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Séduire les agences de notation, l’autre défi du gouvernement Barnier


A peine présenté le projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement Barnier se confronte dès ce vendredi soir à un premier test. Fitch communiquera, après clôture de Wall Street, la mise à jour de son opinion sur la capacité de la France à honorer sa dette. L’agence américaine avait procédé à une dégradation en avril 2023, attribuant une note AA- aux obligations tricolores, avec une perspective stable. Il est possible qu’elle campe sur cette position. Néanmoins, au regard de la dérive des finances publiques – le déficit pourrait atteindre 6,1 % en 2024, contre une estimation de 4,4 % en janvier dernier – un passage à “perspective négative” ne paraîtrait pas “immérité”, écrivait il y a quelques jours le cabinet Oddo BHF.

Les experts interrogés par L’Express sont plus pessimistes concernant la décision de Moody’s, attendue le 25 octobre. Celle-ci attribue à ce jour la note de Aa2 à la dette française, l’équivalent d’un cran supérieur au AA- de Fitch, mais aussi de Standard & Poor’s. Même si la perspective associée est jusqu’ici “stable”, sa prochaine annonce pourrait être l’occasion de s’aligner à la baisse, à Aa3. “A fortiori si le budget a du mal à passer !”, note Léa Dauphas, chez TAC Economics, qui envisage que les deux autres agences révisent leur perspective à “négative” courant 2025.

Ce vendredi matin, le ministre de l’Economie Antoine Armand l’a reconnu sur France 2, l’exécutif a pris en compte, dans l’élaboration du budget 2025, le “regard attentif” des agences de notation. Quoi qu’il advienne, une dégradation ne serait que la résultante d’une situation bien connue des investisseurs. “La France reste une très bonne signature, les émissions récentes du Trésor le prouvent, même si le coût de notre crédit a un peu augmenté”, veut-on croire à Matignon. Cela n’a rien d’anodin : notre pays lèvera un montant record de 300 milliards d’euros en 2025, après 285 milliards en 2024, a chiffré hier l’Agence France Trésor.

“Plus inquiet pour la France que pour l’Italie”

Nos prêteurs semblent, pour l’heure, accorder le bénéfice du doute au gouvernement Barnier, mais “ils ne baissent pas la garde”, souligne Vincent Juvyns, stratégiste chez JP Morgan. En témoigne un “spread” [NDLR : écart de taux] avec l’Allemagne, dont la dette est jugée sans risque, qui demeure dans la zone des 75 – 80 points de base, sur des plus hauts annuels. Un niveau plus tendu que la fourchette habituelle de 40 à 50 points de base. En clair, les marchés exigent un rendement plus élevé pour un placement “France” qu’ils estiment plus risqué. “La préoccupation autour des finances publiques s’est accrue au moment des élections, en juin. Mais cette interrogation n’est pas nouvelle. La France a un historique de déficits publics élevés et surtout de déficits primaires importants [NDLR : hors charges d’intérêt]. Pour qu’une dette soit soutenable, il faut être en mesure de dégager un excédent primaire, ce qui n’est plus le cas en France depuis 2008”, pointe Jean-François Ouvrard, économiste chez Morgan Stanley. Dans une grande banque française, un économiste confie être “plus inquiet pour la France que pour l’Italie”. Néanmoins, cet expert n’envisage pas de “risque d’une erreur de politique économique majeure”, comme Liz Truss en Grande-Bretagne ou Matteo Salvini en Italie ont pu en commettre. En somme, rien de nature à propulser le spread France/Allemagne à 150 points de base.

Aux oreilles des marchés, le discours volontariste de Michel Barnier et de Bercy sonne juste. “On avait laissé Bruno Le Maire avec une ambition de baisser les dépenses de 20 à 30 milliards d’euros. Aujourd’hui, on sent que le gouvernement a souhaité se montrer plus ambitieux, ces 60 milliards seraient un ajustement budgétaire sans précédent”, reconnaît Vincent Juvyns. “Il y aura une vraie réduction du déficit en 2025, espère Jean-François Ouvrard. C’est ce que les marchés attendent, une direction franche. Il ne s’agit pas de revenir à 3 % tout de suite, mais de décliner une stratégie qui donne confiance.” La mission n’est, a priori, pas impossible. D’autres pays sont passés par une cure d’austérité similaire, voire plus sévère, à l’instar du Portugal, de l’Espagne ou de l’Irlande. “C’est un moment difficile à passer mais l’économie en ressort solidifiée. Il faut accepter de reculer pour mieux sauter en acceptant des concessions”, estime Vincent Juvyns.

Les analystes de Morgan Stanley se sont replongés dans les données de 2012 à 2019. Une phase durant laquelle la France est parvenue à ramener son déficit public de 5,2 % à 2,4 %. “Cela a commencé par des hausses d’impôts assez fortes en 2012-2013, puis par des mesures d’économies sur les dépenses”, rappelle l’économiste de la banque américaine. Un paramètre empêche de pousser trop loin la comparaison : la hausse des taux d’intérêt, intervenue depuis 2022. Son impact dans les comptes publics est certes progressif, au fil des obligations remboursées, remplacées par d’autres émissions de titres à un taux plus élevé. Mais les charges financières pèsent de plus en plus lourd. En 2025, le remboursement des intérêts coûtera à lui seul près de 55 milliards d’euros, 4 milliards de plus qu’en 2024. A lui seul, ce poste de dépenses n’est pas très loin du total des économies visées par Michel Barnier et ses alliés pour ramener le déficit public à 5 % l’an prochain…

Les discussions autour du budget sont parties pour durer plusieurs semaines. Une source de volatilité qui pourrait accroître la pression sur les taux. En attendant, un banquier français signale que les investisseurs internationaux ont commencé à revoir leurs allocations. Les Japonais, historiquement friands de dette française, augmenteraient leurs positions en Espagne, au Portugal et en Italie. Au détriment de la France.




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