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Face aux inondations, le désarroi des maires : “On ne peut plus compter que sur nous-mêmes”


Il y a des matins où l’écharpe de maire est soudainement un peu plus lourde à porter. Karine Accassat, élue de Saint-Cirgues-en-Montagne, en plein cœur de l’Ardèche, restera longtemps marquée par cette journée du 17 octobre 2024. Dans cette petite commune d’un peu plus de 200 habitants, les cours d’eau ont débordé d’un seul coup, gorgés par les pluies diluviennes qui se sont abattues dans le département en quelques heures. “Tout est allé très vite : une route a été complètement arrachée, un pont a cédé, une canalisation a été détruite, privant la moitié des habitants d’eau courante… Il a fallu réagir très vite”, résume l’édile.

Elle-même victime d’inondations à son domicile, cette infirmière libérale décide de remettre ses propres soucis à plus tard : très vite, il faut gérer la fermeture et l’évacuation du collège et de l’école de la commune, s’assurer que les élèves puissent être récupérés par leurs parents malgré les routes arrachées ou inondées, penser à la sécurité des plus vulnérables ou des plus isolés, se faire remplacer pour sa tournée chez plusieurs patients… “Je pensais à tous ceux qui seraient privés de soins en cas d’urgence à cause des routes bloquées, à ceux sous oxygène qui risquaient gros quand l’électricité a sauté… Dans ces cas-là, il faut garder son sang-froid, et trouver des solutions”, commente la jeune élue, en poste depuis 2020.

Mais alors qu’elle pensait avoir réglé la majorité des urgences, une nouvelle plus qu’inquiétante lui est notifiée par les pompiers locaux en fin de journée : des éboulements venus d’une colline située en amont de la commune risquent d’impacter plusieurs habitations. “C’était le bouquet final : à 19h30, alors que la nuit tombait, il a fallu faire évacuer, et sonner chez une quinzaine de personnes pour leur demander de quitter leurs domiciles”, souffle Karine Accassat. Solidaire, un hôtelier du village accepte de loger ses voisins pour la nuit. “Heureusement qu’on peut compter sur cette implication des habitants et sur la présence des forces de sécurité… Maintenant, il faut se préparer à une longue reconstruction”, lâche-t-elle, sans oser chiffrer le coût des dégâts.

En première ligne face aux catastrophes naturelles qui touchent leurs petites et moyennes communes, certains maires n’ont souvent pas d’autres choix que compter sur eux-mêmes pour tenter de mettre à l’abri leurs administrés et leurs infrastructures. Souvent non-formés à ce type d’événements, nombre d’entre eux tentent de jongler entre l’angoisse de leurs habitants, les plans communaux de sauvegarde à mettre en place dans l’urgence, et les vies humaines à protéger. “Tout nous tombe dessus en même temps”, témoigne ainsi Sébastien Pradier, maire de la commune de Cros-de-Géorand, dans les Cévennes ardéchoises. Sur son territoire, plus de 600 millimètres de pluie sont tombés en moins de 36 heures, faisant déborder les ruisseaux et inondant partiellement plusieurs routes. “D’un coup, votre téléphone se met à sonner avec un habitant qui panique parce que l’eau s’infiltre chez lui, un autre vous alerte qu’une route a cédé, un autre encore vous annonce qu’un chemin est totalement inondé”, explique le maire, également président de l’Association des maires ruraux de l’Ardèche. “Sur le coup, vous êtes le seul représentant de l’État, c’est votre responsabilité d’éviter un drame. Ce qui fait peur, c’est que vous ne maîtrisez rien. Quand on se présente à un mandat, on n’imagine pas ça”, lâche-t-il.

“Vous ne pouvez plus compter que sur vous-même”

Un constat largement partagé par Vincent Bony, maire de Rive-de-Gier, dans la Loire. Sa commune de 15 000 habitants vient de subir “la plus grave inondation” que l’élu ait jamais connue, avec des hauteurs d’eau et des débits “encore jamais atteints” sur le territoire. La violence des précipitations a choqué l’édile : alors que le bulletin météo ne prévoyait que 40 millimètres de pluie maximum en 24 heures, la ville a été inondée par 120 millimètres d’eau en quelques heures. “Des dizaines de véhicules ont été endommagés, des magasins ont tout perdu, le rez-de-chaussée de certains logements a été totalement inondé, des éléments de voirie sont arrachés, des réseaux d’eau ont explosé, la moitié des livres de la médiathèque et l’intégralité des jeux de notre ludothèque ont été endommagés”, liste-t-il, dépité.

Surtout, la commune est passée à deux doigts du “drame” tant redouté par les élus : le 17 octobre, un enfant qui s’amusait à jouer dans une fosse remplie d’eau a été sauvé in extremis de la noyade par deux agents municipaux. “Il n’avait pas vu que la grille d’aération était partie, ce qui faisait l’effet d’un siphon aspirant… Heureusement que ces agents ont eu de bons réflexes”, commente Vincent Bony. Dans le même temps, l’élu s’est mobilisé pour trouver en urgence une place en Ehpad pour une habitante “touchée par la maladie” dont le rez-de-chaussée avait été inondé, assurer la livraison des repas de l’établissement, évacuer l’hôtel de ville inondable, organiser une cellule de crise, prendre des nouvelles de ses habitants les plus isolés et lister les besoins urgents des personnes les plus touchées. “À ce moment-là, les autorités ont plein de choses à gérer. Vous ne pouvez plus compter que sur vous-mêmes, les connaissances que vous avez de votre commune et les collègues que vous pouvez mobiliser rapidement”, témoigne-t-il.

Une fois l’urgence passée, tout reste à faire pour ces élus. Moins de 24 heures après l’inondation, Vincent Bony aide déjà ses commerçants à remplir leurs déclarations d’assurance, et a lui-même lancé une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle afin que ses administrés soient indemnisés rapidement. Un appel à la solidarité a été lancé aux communes alentour pour remplacer les livres et les jeux de la médiathèque disparus sous les eaux, tandis que les habitants les moins touchés se mobilisent pour aider au nettoyage de la ville. Karine Accassat, de son côté, compte sur le soutien de la région et du département. “Franchement, je ne sais pas comment on va gérer tous ces dégâts : avec le petit budget de notre commune, on n’ira pas loin”, s’inquiète-t-elle. Cédric Szabo, président de l’Association des maires ruraux de France, appelle ainsi l’État à accompagner les collectivités “au long cours”.




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