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OpenAI : sa colossale levée de fonds ne cache pas l’éléphant dans la pièce


Des milliards comme s’ils en pleuvaient. Le bulletin météo ne change pas depuis deux ans chez OpenAI. L’entité cofondée par Sam Altman vient de boucler une colossale levée de fonds de 6,6 milliards de dollars. Un tour de table qui peut surprendre bien que les participants soient les “usual suspects” du secteur : Thrive Capital, Microsoft, Nvidia, SoftBank ou encore le fonds d’Abu Dhabi MGX.

Microsoft n’avait-il pas déjà investi 10 milliards de dollars dans OpenAI il y a moins de deux ans ? La valorisation de l’entité cofondée par Sam Altman a grimpé à un rythme affolant, en passant de 20 milliards en octobre 2022 à 157 milliards aujourd’hui. Même la comète SpaceX avait mis trois fois plus de temps à monter à cette altitude. “En levant de tels montants, le message qu’OpenAI envoie à ses concurrents, c’est : ‘Vous n’arriverez jamais à nous rattraper'”, analyse un investisseur parisien focalisé sur la technologie.

Si l’équipe d’OpenAI a de bonnes raisons de sabrer le champagne, cette levée met tout de même sous les projecteurs une question qui fâche. L’éléphant dans la pièce que beaucoup font mine d’ignorer : l’IA générative est un business dispendieux. Pour ne pas dire ruineux. OpenAI peut se targuer d’avoir attiré des utilisateurs et généré des revenus en un temps record. Plus de 250 millions de personnes utilisent désormais ChatGPT chaque semaine. Parmi eux, onze millions sont abonnés à des versions payantes (10 millions à ChatGPT Plus et 1 million aux versions “Entreprise”). Grâce à quoi, la start-up génère dès à présent de coquets revenus. Selon le New York Times, qui s’est procuré des éléments transmis par OpenAI aux potentiels investisseurs, elle a réalisé 300 millions de dollars de chiffre d’affaires au mois d’août et devrait en totaliser 3,7 milliards sur l’année 2024. OpenAI prévoit de générer 11,6 milliards de dollars dès l’an prochain.

OpenAI “brûle du cash” à un rythme affolant

Mais les chiffres révélés par le quotidien américain jettent aussi une lumière crue sur le coût de ces IA génératives : celui de l’entraînement avant leur mise sur le marché, mais aussi le coût de “l’inférence” (ce que vaut chaque demande faite à ChatGPT), peut-être le plus ennuyeux. Ces coûts sont à l’évidence élevés car, en 2024, OpenAI enregistrera encore 5 milliards de dollars de pertes. Et ce chiffre ne tient pas compte de la rémunération en actions dont bénéficient les salariés d’OpenAI, ni de plusieurs autres postes de dépenses significatifs.

Vu le rythme auquel OpenAI “brûle du cash”, elle aura bientôt besoin de lever de nouveau des milliards de dollars. “A terme, elle se cotera en Bourse, mais plutôt à horizon de deux ou trois ans”, pronostique un bon connaisseur de cet écosystème. Son rival Anthropic, qui a déjà levé 7 milliards l’an dernier, cherche d’ailleurs lui aussi activement de nouveaux investisseurs.

L’équipe d’OpenAI fait le pari que les coûts de l’inférence baisseront à terme. Et elle a prouvé, par le passé, qu’elle ne manquait pas de flair. “Une des clefs de leur succès actuel est d’avoir fait le pari risqué, car très coûteux, qu’en augmentant massivement la taille des modèles, ceux-ci deviendraient nettement meilleurs. Des projections le suggéraient mais cela n’avait rien de certain. Jusqu’à ce qu’on voie les performances incroyables de GPT-3”, confie un chercheur français spécialiste de l’intelligence artificielle.

Malgré la trajectoire hors-norme d’OpenAI et la confiance qu’elle suscite auprès des investisseurs, une inconnue fâcheuse demeure : les revenus de la start-up dépasseront-ils un jour ses coûts ? OpenAI aurait l’intention d’augmenter le prix de l’abonnement mensuel à ChatGPT à 22 dollars d’ici la fin d’année et à 44 dollars d’ici cinq ans. Une hausse de prix agressive, qu’il risque d’être difficile à faire avaler aux utilisateurs pour deux raisons.

Le talon d’Achille des IA génératives

La première ? Malgré les déclarations théâtrales d’Altman – et de bien d’autres -, les IA génératives sont loin d’avoir prouvé leur pertinence dans tous les domaines. Pour des tâches où la fiabilité de la production n’est pas le principal critère (texte ou visuel créatifs, etc.), les grands modèles de langage peuvent faire gagner un temps précieux dès lors que l’utilisateur sait bien formuler sa demande. Ils obtiennent également des résultats bluffants dans des domaines tels que la traduction. Qu’on exige en revanche des IA génératives des réponses fiables, du raisonnement, et les choses se compliquent. Sérieusement. Car elles ne font jamais que des réponses probabilistes sophistiquées.

Si, à des questions telles que “Combien font 2 + 2 ?”, ChatGPT répond parfois “4”, c’est parce que les vastes corpus de textes sur lesquels il a été entraîné lui font dire que c’est probablement la meilleure réponse, pas parce qu’il a exécuté l’opération. Il se trompe d’ailleurs souvent dans des opérations toutes bêtes.

Le nouveau modèle OpenAI o1 dévoilé par Sam Altman le 13 septembre améliore, certes, la situation, en décomposant les problématiques complexes qu’on lui soumet en plusieurs étapes simples et en évaluant la fiabilité de son “chemin de pensée”. Mais même o1 ne réglera pas totalement le problème. Une petite devinette que nous lui avons soumise souligne à quel point “o1” manque encore de bon sens : “Une maîtresse de grande section de maternelle demande à ses élèves de couper une feuille de 10×10 cm en bandes de 2x10cm. En moyenne, un enfant de cette classe met 20 secondes pour couper une bande. Combien de temps mettra un enfant pour couper entièrement sa feuille en bandes ?” Si le raisonnement qu’o1 suit ne manque pas de logique (il évalue le nombre de bandes contenues dans la feuille avant de le multiplier par le temps moyen pour couper une bande), l’IA n’a pas “compris” qu’une fois l’avant-dernière bande coupée, la dernière l’était simultanément. La bonne réponse est donc 80 secondes et non pas 100, comme o1, et beaucoup d’entre nous, peuvent le penser instinctivement.

Dans un long entretien donné à l’Express, le professeur à l’université de Berkeley et auteur de l’ouvrage de référence Artificial Intelligence : A Modern Approach, Stuart Russel, confie que “se contenter d’entraîner des LLM ne produira pas de vraie IA”. Il faudra sans doute, selon lui, recourir à d’autres approches. Une nécessité également pointée par Yann Le Cun, le directeur de la recherche en IA de Meta, qui a reçu avec Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton en 2019 un prix Turing pour leurs travaux sur les réseaux de neurones profonds.

Les intelligences artificielles d’OpenAI et de ses rivaux obtiennent des résultats impressionnants aux tests qu’on leur fait passer dans différents domaines (mathématiques, développement informatique…). “Le problème est que leurs corpus d’entraînement est désormais si vaste qu’on ne sait pas si ces IA arrivent à généraliser des compétences latentes à partir de ces données ou qu’elles répètent, telles des perroquets, des choses qu’elles ont vu passer”, confie un chercheur en IA.

Le prix de ChatGPT va doubler

La deuxième raison pour laquelle OpenAI aura peut-être du mal à faire avaler ses hausses de prix est que la concurrence devient rude dans le domaine. Plusieurs acteurs (Anthropic, Google, Mistral AI…) lui soufflent dans le cou. Et Meta a savonné la planche de ceux qui espèrent gagner de l’argent avec l’IA, en rendant son modèle Llama open source. Il est vrai que le groupe de Mark Zuckerberg, lui, a moins besoin de vendre l’IA à ses utilisateurs que de garder ces derniers en leur offrant des outils ludiques grâce à elle.

Conscient de cela, Sam Altman a d’ailleurs demandé aux investisseurs ayant participé à son dernier tour de table de ne pas investir dans d’autres entreprises concurrentes comme Anthropic ou xAI, la start-up d’Elon Musk, révèle le Financial Times.

OpenAI a une course serrée à remporter. Mais dans ce marathon, l’entreprise traîne quelques boulets. Le plus gros ? La crise interne que la start-up traverse. Depuis quelques mois, OpenAI a vu partir plusieurs membres ayant participé à sa création. John Schulman, Ilya Sutskever, Andrej Karpathy… Des onze fondateurs d’OpenAI, il ne reste plus que Sam Altman et Wojciech Zaremba. Greg Brockman n’est pas officiellement parti mais il a pris un congé sabbatique sans indiquer d’horizon de retour précis.

Le cercle des cofondateurs d’OpenAI n’est pas le seul à s’être rétréci. Plusieurs figures clefs de l’entreprise sont parties telles que Jan Leike en mai dernier. Et le 25 septembre, coup de tonnerre : Mira Murati, la directrice technologie d’OpenAI, Bob McGrew, le directeur de la recherche, et Barret Zoph, le VP chargé de la recherche, font tous les trois leurs valises. Bien sûr, la mode de l’IA alimente en partie ces départs : les entreprises concurrentes et les investisseurs font miroiter des ponts d’or aux pontes de l’IA pour qu’ils rejoignent leurs rangs ou montent leur entreprise. Mais cela ne suffit pas à expliquer une telle vague de départs. Plusieurs membres ont d’ailleurs fait savoir que la direction prise par OpenAI ne leur convenait plus.

La question brûlante derrière cette fuite de cerveaux est : OpenAI a-t-il les talents requis pour mener à bien ses projets (GPT-5, Sora, etc.) ? Malgré les messages stoïques postés par Altman et Zaremba, on sent que les choses se compliquent. Ce dernier vante sur le réseau social X une start-up “incroyablement merveilleuse malgré toutes ses imperfections. Sam, en dépit de ses failles et de ses erreurs, a créé une incroyable organisation”. Mais pour se remonter le moral, il en appelle à de drôles de comparaisons. “Leur départ m’a fait penser aux épreuves des parents au Moyen-Age, quand six de leurs huit enfants mourraient prématurément. Les parents devaient accepter ces pertes douloureuses et trouver une joie et une satisfaction profonde dans les deux survivants”. Bonjour l’ambiance.

Les projets lunaires de Sam Altman

Ces derniers départs pourraient bien avoir été la goutte de trop pour Apple, qui envisageait au départ de participer à la levée d’OpenAI, mais y a finalement renoncé. Et des séismes internes, OpenAI s’apprête à en vivre d’autres, la start-up ayant visiblement la ferme intention de s’éloigner de sa nature d’entité à but non lucratif. Son objectif de se transformer en entreprise à but lucratif de type B-Corp promet de poser un casse-tête juridique autour du nombre, de la valeur et du partage des actions d’OpenAI.

La clef du succès d’OpenAI sera de garder un certain pragmatisme. Certes, c’est en osant dépenser de l’argent pour créer de plus gros modèle que l’entité a réussi. Il ne faudrait pas, pour autant, porter cette logique à l’extrême. Les déclarations de Sam Altman à ce niveau pourraient légitimement inquiéter ses investisseurs. “Je me fiche qu’on brûle 500 millions, 5 milliards ou 50 milliards de dollars. Tant que nous sommes sur la bonne trajectoire pour créer davantage de valeur que cela pour la société”, déclarait-il, il y a quelques mois.

Le récit du New York Timesde son passage au siège de TSMC à Taïwan est dans la même veine. Avec légèreté, Altman agite devant la direction du géant des semi-conducteurs l’idée d’investir 7 000 milliards de dollars pour construire 36 usines de fabrications de puces. Des déclarations jugées lunaires par plusieurs officiels du groupe qui savent les risques posés par ce type de projets dispendieux, relate le média américain. D’entreprise visionnaire à accident industriel, la frontière est toujours fine. OpenAI doit veiller à rester du bon côté.




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