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Budget 2025 : la bataille de chiffres qui rappelle le feuilleton houleux des retraites


Chaque année depuis 2013, l’exercice est particulièrement redouté du côté de Bercy. Avant de présenter son projet de loi de finances pour l’année suivante, comme le veut la loi découlant du traité européen de 2012, le gouvernement saisit le Haut conseil des finances publiques (HCFP) afin qu’il rende un avis sur la nouvelle mouture. Habituellement, le rapport est publié fin septembre. Dissolution et nouvel exécutif nommé tardivement oblige, ce n’est que le 10 octobre dernier que cet organe indépendant s’est prononcé sur la première proposition de budget de Michel Barnier.

Dans ses remarques détaillées, le HCFP se montre pour le moins sévère avec le scénario gouvernemental. Il juge d’abord sa prévision de croissance de 1,1 % pour 2025 “un peu élevée compte tenu de l’orientation restrictive du scénario de finances publiques associé”. Surtout, il démonte la présentation faite de l’effort budgétaire qui doit être consenti l’année prochaine pour ramener le déficit public à 5 % du PIB – contre les quelque 7 % envisagé en cas d’inaction.

Chiffré à 60 milliards, celui-ci se décompose en 40 milliards d’euros de baisses de dépenses et 20 milliards d’euros de hausses d’impôts. Mais le HCFP ne parvient pas au même résultat, estimant que l’effort se situera plutôt autour de 42 milliards d’euros, avec 70 % de hausses de prélèvements obligatoires et 30 % de baisses de dépenses.

Pourquoi une telle différence ? En réalité, le gouvernement et l’organisme dépendant de la Cour des comptes n’utilisent pas la même méthode. Le premier se fonde sur l’hypothèse que les dépenses auraient de toute façon augmenté de 2,8 % en tenant compte notamment de l’inflation de la masse salariale, si rien n’avait été fait.

Une prévision jugée très élevée par l’organisme, qui la situe plutôt autour de + 1,2 %, mais reconnaît ne pas être en mesure “d’apprécier la pertinence de cette estimation”. Il y a également un sujet d’interprétation. La réduction des exonérations de cotisations employeurs est par exemple considérée par le gouvernement comme une baisse de dépenses, alors qu’elle est “ordinairement classifiée en hausse de recettes et de prélèvements obligatoires”.

Comme un air de déjà-vu

Cette discorde autour du diagnostic n’est pas sans rappeler le feuilleton houleux de la réforme des retraites. A l’époque, la bataille des chiffres avait fait rage. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui publie chaque année un rapport sur la base de plusieurs scénarios de perspectives financières de notre système de retraites, était au centre des critiques.

Un travail de documentation et de projection certes salué, mais qui affiche un défaut majeur : chacun peut reprendre à son compte ces différentes prévisions. Pour justifier sa réforme, le gouvernement a mis en avant le fait qu’elle permettrait au système de retraite de revenir à l’équilibre en 2030. Sauf qu’en juin 2023, le COR publiait un nouveau rapport prévoyant, en dépit du report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite, un déficit de 0,2 % à cette échéance, révisé à 0,4 % en juin 2024. La baisse des ressources, et non l’augmentation des dépenses, en serait la cause.

Aujourd’hui, Pierre-Louis Bras, l’ancien président du COR, n’en démord pas : “Le gouvernement a voulu présenter cette réforme comme une solution au problème des retraites, or les dépenses de retraite ne dérapent pas. Une réforme des retraites doit s’envisager globalement au regard de la situation des finances publiques en général. Je me suis beaucoup interrogé sur la posture restrictive qu’il avait prise.”

L’histoire semble se répéter aujourd’hui. A quelques différences près. “Sur le sujet retraites, le COR prend très peu de recul, il est souvent très aligné avec le gouvernement. Il y a une absence d’esprit critique. Avec le HCFP, le travail est véritablement indépendant”, avance Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari.

Un pari risqué

En s’accrochant au “un tiers deux tiers”, le gouvernement prend un sérieux risque. “Il faut un tout petit peu de culture économique pour comprendre que le gouvernement grossit un peu l’effort. Cela lui permet d’afficher sans mentir que les deux tiers de l’effort viendront de la baisse des dépenses, ce qui repose sur une convention fragile. Il y a une forme de naïveté de croire qu’on ne va pas le détricoter”, critique un membre de la Cour des comptes. “Le gouvernement fait de la communication politique”, analyse de son côté un membre du Haut conseil des finances publiques.

A Bercy, on ne se démonte pas. “Le HCFP est souvent sévère avec le gouvernement – c’est son rôle – mais pour le coup je ne pense pas que cela nous gêne dans l’explication de la nécessité d’agir et sur comment on compte y arriver”, indique-t-on dans l’entourage du ministre du Budget, Laurent Saint-Martin. Une stratégie payante à l’instant T, mais qui pourrait se retourner contre le gouvernement en fin d’année prochaine. “Quand vous présentez un budget, vous avez toujours envie de magnifier l’effet des mesures que vous avez prises et de minorer les effets négatifs, parce que cela va vous apporter un crédit dans l’opinion publique. Le gouvernement est dans sa partie”, estime Nicolas Marques. Mais si son scénario, jugé fragile, ne se réalise pas, ce revers viendrait s’ajouter à des mois d’erreurs et d’ajustements négatifs sur les prévisions de déficit public qui plombent aujourd’hui les comptes de l’Etat.

Pour François Bayrou, cette inaptitude à s’accorder sur un diagnostic commun est un mal français. “Nous sommes incapables de discerner en quoi que ce soit ce que l’avenir doit être. Ni à court terme ni à long terme. Il y a une incapacité nationale à s’intéresser au long terme. Les Chinois se projettent sur 30 ans, pas toujours très bien, mais nous, c’est à peine sur 30 jours, souvent sur 30 heures. Tout ça ressemble constamment à de l’improvisation”, pointe le haut-commissaire au plan. Le gouvernement espère cette fois lui donner tort.




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