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Technologies quantiques : pour la France, une avance à ne pas gâcher


A l’inverse de l’intelligence artificielle, dont les récents progrès sont tangibles, les technologies quantiques souffrent d’un manque de visibilité. Elles sont difficiles à appréhender, étant basées sur des principes scientifiques pointus comme la superposition et l’intrication d’atomes, de spins et de photons. Et bien qu’elles soient promises à révolutionner le calcul intensif utilisé entre autres dans la chimie, la santé, ou bien l’énergie, leurs applications concrètes pour le grand public ne verront probablement pas le jour avant plusieurs décennies. “L’aventure que nous vivons en ce moment dans le quantique est comparable à celle des pionniers de l’informatique dans les années 1950”, imageait il y a un an à L’Express Georges-Olivier Reymond, le patron de l’entreprise française Pasqal, spécialisée dans le domaine. De la même manière, il semble crucial de s’y positionner le plus tôt possible.

Dans l’Hexagone, le message a été compris, indique une note de l’Institut Montaigne, publiée ce jeudi 3 octobre. La France “est bien positionnée tant sur le plan scientifique qu’en matière d’exportation de ses infrastructures et de son matériel quantique”, observe le think tank, par rapport à des compétiteurs mondiaux, les Etats-Unis en premier lieu. Le pays a su “faire émerger quatre des six technologies quantiques les plus prometteuses : les atomes froids [NDLR : parfois évoqués sous l’expression “atomes neutres”], les photons intriqués, les supraconducteurs et les systèmes spin-silicium”.

Pasqal, donc, cofondée par le prix Nobel de physique Alain Aspect, mais aussi Alice & Bob, Quandela, C12 ou encore Welinq font partie des startups locales les plus avancées sur ces questions. “Sur le plan de la commercialisation de ses infrastructures et de son matériel quantique, les acteurs français détiennent 28 % des parts de marché des infrastructures quantiques mondiales, principalement concentrées sur les processeurs, rivalisant ainsi directement avec les leaders américains”, écrit l’Institut Montaigne. Des succès récents : Quandela a annoncé début septembre l’installation prochaine d’un ordinateur quantique chez Exaion, une filiale d’EDF installée au Quebec (Canada). Pasqal a quant à lui dévoilé, en mai dernier, la signature d’un accord avec le géant saoudien de l’énergie, Aramco, afin de lui livrer une machine d’ici l’an prochain. Des contrats à plusieurs millions d’euros, qui en appellent d’autres. Le marché global de l’informatique quantique pourrait s’élever, en 2040, à 850 milliards de dollars, souligne une autre étude publiée cet été par le cabinet américain BCG (Boston Consulting Group).

Un retard dans le logiciel

Ce constat est de bon augure pour une filière au développement méthodique, qui bénéficie déjà de ses propres fonds d’investissement privés à l’image de Quantonation, et d’un soutien notable de la part du secteur public – européen comme français. En témoigne la mise en place du “Plan Quantique”, en 2021, dans lequel l’Etat a investi un milliard d’euros, ou le lancement au printemps du programme de commande “Proqcima”, doté quant à lui de 500 millions d’euros. Lancé par la Direction générale de l’armement (DGA), ce dernier met en compétition cinq startups françaises dans la conception de deux ordinateurs hyper-performants d’ici 2030 et 2035. Une méthode inspirée du projet britannique “Ultra”, durant la Seconde Guerre mondiale, ayant permis aux alliés de créer en un temps record une machine de déchiffrement des messages secrets envoyés par les nazis.

Cette appétence de la France et de l’Europe pour les infrastructures dans le monde quantique est la bienvenue. Car dans l’intelligence artificielle (IA), c’est son faible développement à ce niveau qui la pénalise. Un bémol est toutefois mis à la stratégie française. L’Institut Montaigne déplore “l’absence d’acteurs français sur des segments de marché essentiels à la construction d’une offre quantique à vocation internationale, notamment ceux des intergiciels et des logiciels quantiques”. Or, ces briques sont essentielles pour “exploiter le matériel quantique” et en “accélérer les avantages”, énonçait également le BCG. En bref : déterminer là où le quantique est avantageux par rapport à l’informatique dite “classique” (comprenant l’IA telle qu’on la connaît actuellement), afin de l’imposer plus facilement.

“Aucune entreprise française n’a, à ce jour, réussi à commercialiser des outils de développement quantique, contrairement à des acteurs canadiens, autrichiens, israéliens ou encore allemands. Sur les 85 startups spécialisées dans le logiciel quantique créées à travers le monde, seulement cinq sont françaises, et ces dernières représentent moins de 1 % des 1,6 milliard de dollars investis dans ce secteur au niveau mondial”, complète le think tank.

“Une V2 du Plan Quantique”

“En vérité, personne n’est très bon sur la partie logiciel, qui s’étoffera plutôt dans un second temps, tempère un fin connaisseur de l’écosystème. Les OpenAI du quantique s’appuieront, pour leurs applications, sur le matériel, le hardware existant. Il est donc prioritaire d’être excellent dans ce domaine”, confie-t-il, rappelant le cas du vendeur de puces électroniques Nvidia, dont les infrastructures captent l’essentiel des revenus dégagés jusqu’ici dans l’IA générative. La compétition est rude sur ce segment dès aujourd’hui, avec sur le ring des concurrents de poids : l’illustre compagnie américaine IBM a inauguré mardi son premier centre européen de données quantiques, en Allemagne, dans le but de séduire les industriels du continent.

Afin de rester dans le peloton de tête, le rapport de l’Institut Montaigne dresse onze recommandations : un meilleur ciblage des capitaux, une stimulation de l’investissement privé, plus de commande publique, davantage de coopération européenne, davantage d’efforts dans la formation de talents (dès le plus jeune âge) et surtout, moins de bureaucratie. “Actuellement, la responsabilité politique est trop diluée, avec une exécution souvent laissée à la Coordination Nationale, seule chargée des décisions budgétaires. Ce manque de clarté dans les rôles – entre décision, exécution et évaluation – se complique davantage avec les trois comités de France 2030 (orientation, suivi, lisibilité), plaçant l’informatique quantique parmi les 30 priorités stratégiques, contrairement aux approches plus ciblées du Royaume-Uni ou des Etats-Unis”, cingle le think tank. “Ce que le secteur attend en priorité, c’est une version 2 du Plan Quantique”, rappelle quant à lui l’expert sollicité par L’Express. Les crédits étaient en effet alloués sur cinq ans. Une longue période, à l’échelle politique. Si peu, sur celle du développement du quantique.




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