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Budget : les grandes entreprises commencent à trouver la potion amère


Voilà qui n’est pas de nature à rassurer les dirigeants qui se préparaient à deux années de ponction – et pas plus. En Commission des finances de l’Assemblée nationale mercredi 16 octobre, les députés ont supprimé du texte présenté par le gouvernement le caractère temporaire de la taxation des ménages à hauts revenus. L’exécutif avait voulu introduire une “sunset clause” ou clause d’extinction, avec un horizon jugé raisonnable de trois ans qui devait inciter les gros contribuables à faire le dos rond plutôt que de fuir à Bruxelles ou ailleurs.

La contribution réclamée aux grandes entreprises demeurera-t-elle “exceptionnelle” ou subira-t-elle le même sort ? Le projet de loi de finances sera examiné à partir de lundi à l’Assemblée nationale. En commission là encore, les députés de gauche ont tenté de la pérenniser au-delà de deux ans. Sans succès. Mais le jeu parlementaire reste ouvert. Cette hausse temporaire de l’impôt sur les sociétés (IS) doit s’appliquer aux quelque 440 groupes réalisant plus d’un milliard de chiffre d’affaires en France en 2025 et 2026. “Les mesures annoncées par Michel Barnier correspondent à une augmentation de l’impôt sur les sociétés pour les deux prochaines années de 31 % pour les entreprises réalisant plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et de 15,5 % pour celles dont le chiffre d’affaires se situe entre 1 et 3 milliards d’euros”, précise le bureau d’analyse d’Oddo BHF. A la clé, une recette espérée de 8 milliards d’euros en 2025 et de 4 milliards en 2026, censée contribuer à la réduction du déficit public.

Luxe et aéronautique mis à contribution

Sans attendre, LVMH a joué la transparence – une exception à ce jour. Mardi soir, lors d’un échange avec les analystes financiers postérieur à la publication des chiffres trimestriels, le directeur financier s’est confié : le numéro un mondial du luxe s’acquittera de 700 à 800 millions d’euros d’impôts supplémentaires au titre du seul exercice 2024. Pour les autres fleurons français, il faut se contenter d’estimations. En dépit de données parcellaires sur la base fiscale des grands groupes en France, les experts d’Oddo BHF ont fait tourner leurs tableurs Excel pour évaluer la facture, qui s’annonce substantielle pour une poignée de grands groupes.

Selon leurs calculs, auxquels L’Express a eu accès, la note à régler chez Hermès approcherait 345 millions en 2025. Le secteur de l’aéronautique serait lui aussi fortement mis à contribution : 368 millions pour Safran, 376 millions pour Airbus. L’addition devrait aussi être salée pour Vinci, de l’ordre de 456 millions. D’autant qu’elle vient s’ajouter à la taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance frappant les gestionnaires d’autoroutes et d’aéroports comme Sanef, Eiffage ou ADP, dont le principe a été validé le mois dernier par le Conseil constitutionnel. “C’est fromage et dessert, s’insurge un professionnel du secteur autoroutier. La taxe sur les exploitants d’infrastructures a été pensée pour rattraper la baisse du taux d’IS de 33 % à 25 %, qui a profité à toutes les entreprises durant le premier quinquennat. Un an plus tard, ce taux remonte ! C’est une mauvaise nouvelle pour nous, mais aussi pour la France : l’Etat envoie le signal qu’il peut reprendre d’un claquement de doigts ce qu’il a accordé la veille. “

Les distributeurs se sentent lésés

Chez les distributeurs aussi, la pilule a du mal à passer. Et pour cause : l’éligibilité à la surtaxe s’appuie sur le seul critère du chiffre d’affaires. Un choix vécu comme une injustice dans un secteur où le volume des ventes est élevé par nature mais les marges étroites. “Nous aurions pu accepter un ou deux points d’IS en plus pour tous, ou une pondération selon le niveau de profitabilité de l’entreprise. Cette hausse est disproportionnée. Nous sommes le premier employeur en France. Il ne faudrait pas que nous connaissions le destin tragique de l’industrie à force de charger la barque”, prévient la déléguée générale de la Fédération du commerce et de la distribution, Layla Rahhou. Une quarantaine d’enseignes étant concernées, la douloureuse se chiffrerait “à plusieurs centaines de millions d’euros au total”.

Pour juger des conséquences de la mesure envisagée au regard des résultats des entreprises, les analystes s’intéressent à un autre indicateur : l’effet sur le bénéfice net par action (BPA), un indicateur déterminant pour le cours de Bourse. Sur 88 sociétés cotées passées au crible par ses équipes, Thomas Zlowodzki, responsable de la stratégie actions chez Oddo BHF, constate que “les impacts sont souvent faibles. Mais nous en avons identifié une vingtaine dont les BPA baisseront de 4 % à 8 % en moyenne sur les deux prochaines années”. Les poids lourds du CAC 40 ne sont pas les seuls touchés : outre Eiffage, ADP et Dassault Aviation, sont concernés au premier chef les volailles du groupe LDC (- 8,3 %), le travail temporaire chez Synergie (- 8 %) et Crit (- 6,9 %), les services chez Derichebourg (- 6,3 %). “Ce qui est clair, c’est que les entreprises qui réalisent beaucoup de chiffre d’affaires dans notre pays sont plus pénalisées que les Danone ou STMicroelectronics qui en font peu, et dont les coûts liés au siège social sont comptabilisés en France”, pointe le directeur général de la société de gestion Moneta AM, Andrzej Kawalec. Autant dire que TotalEnergies, dont les activités, comme les bénéfices, sont très limitées en France, ne sera pas affecté par la surtaxe.

L’acrobatie des grands patrons

Chez Barclays, on perçoit néanmoins une certaine bonne volonté de la part des assujettis. La crainte d’un choc obligataire l’emporte. “Les entreprises préfèrent coopérer avec le gouvernement, considéré comme pro business, sur l’effort budgétaire demandé, plutôt que de prendre le risque de voir les taux s’envoler en cas de blocage”, expliquent Emmanuel Cau et Emmanuel Makonga, de l’équipe Stratégie actions européennes de la banque britannique. Avec l’espoir de résoudre le problème budgétaire et de retrouver, à terme, des marges de manœuvre pour relancer l’économie.

Mais à mesure que la facture s’alourdit, le discours des grandes entreprises se fait plus grinçant. On redoute une atteinte à la compétitivité, un frein aux investissements, un effet négatif sur l’emploi et le pouvoir d’achat, des répercussions en cascade chez les sous-traitants… Un représentant patronal s’agace : “D’accord, chacun doit prendre sa part. Des mesures ultra-ciblées et ponctuelles pouvaient se concevoir. Mais on nous avait vendu un schéma – deux tiers d’économies, un tiers de hausses d’impôts – qui n’est déjà plus tout à fait juste. On s’oriente plutôt vers un 50/50. On revient donc sur dix ans d’une politique qui avait pourtant donné des résultats”. Car à la surtaxe d’IS, se conjugue la remise en cause des allègements de charges sur les bas salaires. Une hausse du coût du travail qui pèsera notamment sur les industriels.

“Il faut s’attendre à ce que des mécanismes d’optimisation soient actionnés”, par des reports de déficits par exemple, estime cette même source, même si les marges de manœuvre pour l’année en cours, déjà bien avancée, apparaissent limitées. Les recettes attendues par le gouvernement, qui se fondent sur les comptes de 2023, deviendraient alors incertaines, surtout au titre de 2025. Quoi qu’il en soit, pour Thomas Zlowodzki, cette pression fiscale constitue un coup dur pour l’économie tricolore. Se joue aussi la crédibilité de la France vis-à-vis des investisseurs internationaux et des agences de notation, qui veillent à la stabilité du cadre réglementaire. “La Chine, l’élection américaine… Plusieurs sujets détournent actuellement l’attention, note le stratégiste d’Oddo BHF. Mais une fois que ce budget sera passé, les questions franco-françaises reviendront : quand aura lieu la prochaine dissolution ? Quelle sera l’affiche du second tour de la présidentielle de 2027 ?” Dans ce brouillard politique, les patrons sont priés de garder une main ferme sur le gouvernail, tout en mettant l’autre à la poche. Acrobatique.




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