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Les produits laitiers européens dans le viseur de la Chine : “On risque une guerre commerciale”


Le ton est encore monté d’un cran dans la querelle commerciale entre la Chine et l’Union européenne. Répliquant à l’annonce de taxes sur les véhicules électriques par Bruxelles, Pékin a lancé fin août une enquête sur les subventions accordées à certains produits laitiers en provenance d’Europe. L’enjeu est de taille : le secteur laitier représentait 12 % des exportations agroalimentaires européennes vers la Chine en 2023.

La Commission européenne a alors contesté l’enquête auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) fin septembre. Mais cette escalade ne serait sûrement pas suffisante pour faire fléchir la Chine, qui peut se permettre de restreindre ses importations de produits laitiers sans subir de conséquences majeures, explique à L’Express Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech et chercheur associé au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).

L’Express : La Chine vient d’instaurer une caution de douane sur le cognac en provenance d’Europe en représailles aux taxes sur ses véhicules électriques. Peut-on envisager qu’elle mette en place une taxe douanière sur les produits laitiers à l’issue de son enquête anti-subventions ?

Jean-Christophe Bureau : C’est effectivement une menace sérieuse, l’enquête a été lancée pour justifier de prendre des mesures de rétorsion par la suite. Et ce n’est pas un hasard si la Chine a choisi certains produits laitiers en particulier, comme les fromages ou crèmes à plus de 10 % de matière grasse : par ce biais, elle fait pression sur les pays européens pour lesquels c’est un poste important d’exportations – comme par exemple la France, l’Irlande ou les Pays-Bas. La Chine a déjà montré par le passé qu’elle savait très bien jouer sur ces divisions européennes.

On risque donc une guerre commerciale, mais dans les guerres commerciales avec la Chine, l’UE est toujours perdante car elle n’arrive pas à parler d’une seule voix. Et pour contester la mise en place d’une éventuelle taxe douanière, il faudrait passer par l’organe d’appel du règlement des différends de l’OMC. Or celui-ci est aujourd’hui paralysé, depuis que les Etats-Unis ont bloqué la nomination de nouveaux juges.

L’état de la filière laitière chinoise permet-il à la Chine de se passer des importations européennes ?

L’industrie laitière chinoise est en situation d’excédent de production : le gouvernement a énormément subventionné la filière, à tel point qu’ils ont aujourd’hui des fermes de 10 000 vaches laitières – alors qu’en France nous sommes à une moyenne d’environ 70 vaches par exploitation. Le gouvernement pensait que la demande intérieure allait suivre, mais ce n’est pas vraiment arrivé. On a observé une hausse de la consommation de poudre de lait et de yaourt mais cela reste bien en deçà de la production.

Les prix du lait produit en Chine sont très bas et n’incitent pas à importer autant.

Les grandes compagnies européennes, telles que Nestlé ou Danone, ont visé plutôt des segments particuliers pour l’exportation, comme le lait pour enfant. Or ce n’est pas un marché en croissance car il y a de moins en moins d’enfants en Chine. Ils essaient aussi d’y lancer des produits pour les personnes âgées, mais celles-ci ne sont pas du tout habituées à consommer du lait.

Dans le cas où une taxe est mise en place, vers quels marchés les producteurs européens pourraient-ils se tourner pour remplacer ces volumes ?

Les débouchés sont assez limités car il y a peu de pays qui importent massivement des produits laitiers. Historiquement, le plus grand consommateur de lait européen était l’URSS, notamment lorsque l’Europe avait un excédent de lait dans les années 1980. Or quand il a disparu, nous avons eu du mal à trouver d’autres marchés. En Asie, par exemple, il n’y a pas d’habitude de consommation de lait, et en Afrique de l’Ouest, il y a des populations entières qui ne digèrent pas le lait. En Amérique latine, le marché est dominé par l’Argentine, qui est un grand producteur.

Dans le cas d’une baisse des importations depuis l’Europe, la Chine ne remplacerait pas forcément ces volumes par des importations d’autres pays, comme la Nouvelle-Zélande. Les prix du lait produit en Chine sont très bas et n’incitent pas à importer autant.

Cette enquête sur les subventions européennes pourrait-elle pousser Bruxelles à réinterroger la pertinence de nos aides à l’agriculture ?

Ce n’est pas du tout à l’agenda, nos revenus agricoles dépendent énormément des aides. Il y a une forme de consensus politique autour de la politique agricole commune à cause de l’importance du vote agricole. Pourtant, la Nouvelle-Zélande, par exemple, a bien réussi à se passer de subventions ; c’est un producteur très efficace.




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