Bienvenue dans l’ère de l’électricité ! Le dernier rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie, publié le 17 octobre, le démontre : l’économie mondiale s’électrifie de plus en plus vite. Depuis 2010, quand la demande globale d’énergie a augmenté de 1,4 % par an, celle d’électricité a augmenté en moyenne de 2,7 % par an. Et ce n’est que le début. Prévoir l’évolution de la demande d’électricité est, certes, une gageure. Pour autant, la part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie augmente plus rapidement que par le passé dans tous les scénarios de l’agence.
Les marchés émergents et les économies en développement devraient contribuer à près de 80 % de la croissance de la demande d’électricité jusqu’en 2030, la Chine en représentant à elle seule plus de 45 % ! L’électrification du système énergétique s’y développe à une vitesse stupéfiante, notamment du fait de l’explosion de la consommation d’électricité dans le secteur du bâtiment. De même, l’adoption rapide des véhicules n’émettant pas de CO2 devrait considérablement accélérer l’électrification chinoise.
Maîtriser la chaîne de valeur
Ces chiffres ne doivent rien au hasard, mais tout à la constance de la Chine dans la poursuite d’un objectif : célébrer, en 2049, le centenaire de l’avènement de l’Etat communiste en devenant l’Arabie saoudite de l’électricité. Pékin veut maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie électrique, de la production et du raffinage des métaux et autres terres rares utilisés dans la fabrication de ces convertisseurs énergétiques que sont les panneaux solaires ou les batteries électriques jusqu’aux réseaux de transmission à très haut voltage, en passant par une expertise complète en matière de nucléaire civil. “Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares”, déclarait dès 1992 Deng Xiaoping, au moment même où l’ensemble des pays occidentaux – à l’exception notable du Japon – s’apprêtaient à démanteler l’ensemble de leurs stocks stratégiques de métaux critiques, pour s’en remettre au marché quant à leur approvisionnement.
Plus de trente ans après ce désarmement minéral de l’Occident, la Chine détient un quasi-monopole sur les terres rares, ces 17 éléments métalliques indispensables, du fait de leurs propriétés, à la fabrication de systèmes de haute technologie, non seulement dans les nouvelles industries vertes, mais aussi dans la radiographie médicale ou l’industrie de défense. Et il en est de même pour certains métaux critiques. Imaginez un monde où 90 % des raffineries de pétrole seraient concentrées en Arabie saoudite : c’est ce qui se passe en matière de raffinage de terres rares en Chine. Quand les Européens se fixaient des objectifs de pourcentage de production d’énergie renouvelable intermittente, la Chine se concentrait sur la fabrication des objets permettant de la produire : l’Europe regardait le doigt quand la Chine regardait la Lune…
La Chine s’est éveillée, et seule l’Europe tremble
Quand bien même l’économie chinoise est aujourd’hui dans une situation difficile, son ultradomination dans l’électricité est problématique pour l’Europe comme pour les Etats-Unis. Ces derniers l’ont d’ailleurs compris, qui prennent sans états d’âme une batterie de mesures protectionnistes contre le géant chinois, tout en se lançant eux aussi dans la conquête du bas carbone. La manne énergétique dont ils disposent en tant que premier producteur mondial de pétrole et de gaz les y aide.
Et l’Europe ? Divisée sur la réponse à apporter à Pékin, elle reproduit avec la Chine sur les technologies bas carbone le même schéma de dépendance qu’avec la Russie dans les énergies fossiles, notamment le gaz. Le débat qui monte sur la pertinence de maintenir l’interdiction de vendre des véhicules à moteur thermique à compter de 2035 pose, en filigrane, une question plus large sur la relation sino-européenne, tant l’avance de la Chine sur la mobilité électrique est conséquente. Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera : cinquante et un ans après la parution de l’ouvrage visionnaire d’Alain Peyrefitte, la Chine s’est éveillée… mais seule l’Europe tremble.
Cécile Maisonneuve est fondatrice de Decysive et conseillère auprès du centre Energie et Climat de l’Ifri
Source