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Langues régionales : comment la Catalogne sauve… l’occitan


Connaissez-vous le val d’Aran ? Sans doute, pour peu que vous habitiez dans la région de Toulouse. Peut-être pas, si vous résidez loin de la Ville rose. Quoi qu’il en soit, si je vous en parle aujourd’hui, c’est pour illustrer cette idée simple, mais vigoureusement contestée en France : on peut tout à fait sauver une langue régionale pour peu que l’on s’en donne les moyens. La preuve, donc, par le val d’Aran.

Commençons par le début en présentant ce territoire tout à fait singulier. C’est à la suite d’une bizarrerie historico-géographique que le val d’Aran est aujourd’hui intégré à l’Espagne. En effet, la frontière pyrénéenne suit généralement la ligne du partage des eaux. De ce fait, cette vallée, qui appartient pour l’essentiel au cours supérieur de la Garonne, devrait logiquement dépendre de la France. Or, tel n’est pas le cas, mais peu importe car, comme souvent, d’un mal est né un bien.

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Passons maintenant à la question qui nous occupe. La langue historique du val d’Aran, l’aranais, est une variante de l’occitan. Chez nous, hélas, cette langue millénaire perd des locuteurs, et beaucoup croient sincèrement que l’on n’y peut rien. Or, tel n’est pas du tout le cas dans cette vallée qui a échappé au centralisme parisien.

Du temps du dictateur Franco, l’aranais était interdit, comme l’étaient toutes les langues régionales d’Espagne. Seul le castillan avait droit de cité. Tout a changé avec le retour de la démocratie. En 1990, l’aranais a obtenu un statut de langue officielle, au même titre que le catalan et l’espagnol. Le début d’une nouvelle ère.

Concrètement, l’occitan est depuis lors la langue du “gouvernement” local, eth Conselh Generau d’Aran. Il est en usage dans les mairies, les administrations et, bien sûr, dans les écoles. Les résultats de cette nouvelle politique sont spectaculaires : désormais, l’aranais gagne régulièrement des locuteurs. Mieux : ceux-ci sont proportionnellement plus nombreux dans les jeunes générations. 75 % des 15-29 ans savent désormais le parler (54 % chez les 45-64 ans), et 72 % l’écrire (37 % chez les 45-64 ans).

Disons les choses autrement. Dans ce petit territoire d’environ 10 000 habitants, l’occitan semble sauvé. Alors que, côté français, cette grande langue de culture ne compte plus dans les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine que 7 % de locuteurs, souvent âgés. L’Unesco le dit haut et clair : elle y est désormais menacée de disparition.

La conclusion s’impose : le déclin d’une langue minoritaire n’a rien d’inéluctable. Tout dépend des mesures qui sont prises – ou non – en leur faveur. Corollaire : si nous voulons vraiment sauver les langues régionales de France, il nous suffit de faire comme le val d’Aran et de leur accorder un statut de co-officialité. Je traduis et je rassure : cela signifie que le français garderait partout un statut de langue officielle et pourrait être utilisé par tout un chacun. La seule différence, c’est que l’occitan disposerait du même statut dans les zones occitanophones, et qu’il en irait de même pour l’alsacien en Alsace, le basque au Pays basque, le créole martiniquais en Martinique, etc.

Oh, je sais ce que certains d’entre vous sont en train de penser. Le val d’Aran n’appartient-il pas à la Catalogne, et la Catalogne ne suit-elle pas une dangereuse pente indépendantiste ? En conséquence, cette mesure ne risque-t-elle pas d’entraîner les mêmes effets en France ? Ces craintes sont tout à fait légitimes, mais on peut y apporter quatre réponses.

1. Jusqu’au début des années 2010, les Catalans espagnols étaient majoritairement autonomistes. C’est le refus par Madrid d’un statut élargissant cette autonomie qui a contribué à radicaliser une partie de l’électorat sur le mode “puisque l’autonomie est impossible, il ne nous reste que l’indépendance” (voir notre “Lire aussi”, ci-dessus).

2. Ce que veulent les défenseurs de l’occitan, c’est simplement, modestement, humblement, pouvoir continuer à pratiquer et à transmettre la langue de cette région, tout en restant français. Il n’existe pas de Front de libération nationale de l’Occitanie !

3. Il ne faut pas confondre la notion de “français langue unique”, synonyme d’uniformisation et d’appauvrissement culturels, et celle de “français langue commune”, qui conforte l’unité nationale tout en se montrant respectueuse de la diversité linguistique de notre pays. C’est évidemment ce à quoi aspirent 99 % des militants des langues régionales.

4. Je vous ai dit que depuis la mort de Franco, l’occitan connaissait dans le val d’Aran une véritable renaissance. Je ne vous ai pas dit que les habitants de cette étonnante vallée parlent aussi couramment le catalan, le castillan et souvent… le français. Preuve s’il en était besoin que la pratique des langues minoritaires n’enferme pas leurs locuteurs dans leur petit territoire, mais encourage au contraire l’ouverture vers les autres cultures.

Aussi ai-je envie de terminer cet article par une suggestion. Le responsable de la formation continue du très centralisateur Conseil constitutionnel pourrait-il imposer à ses augustes membres un stage d’une semaine dans le val d’Aran ? Peut-être un tel séjour leur permettrait-il de sortir de l’idéologie et de comprendre que, si la France entend vraiment être considérée comme “le pays des droits de l’homme”, s’inspirer de Franco n’est pas forcément la meilleure solution.

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