La campagne présidentielle s’est transformée en guerre des sexes. Avec une ligne de front qui oppose les femmes démocrates et les hommes conservateurs. Depuis la criminalisation de l’avortement dans 21 Etats – consécutive à l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême en 2022 –, les premières sont surmobilisées en faveur de Kamala Harris tandis que de plus en plus d’électeurs masculins de tous âges sont séduits par la posture “virile” et “masculiniste” de Donald Trump. Selon un sondage du Wall Street Journal, ce dernier possède 10 points d’avance dans l’électorat masculin (contre cinq en 2020), tandis que son adversaire bénéficie d’un avantage de 13 points parmi les femmes.
Pour limiter la casse auprès de la gent féminine, voire reconquérir des voix, l’ancien président met en œuvre deux stratégies. La première, peu glorieuse, consiste à éluder le sujet de l’avortement. Lors de la convention du Parti républicain, en juillet à Milwaukee (Wisconsin), le mot “avortement” n’a pas été prononcé une seule fois en quatre jours ! La seconde est contre-intuitive. Elle consiste à présenter Trump comme le champion des Américaines. Là encore, le visionnage in extenso de la convention de Milwaukee – peu couverte par les médias français, mais très suivie aux Etats-Unis – est édifiant. Force est d’admettre que beaucoup de femmes se sont succédé à la tribune. Des élues républicaines bien sûr (les gouverneures Sarah Huckabee et Kristi Noem), mais aussi des collaboratrices de Trump à la Maison-Blanche (Kellyanne Conway), des dirigeantes du secteur privé (Carrie Ruiz, manager d’un club de golf de Trump à Miami) ou encore des membres de la famille (Kimberly Guilfoyle et Lara Trump, les belles-filles).
Le but ? Montrer que, dans des mondes professionnels dominés par des hommes, Trump sait reconnaître les femmes talentueuses. Mieux, il n’hésite pas à leur confier des responsabilités, comme il le faisait lorsqu’il animait The Apprentice à la télévision. Trump est ainsi présenté comme un boss admiré et un mentor. “Il a vu quelque chose en moi et chez les autres que, peut-être, nous n’avions pas vu en nous-mêmes”, a témoigné l’une. “Je suis fière d’être l’une des innombrables femmes qu’il a promues à des postes de direction”, a ajouté une autre. Cette célébration de l’empowerment des femmes cohabite avec une vision beaucoup plus traditionnelle qui fait plutôt de celles-ci des victimes… protégées ou secourues par Trump.
Quand Trump se vante d’être le “protecteur des femmes”
Sans trop de subtilité, la campagne martèle deux sujets de campagne principaux : l’immigration et l’addiction aux opioïdes. Pour évoquer ces questions complexes, Trump s’appuie presque exclusivement sur des figures féminines, qu’elles soient épouses, mères ou proies sexuelles. Une jeune mariée a expliqué comment son mari est mort d’une overdose. Une mère en pleurs a raconté comment son fils de 15 ans est décédé après avoir avalé un cachet de Fentanyl. Une fratrie est venue parler du viol et du meurtre de leur sœur par un immigrant sans papier. Et Trump a passé la dernière couche, évoquant longuement le sort de Jocelyn Nungaray, 12 ans, violée et étranglée par deux clandestins vénézuéliens.
Le message est simple : Joe Biden et Kamala Harris ont laissé les frontières grandes ouvertes pour les immigrés et les cartels ; ils ont donc du sang sur les mains. Dès lors, vers qui les Américaines devraient-elles se tourner ? Trump bien sûr ! “Je ne laisserai pas ces tueurs et ces criminels entrer dans notre pays. Avec moi, vos fils et vos filles seront en sécurité”, a-t-il fait serment à la convention. Il faut croire que cette posture de “protecteur des femmes” est payante, car le candidat y recourt de plus en plus, en jouant à 100 % sur l’émotion sans se soucier de défendre un projet. Paternaliste et misérabiliste, sa vision de “la femme” révèle en creux l’enjeu culturel fondamental au cœur de l’élection. Avec cette question : Kamala Harris a-t-elle acquis suffisamment d’autonomie et de crédibilité politiques pour être placée à la tête du pays ? Evidemment, Trump y répond négativement et la qualifie à l’envi de “mentalement instable”, de “pas très intelligente” et de “stupide”. Huit ans après l’échec de Hillary Clinton, il saute à nouveau aux yeux qu’être une femme face à Trump ne constitue en rien un avantage.
* Françoise Coste est historienne, professeure à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès et auteure de Reagan (Perrin).
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