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Jean Charest : “Si la France et l’Europe veulent avoir du poids face à Trump…”


Observateur privilégié de la superpuissance voisine, Jean Charest comprend les tendances de fond qui se jouent aux Etats-Unis depuis trois décennies. L’avocat, ancien chef du parti progressiste-conservateur du Canada et du Parti libéral du Québec, a été vice-Premier ministre du Canada et Premier ministre du Québec de 2003 à 2012. Il est aujourd’hui associé au bureau d’avocats Therrien, Couture, Jolicoeur (TCJ). Pour L’Express, il commente la campagne pour la présidentielle américaine.

L’Express : La campagne de Donald Trump tourne à nouveau autour de l’idée de faire revivre la grandeur perdue des Etats-Unis. Kamala Harris reprend la thématique de l’espoir de l’époque d’Obama. Comment expliquez-vous ces visions un peu nostalgiques du pays ?

Jean Charest : Une phrase a marqué l’histoire des Etats-Unis : “The shining city on the hill” [la ville qui brille sur la colline], régulièrement utilisée par le président Reagan lors de sa présidence dans les années 1980 (1981-1989). Les Américains croient, à tort ou à raison, qu’ils sont le pays “élu”. Les Etats-Unis sont une superpuissance, le savent et se comportent comme telle. Ils édictent les règles et ont le réflexe de ne pas tenir compte des intérêts de ceux qui les entourent. Nous, les Canadiens, en tant que voisins, avons un poste d’observation privilégié : nous voyons comment ces Américains, biberonnés à cette idée de leur exceptionnalisme, ont souffert de la grande récession de 2007-2008. Douze millions d’Américains ont perdu leur maison, leur travail, leur dignité. Donald Trump a mis le doigt sur ce malaise. Il a nommé ce mal et a reconnu ceux et celles qui en souffraient. Le grand moment de la campagne de 2016 a été la déclaration d’Hillary Clinton reprochant à Trump d’être soutenu par les “pitoyables”. Elle a commis l’erreur de mépriser les électeurs de Trump.

Un malaise interne donc et des tensions externes, avec une rivalité croissante avec la Chine ?

Aujourd’hui, la superpuissance américaine se voit contestée par l’émergence d’une nouvelle superpuissance, la Chine. Graham T. Allison, ancien conseiller à la Défense, a inventé l’expression “le piège de Thucydide”, à savoir l’idée que, dans l’histoire de l’humanité, l’affrontement est inévitable entre une puissance émergente et celle qui est déjà en place. Avec la Chine, cette rivalité s’est installée et remet en question la place des Etats-Unis dans le monde, leur sens de l’exception américaine. Ce qui était une rivalité commerciale au début devient une question de sécurité nationale pour les Américains. Elle pourrait avoir des conséquences énormes pour le monde entier.

La présidence Trump avait créé pas mal de tensions avec le Canada autour de l’Alena, l’accord de libre-échange nord-américain. Voyez-vous avec appréhension son éventuel retour ?

Un Premier ministre canadien a deux grandes priorités. La première, c’est l’unité du pays. C’est toujours un sujet. La deuxième, c’est de pouvoir gérer la relation avec les Etats-Unis. Ce n’est pas uniquement un voisin, un ami, un allié, mais c’est également une superpuissance. Un Premier ministre canadien doit pouvoir comprendre et appréhender les comportements d’un pays qui est également une superpuissance. En termes de relations internationales, si Trump l’emporte, la donne sera différente. Donald Trump ne voit que le rapport de force. Il voit le monde comme une arène. Dans une arène, il y a le vainqueur et le vaincu. Il n’y a pas de nuances entre les deux. Pour Trump, le multilatéralisme n’a pas de sens, parce qu’il dilue son influence et son pouvoir. Trump veut accentuer le pouvoir américain pour obtenir toujours le meilleur “deal”. C’est un négociateur. Si la France et l’Europe veulent avoir du poids face à Trump, il faut qu’elles aient quelque chose à lui offrir, qu’il y voit son intérêt. Vu de chez nous, le Canada est totalement dépendant des Etats-Unis : les liens représentent 78 % des exportations, 25 % du PIB. La présidence Trump a donc marqué un changement de cap majeur dans la façon d’aborder les relations bilatérales, car il a fallu la préserver.

Il y a deux ans, dans votre candidature à la tête du Parti conservateur, vous aviez dénoncé un style de campagne très violent, un peu à l’américaine. Quel regard portez-vous sur la campagne actuelle aux Etats-Unis ?

L’Amérique d’aujourd’hui fait face à une extrême polarisation. Depuis 2016 et la campagne Clinton-Trump, l’intensité n’a pas diminué, à la faveur des médias sociaux. Cette polarisation a un effet toxique sur la politique américaine. Elle devient une barrière à la capacité de faire des compromis fondés sur des intérêts communs. Chacun se réclame des mêmes valeurs, mais avec une interprétation propre qui empêche de pouvoir travailler avec l’autre. D’où la question de l’après-campagne. Après l’attaque contre le Capitole du 6 janvier 2021, on peut se demander si le perdant va accepter d’avoir perdu. Est-ce qu’il y aura une transition des pouvoirs comme le veut la démocratie ? Si les Américains étaient incapables de gérer les lendemains d’une élection qui serait chaudement disputée, les conséquences seraient incalculables. Si les résultats sont très serrés, on peut légitimement s’interroger sur ce qui va se passer.

Que diriez-vous des relations Europe – Canada – Etats-Unis aujourd’hui ?

Il manque actuellement dans le débat politique entre les Etats-Unis et avec le reste du monde, un ou des grands projets communs. Le Ceta [traité de libre-échange] était le projet commun entre l’Europe et le Canada. J’appelle de mes vœux un accord de libre-échange entre l’Europe et “les” Amériques, pour faire un contrepoids à la Chine sans lui être hostile. Jamais on ne pourra empêcher l’évolution de la Chine, mais il faut un équilibre dans les relations.




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