DJ Mehdi : made in France est le documentaire à voir d’urgence. Je sais, cher lecteur, que tu n’en crois pas tes yeux. Comment ça ? DJ ? Made in France ? Anglicisme, musique électro, clubbing, rap ? A défaut d’avoir une oreille musicale, j’ai toujours l’oreille à l’affût. Par frustration et fascination, aucune musique ne me rebute, aucun son ne me dégoûte. Des amis m’ont parlé de ce documentaire et je m’y suis plongée. Et j’en suis sortie aussi émue qu’hypnotisée par un gamin de Colombes devenu prince de la ville puis roi du monde, avant de mourir dans un accident en 2011 à l’âge de 34 ans.
Par quoi commencer ? Par un gamin élevé dans la première famille noire tunisienne de Gennevilliers, dont l’administration transforme tous les prénoms du pays d’origine en prénoms Frenchy ? Par un gamin qui dès 11 ans bidule, triture, fabrique de quoi faire office de sampler ? Qui se nourrit de toutes les musiques du monde pour créer la sienne ? “Il n’y avait pas de geek en banlieue”, dit sa cousine. Mehdi Faveris-Essadi est de banlieue et déjà du monde. Il produit du son pour les rappeurs et devient une référence avant la puberté. Intransigeant, “radical” dixit Kery James, il refuse de se plier aux diktats commerciaux de sa première maison de disques et préfère attendre la rupture du contrat. Et c’est le succès.
Avec le groupe Ideal J qu’il forme avec Kery James depuis l’enfance, puis avec le collectif hip-hop la Mafia K’1 Fry, enfin, c’est l’album Les Princes de la ville de 113. L’album qui fait entrer le rap dans les familles françaises à travers les Victoires de la musique et le morceau Tonton du bled qui avec ironie et humour raconte le départ en vacances des blédards. C’est un autre monde, un monde où l’autodérision avait valeur d’intégration. DJ Mehdi ose ce que personne n’avait osé : il fait rapper le 113 sur un son de Kraftwerk, groupe allemand de musique électronique des années 1970 dont n’avaient jamais entendu parler les rappeurs, mais ils s’en foutaient, passée la première surprise, c’est du bon son. Et voilà deux mondes qui s’écoutent et collaborent.
Faites des pieds et des mains, sortez Les Héritiers de Bourdieu comme on agite l’ail pour faire fuir les vampires, des études sociologiques tronquées pour coller à une réalité militante, DJ Mehdi, par ses sons, explose le déterminisme, dynamite les étiquettes et offre le meilleur contre-exemple à toutes les théories fumeuses qui voudraient condamner les banlieues à la violence et à la haine, ou les célébrer pour la violence et la haine seulement sans vouloir voir autre chose, parce que cela casserait un narratif misérabiliste bien rodé qui rapporte électoralement.
Le cosmopolitisme tel qu’on l’entendait au XIXe siècle
Il y a dans la musique de DJ Mehdi une certaine idée de la France ; davantage que le métissage, c’est le cosmopolitisme tel qu’on l’entendait au XIXe siècle, cette idée évidente que chaque création humaine, quel que soit son concepteur, d’où qu’elle vienne sur la Terre, est universelle. C’est l’appropriation culturelle, qui ne connaît ni frontière ni chasse gardée. Ce qui est créé est créé pour tous sans discrimination. Le contraire du multiculturalisme qui n’est que coexistence sans liens, sans trocs enrichissants entre les cultures.
Et DJ Mehdi de s’envoler vers l’électro. C’est le choc pour ses anciens amis : la house des Blancs contre le rap des Noirs. Ironie : la house est née dans les quartiers noirs de Chicago… Ce que fait DJ Mehdi, c’est se réapproprier l’origine du son, la faire sienne. Quinze ans après qu’il a mixé l’électro et le rap en France, les Américains suivent sa voie. Il devient alors incontournable sur les scènes électro du monde, c’est le carton de la French Touch, collaborant au passage avec M comme avec Diam’s. Et parce que rien n’est rejeté, rien n’est dévalorisé, parce que rien n’est hiérarchisé, tout est authentique et tout sonne vrai, tout sonne spécifique.
Quand on demande à ses camarades d’avant-hier et d’hier ce qui faisait l’originalité de DJ Mehdi, tous répondent qu’avec lui rien n’était impossible, rien n’était inatteignable, le monde était vaste. DJ Mehdi ou un destin français, qui célèbre des gammes universelles qui n’appartiennent pourtant qu’à lui. Ça s’appelle le style.
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