Puis il y a eu le “grand débat” à la suite de la crise des gilets jaunes. Quand il l’a annoncé, nous nous sommes demandé ce qu’était ce “machin”. Alors qu’il était perçu par les gilets jaunes comme étant en grande partie la source du problème, on ne voyait pas comment il pourrait le régler. Avec du recul, on peut bien sûr être critique des cahiers de doléances qui prennent la poussière. Mais sur le moment, le “machin” a remis le président en jeu, alors que tout le monde le pensait cuit.
Suite à sa décision de dissoudre, Nicolas Sarkozy et un ancien conseiller qualifient Emmanuel Macron de “fou”. Etait-ce un coup de folie ?
Le terme “folie” est excessif. Mais il y a eu une part d’irrationnel. Emmanuel Macron fonctionne à l’instinct. Avoir pris depuis 2017 des décisions importantes qui ont pris tout le monde à rebours, y compris son entourage et finir par avoir raison de lui, a sans doute donné trop confiance en lui. Là, pour la première fois, beaucoup de ceux qui l’entourent semblaient eux-mêmes douter dès le moment de l’annonce. Il y a eu une vraie rupture de confiance au sein de la majorité. Les députés, leurs collaborateurs, les ministres ont vu leur carrière partir en fumée, étant directement concernés. Ils n’ont pas mâché leurs mots…
Il a été beaucoup question de l’influence exercée par quatre conseillers officiels ou officieux (Clément Léonarduzzi, Jonathan Guémas, Bruno Roger-Petit et Pierre Charon) dans sa décision de dissoudre. Vous semblez minimiser leur rôle…
Il s’agissait moins de minimiser que de rentrer dans le détail d’un processus de prise de décision qui, comme souvent, a été complexe, voire brumeux. C’est un grand classique. Certains conseillers se sont, au départ, vantés d’avoir tenu un rôle dans la prise de décision. Ce n’était pas entièrement faux. La question d’une dissolution a par exemple bien été mentionnée lors d’un dîner le 20 mai. Mais penser que Macron, en sortant de là, a décidé de dissoudre au soir des européennes ne lui ressemble pas. Il a toujours pris ses décisions à la toute dernière minute, étant capable de changer d’avis jusqu’à la fin. Presque tout le monde autour de lui convenait d’ailleurs qu’il fallait bien en passer par une dissolution, vu que la majorité ne tenait plus. Ce qui a surpris tous les observateurs, c’est le timing, pas la dissolution en elle-même. Macron voulait prendre ses adversaires de court. Il était convaincu que la gauche ne pouvait pas s’unir. Tout repose sur cette conviction. Or c’était l’erreur fondamentale…
Lors de la soirée du second tour des législatives, Brigitte Macron a fulminé
Comment Macron a-t-il pu penser cela, alors que la mythologie du Front populaire et de l’union reste forte à gauche, notamment face à l’extrême droite ?
Effectivement, c’est la grande question. On peut se dire, comme nous l’ont fait remarquer certaines sources, qu’il est aujourd’hui entouré principalement de gens de droite. C’est vrai. Mais il y a aussi des personnalités autour de lui telles que Julien Denormandie, Richard Ferrand et des personnes qui connaissent le PS. Une source venant de gauche l’avait averti le matin même, disant au président : “il ne faut vraiment jamais avoir mis un pied dans un congrès du PS pour croire qu’ils ne vont pas s’unir”.
Macron a pris la décision fondamentalement seul, même s’il a eu beaucoup de conversations en amont, comme ce soir d’avril où il a élevé le sénateur Pierre Charon au grade d’officier de la Légion d’honneur. Ces moments, avec alcool et cigares, sont propices aux scénarios, certains aimant jouer les barons noirs. Mais comme tout président, Macron ne révèle jamais rien de ses intentions dans ces conversations. Cela a pu créer une atmosphère. Mais dire qu’il y avait une cellule organisée à l’Elysée est exagéré. Certains des mêmes qui étaient censés être dans la confidence ont d’ailleurs fini par nous avouer qu’ils avaient eu la conviction que ça n’allait se faire que dans les derniers moments. Bruno Roger-Petit avait certes glissé la veille au soir à son voisin de table au dîner d’Etat à l’Elysée que Macron allait dissoudre. Mais le lendemain, quand les premiers résultats des élections européennes venus d’Outre-mer sont arrivés au Palais, moins mauvais qu’attendus, les proches avaient plutôt le sentiment que Macron était encore hésitant.
Impossible de ne pas se poser la question en lisant votre livre : Macron est-il mal entouré ?
Il était furieux des articles qui sont sortis sur ses conseillers. Forcément, ceux-là laissaient penser qu’il était sous influence. Il est difficile de savoir s’il n’a pas eu les bons conseils, ou s’il n’a pas écouté ceux qu’il aurait dus. Comme je vous le disais, le matin même, une personne de gauche en qui il a confiance l’avait averti. Au même moment, Philippe Grangeon, qui a longtemps été vu comme son “hémisphère gauche”, a aussi fait porter un courrier au président, lui disant que ces élections européennes n’étaient pas non plus un drame, et qu’on se sort d’un échec électoral. Ce qui est certain, c’est que depuis le début de son premier quinquennat, beaucoup se sont éloignés de lui.
Quel a été le rôle de Brigitte Macron ?
Elle reste très présente dans le dispositif. Lors de la soirée du second tour des législatives, elle a fulminé, car le “régicide” de François Ruffin, le premier à invoquer le Front populaire, a finalement sauvé sa peau dans sa circonscription de la Somme. Elle déteste Ruffin, ancien élève comme Macron du lycée La Providence à Amiens, qui a affirmé en 2018, lors de la crise des gilets jaunes, que le président “finirait comme Kennedy”.
Tout au long du récit, on est surpris par la distance et la froideur des relations entre Gabriel Attal et Emmanuel Macron. Le premier a-t-il fait trop d’ombre au second lors de son passage à Matignon ?
Ils n’ont jamais été très proches, en réalité, même si on les a souvent comparés. Macron n’a pas du tout la même relation avec Gabriel Attal qu’avec Julien Denormandie ou Stéphane Séjourné. Attal a un côté très pro, qu’il apprécie. Mais il n’y a pas d’affect. Un proche d’Attal racontait par exemple que lorsqu’il était ministre et prenait le président au téléphone, il le faisait toujours entouré de ses conseillers.
C’est la première fois que Macron a nommé un Premier ministre qui pouvait dès le départ lui faire de l’ombre. Assez vite, ce qui a fuité de l’Elysée, c’est que Macron considérait qu’il lui avait fait un cadeau en le nommant. Mais il ne voulait pas non plus lui mettre lui-même le pied à l’étrier pour 2027. Le président a sous-estimé à quel point Attal allait appliquer à Matignon les mêmes méthodes qu’il avait appliquées auparavant, avec une garde rapprochée entièrement au service de son image personnelle. C’est en tout cas ce qui lui a été reproché par l’Elysée comme par des ministres. Et il y a eu la fameuse visite au Salon de l’Agriculture où Macron se fait huer, alors qu’Attal, qui fait une contre-visite non prévue, est bien mieux reçu, ce qui a été vécu comme une humiliation par le président.
Pour Attal, la dissolution a été un “choc”, d’après ses proches. Il ne l’avait pas vue venir. Le 31 mai, il a eu, à sa demande, un entretien avec le président, au cours duquel il a évoqué la rentrée difficile, lui proposant des solutions pour éviter une motion de censure sur le budget. A aucun moment, Macron n’aurait évoqué l’éventualité d’une dissolution, alors que l’hypothèse était déjà en germe. Le président ne lui en parlera le soir-même qu’à 18h45, alors que d’autres ont été prévenus bien plus tôt. Ensuite, il y a eu 24 heures durant lesquelles Matignon ne répondait plus. Mais on a vu qu’Attal était un combattant. Il a rapidement compris qu’il était de son intérêt d’assumer une campagne qu’il n’avait pourtant pas voulue. Il a aussi compris qu’il y avait une rupture entre Macron et une grande partie de la Macronie.
Le personnage le plus politique est sans conteste Gérald Darmanin…
Darmanin, c’est “un jour une stratégie” selon ses détracteurs (rires). On a beaucoup parlé de son rôle dans la décision. Il n’y a pourtant que partiellement contribué. Il a dit en privé l’avoir encouragée mais ne pas y avoir pensé qu’il le ferait. Il a d’ailleurs été surpris, quand deux jours avant, il voit Macron et ressort convaincu que la dissolution est une vraie hypothèse pour dimanche soir. Mais cela lui a donné plus de temps pour réfléchir. Quand on croit que la décision a été prise, autant feindre d’en être l’organisateur. Le dimanche sur le plateau de TF1 pour la soirée électorale, c’est même lui qui prévient hors antenne Olivier Faure.
Quels sont les gagnants de cette séquence ?
On n’a pas encore assez de recul. Mais en revenant sur la période avec ce livre, une des surprises pour moi, ç’a été Edouard Philippe. Au moment de l’annonce de la dissolution, on s’est dit qu’il allait en être une victime collatérale. Un de ses proches, furieux, a même pensé que Macron aurait pu prendre cette décision contre lui. Tout le monde pensait qu’il n’allait lui rester plus que cinq députés Horizons, et donc plus de groupe parlementaire. Mais sur le coup, on n’a pas mesuré à quel point il l’a finement joué, notamment sur le plan tactique au moment des investitures, profitant de la désorganisation au siège de Renaissance. Il a aujourd’hui une trentaine de députés, avec plus financements qu’il y a deux ans.
Philippe a aussi très tôt compris dans la campagne que la question du Front républicain et des désistements allait être par la suite un marqueur fort par rapport à ses rivaux potentiels pour 2027, à commencer par Attal, qui lui taillait des croupières depuis quelques mois auprès de l’électorat de droite. Avec son “ni RN, ni LFI”, il a été sur une ligne qu’il estimait plus claire que celle d’Attal et Macron, même si dans la réalité, lui aussi a fait du cas par cas. Mais du coup, Attal a semblé se positionner plus à gauche, et Philippe a voulu marquer des points. En revanche, on peut s’interroger sur le timing de l’annonce de sa candidature à la prochaine présidentielle, alors que la France n’avait alors toujours pas de Premier ministre…
A l’inverse, Stéphane Séjourné, alors à la fois ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de Renaissance, n’en sort pas forcément grandi…
Il s’est fait beaucoup d’ennemis dans le parti. Séjourné a dit qu’il allait “prendre ses responsabilités” pour les législatives. Mais après avoir essayé de récupérer la circonscription de Rachida Dati à Paris, il a fini par être candidat dans une circonscription imperdable, à Boulogne-Billancourt, tout en restant ministre des Affaires étrangères, à un moment où beaucoup dans son parti avaient peur d’être laminés. Et il finit aujourd’hui par être vice-président à la Commission européenne. Pourtant, Renaissance n’était absolument pas préparé à cette campagne des législatives. Des sources nous ont confié que si Séjourné avait vraiment été au courant pour la dissolution, ils auraient bossé en amont sur les investitures.
Aujourd’hui, les macronistes et les Républicains sont alliés. La ligne Sarkozy l’a-t-elle emporté ?
Je pense qu’on surestime le rôle de Sarkozy auprès de Macron. Même des anciens sarkozystes disent que l’ancien président a l’art d’intervenir à certains moments dans la presse pour faire croire qu’il a de l’influence. Son intervention dans le JDD, – pourtant détenu par Vincent Bolloré qui est un partisan de l’union des droites entre LR et RN -, a eu un vrai impact. Sarkozy y expliquait qu’Eric Ciotti a fait un calcul suicidaire en devenant le “supplétif” du RN. Mais en privé, il enrage que Macron ne l’écoute pas. Macron a toujours eu l’intelligence de “traiter” Sarkozy pour s’assurer avant tout qu’il ne lui nuise pas.
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