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Cancer du sein : pourquoi l’IA ne sauvera pas le dépistage (enfin, pas tout de suite)


Ce samedi 5 octobre salle Wagram, à Paris, c’était paillettes, flonflons et cotillons. La communauté de la radiologie française fêtait les 20 ans du dépistage organisé du cancer du sein, avec célébration des pionniers à l’origine de ce programme, témoignages de femmes et remerciements au ministre (Philippe Douste-Blazy) qui, à l’époque, avait permis son démarrage. Mais derrière les sourires et les congratulations, cet anniversaire laisse un goût amer.

Si les radiologues n’ont pas à rougir de leurs résultats, avec une baisse de 20 % de la mortalité liée à ces tumeurs, les difficultés ne peuvent être éludées. Trop faible participation des femmes concernées (47 % seulement des 50-74 ans), manque d’implication d’une partie des radiologues, délais à rallonge dans certains territoires, que ce soit pour obtenir un rendez-vous ou recevoir le rendu de l’examen… Beaucoup reste encore à faire pour améliorer ce dispositif de prévention, et certains imaginent déjà que la solution viendra de l’intelligence artificielle (IA).

Les promesses sont là. “La majorité des études montrent qu’un radiologue assisté d’une IA présente de meilleures performances qu’un radiologue seul”, rappelle Guillaume Herpe, radiologue au CHU de Poitiers et directeur médical d’Incepto, une start-up spécialisée dans le déploiement de solutions d’IA pour l’imagerie médicale. De là à imaginer que les algorithmes remplacent l’une ou l’autre des étapes du dépistage, il n’y a qu’un pas… qui s’annonce long à franchir. De nombreux obstacles s’opposent en effet encore à son déploiement, tout particulièrement en France. En cause : nos particularités administratives, d’étonnants problèmes techniques, les spécificités du dépistage dans notre pays et, bien sûr, quelques problèmes de financement.

Petit rappel de l’organisation du dépistage à la française : les femmes passent leurs mammographies dans un centre d’imagerie, libéral le plus souvent, où un radiologue réalise une première lecture des clichés. En cas d’anomalie, il réalise des examens complémentaires, ou oriente la patiente pour un diagnostic. Dans le cas où aucune anomalie ne serait vue en première lecture, les images sont envoyées dans un centre de “deuxième lecture” où un radiologue très expérimenté en sénologie les examine à nouveau. Environ 5 % des tumeurs non détectées à la première étape sont repérées par ce deuxième niveau d’analyse.

Un bête problème de… tuyaux

Une première solution pour fluidifier le dépistage serait de remplacer la deuxième lecture par de l’IA. Les radiologues expérimentés qui acceptent de se rendre dans des centres dédiés pour ce travail fastidieux et mal payé deviennent en effet une denrée rare. “Quatre euros par mammographie relue, alors que cela vient remplacer ou s’ajouter à l’activité de leur propre cabinet, ce n’est pas très séduisant, d’autant que le risque médico-légal en cas d’erreur est bien réel”, confirme Brigitte Séradour, la présidente de l’association des Centres régionaux de coordination du dépistage des cancers. Alors que l’assurance maladie préconise un rendu sous deux semaines, il arrive, selon des données collectées par Incepto, que les délais dépassent les six semaines. À Paris, l’an dernier, ils ont même atteint un record de quatre mois.

Mais pour assister ou remplacer le deuxième lecteur avec de l’IA, il faudra d’abord résoudre un bête problème de… tuyaux. Dans la plupart des régions françaises, l’envoi des images aux centres de deuxième lecture n’est en effet toujours pas dématérialisé. “Cela fait dix ans que l’Institut national du cancer organise des expérimentations et pour l’instant, aucune solution n’a été trouvée à l’échelle nationale”, déplore la Pr Isabelle Thomassin-Naggara, chef de service à l’hôpital Tenon (AP-HP) et présidente de la Société d’imagerie de la femme (Sifem), la société savante qui regroupe les experts du domaine. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les radiologues qui réalisent les mammographies, pourtant numérisées et lues sur écrans dans leurs cabinets, continuent donc de les imprimer sur des films, puis de les faire porter jusque dans les centres experts pour qu’elles soient relues. Absurde autant qu’apparemment insoluble.

Autre problème, et non des moindres, les grandes études de validation de l’intelligence artificielle dans le cadre du dépistage du cancer du sein ont été toutes été menées à l’étranger. “Or dans la plupart des pays, l’organisation des programmes de dépistage est très différente du système français”, constate la Pr Thomassin-Naggara. En France, la première lecture est faite en cabinet, mais à l’étranger, elle est souvent réalisée directement dans des centres experts. “Le premier lecteur est donc d’emblée un lecteur expert, très spécialisé dans l’imagerie du sein, alors que dans notre pays les premiers lecteurs sont souvent des radiologues plus généralistes”, explicite Isabelle Thomassin-Naggara.

De nouvelles études indispensables

Impossible de ce fait, selon cette experte, de transposer à la France les études étrangères où l’IA remplace le deuxième lecteur puisqu’à l’étranger, il reste toujours un lecteur expert, ce qui ne serait plus le cas dans notre pays. “Il sera indispensable de mener des études en France avant de se lancer”, insiste la radiologue. Le risque sinon : une potentielle dégradation de la qualité du dépistage, qui se ferait au détriment des femmes. “Mais pour mener ces essais, il faudra d’abord dématérialiser le transfert d’images, et équiper les centres de deuxième lecture”, reboucle Isabelle Thomassin-Naggara.

Peut-être pourrait-on utiliser l’IA pour trier en amont les mammographies en fonction d’un degré de risque évalué par l’algorithme. Celles classées à haut risque bénéficieraient de la double lecture habituelle, et celles classées à bas risque seraient ensuite lues par un seul lecteur. Mais dans le contexte français, on en revient aux problèmes précédents. L’alternative, court-circuiter la première lecture et envoyer directement les images directement au centre de relecture, ne paraît pas plus adaptée à notre modèle, où les femmes apprécient de pouvoir échanger avec le radiologue.

Dernière hypothèse, que l’IA facilite le travail des premiers lecteurs, par exemple comme “assistant” du radiologue. En réalité, c’est déjà un peu le cas. “Nos données montrent qu’il y a déjà plus d’un million de patientes par an pour lesquelles une IA aide à l’interprétation, soit 20 % de la population dépistée”, indique Guillaume Herpe, d’Incepto. Aller plus loin supposerait de convaincre une plus large proportion de radiologues d’adopter l’IA. Sur le terrain, tous les médecins ne sont pas forcément enthousiastes. “C’est très pratique pour sécuriser nos lectures en cas de fatigue dans la journée, mais honnêtement, il est vraiment très rare que l’algorithme détecte des lésions que je n’aurais pas vues. En plus, il y a encore beaucoup trop de faux positifs : il signale des anomalies qui n’en sont pas, et je perds du temps en vérification”, résume le Dr Clarisse Lafont, radiologue libérale dans le 11e arrondissement de Paris.

Cette spécialiste en sénologie bénéfice pour l’instant de l’outil gratuitement grâce à un partenariat avec une start-up. Elle n’est pas convaincue non plus que l’équation économique soit au rendez-vous. “Les tarifs paraissent très élevés – un constructeur m’a déjà proposé un prix à 10 euros par patiente. Les confrères en secteur 1 (sans dépassement d’honoraires, NDLR) ne pourront jamais assumer un tel coût au vu des tarifs auxquels ils sont payés”, ajoute-t-elle.

Un problème de financement

C’est là toute la question. Qui paiera pour l’équipement des radiologues et des centres de deuxième lecture, mais aussi pour la dématérialisation des flux d’images ? “Nous allons ouvrir des discussions avec les radiologues, et tous ces sujets seront sur la table”, assure Marguerite Cazeneuve, la directrice déléguée de l’Assurance maladie. À court terme, la Sécu souhaite surtout inciter les radiologues à proposer plus de créneaux aux femmes. Une question d’argent là aussi. S’il existe effectivement une forte disparité de la répartition des spécialistes sur le territoire, avec dans certains endroits de réelles difficultés d’accès, celles-ci sont renforcées par une autre spécificité très française : la cohabitation du dépistage organisé avec un dépistage individuel.

Dans le premier cas, les femmes sont totalement remboursées, et le médecin ne peut demander de dépassement d’honoraire. Dans le second, les professionnels sont libres de demander des compléments de tarif. Certains ont donc tendance à privilégier ces rendez-vous sur ceux du dépistage organisé, ce qui réduit d’autant les créneaux disponibles pour l’offre prise en charge à 100 % par la Sécu, et renforce les inégalités d’accès aux soins. Les femmes ont pourtant tout intérêt à se tourner vers le dépistage organisé, qui offre de garanties de qualité renforcées (double lecture, suivi statistique des performances…).

Dans le cadre des discussions à venir avec les professionnels, l’Assurance maladie souhaite donc avant tout trouver un moyen d’inciter les radiologues à s’inscrire davantage dans cette offre. “Dans le cadre d’un protocole d’accord, il peut y avoir des incitations financières, avec en contrepartie une forme d’engagement moral à proposer un pourcentage de rendez-vous à déterminer dans le cadre du dépistage organisé”, poursuit Marguerite Cazeneuve.

Restera alors, aussi, à convaincre les femmes de venir. L’Assurance maladie, qui a repris depuis cette année la gestion des invitations, s’est mise en ordre de bataille pour y parvenir. Courriers individuels, relances personnalisées, information des médecins traitants sur la participation ou non de leurs patientes au dépistage et bientôt des radiologues eux-mêmes : de nombreuses mesures sont en cours de déploiement pour s’assurer que le plus grand nombre possible de femmes soient informées de cette possibilité. À elles ensuite de décider.




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