Il aura suffi d’un week-end pour que l’affaire Sanofi et la possible cession de plus de 50 % du capital d’Opella, la branche grand public du géant français, au fonds d’investissement américain CD&R se métamorphose en bourbier politique pour le gouvernement Barnier. Depuis la fin de semaine dernière, parlementaires et chefs de partis de tous bords se relaient pour dénoncer une vente qui menacerait directement notre sécurité nationale. “Une honte” et “encore un symbole de notre perte de souveraineté”, a déclaré Fabien Roussel (PCF). “La vente à la découpe de la France se poursuit”, a lancé Jordan Bardella (RN). Le spectre de la vente d’Alstom à l’américain General Electric ou celle des aciéries de Florange à ArcelorMittal flotte sur la petite boite jaune. Comme un nouveau traumatisme national, symbole d’une désindustrialisation sans fin du pays.
Certes, le sujet de la souveraineté sanitaire est stratégique. Mais se résume-t-il à la question de la nationalité de l’actionnariat ? Alors que la vente à CD&R – si elle est confirmée par Sanofi – devra être avalisée par Bercy dans le cadre de la procédure du contrôle des investissements étrangers, des engagements de maintien de la production, des emplois, de la localisation en France du centre de décision, ont d’ores et déjà été exigés par l’Etat aux acheteurs américains.
Par ailleurs, un accord tripartite entre l’Etat, Sanofi, et CD&R devrait également être signé, gravant dans le marbre les engagements mais également les sanctions en cas de manquement à ces engagements. Enfin, en échange de son feu vert, l’Etat pourrait s’inviter au capital de la future entité et exiger un siège au conseil d’administration, comme l’a confirmé mardi 15 octobre à l’Assemble nationale le ministre de l’Economie Antoine Armand, lors des questions au gouvernement. Des proches du dossier évoquent même l’idée d’un droit de véto de Sanofi, qui conserverait un peu moins de la moitié du capital.
Les Etats-Unis, premier marché
Derrière cette affaire politique, économique et financière, apparaît une réalité crue : le centre de gravité de Sanofi et de sa branche grand public – qui compte une quinzaine de médicaments jugés stratégiques, dont le Doliprane – n’est plus, depuis longtemps, en France. Certes, le Doliprane reste le médicament le plus vendu dans l’Hexagone et il représente plus de 80 % du chiffre d’affaires d’Opella en France. Des investissements de près de 20 millions d’euros ont été réalisés cette année sur le site de Lisieux pour en faire “l’usine de fabrication de Doliprane la plus compétitive au monde”, soutient la direction de l’entreprise. Curieuse assertion puisque les petites boites jaunes ne sont fabriquées qu’en France et uniquement pour le marché tricolore.
En réalité, l’Hexagone représente aujourd’hui à peine 8 % des ventes totales d’Opella dans le monde. Une goutte d’eau, certes grosse, mais une goutte d’eau… De fait, les Etats-Unis sont de loin le premier marché de l’entreprise, avec près de 25 % de son chiffre d’affaires total. La filiale de Sanofi en a fait un axe essentiel de son développement en rachetant l’an passé pour près d’un milliard d’euros Qunol, l’un des leaders américains des vitamines et des compléments alimentaires. Ironie de l’histoire, l’usine de Compiègne – l’une des deux dont dispose Opella en France – a même été approuvée par la FDA, la Food and Drug Administration, l’agence américaine chargée de l’autorisation de commercialisation des médicaments. Un sésame obligatoire pour espérer vendre un produit aux Etats-Unis. Résultat, le site de Compiègne exporte déjà près de 70 % de sa production dans 150 pays, et notamment outre-Atlantique. “Au regard des décision de ces dernières années, on peut craindre qu’une grande partie des investissements de la future entité se fassent hors de France et aux Etats-Unis”, constate, amer, un observateur.
De là à manquer de Doliprane un jour ? “Cela n’aurait aucun sens économique et industriel de se séparer des deux sites français”, promet la direction d’Opella. Chez Upsa, l’autre fabricant tricolore de paracétamol avec le Dafalgan et l’Efferralgan, on regarde tous ces débats avec étonnement. “A aucun moment, il n’est dit que d’autres acteurs existent en France. Or, nous sommes le premier producteur de médicaments à base de paracétamol avec une capacité de 450 millions de boites par an”, explique Laure Lechertier, directrice de l’accès au marché d’Upsa. Une production en grande partie exportée. En cas de pénurie, Upsa pourrait réorienter ses ventes vers le marché français. Le laboratoire l’a déjà fait par le passé lorsque Sanofi avait fait défaut sur le Doliprane pédiatrique. Pas sûr, cependant, que cette perspective suffise à faire retomber les inquiétudes. Ni taire la polémique.
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