Quel contraste en un an ! Lors du précédent sommet des Brics, en Afrique du Sud, Vladimir Poutine, visé par un mandat de la Cour pénale internationale, n’était apparu qu’en vidéo car il n’avait pas osé se déplacer, de peur d’être arrêté. L’édition 2024, à domicile, du 22 au 24 octobre, à Kazan, sur les bords de la Volga, lui offre une revanche éclatante : la photo de famille va lui permettre de mettre en scène le fait qu’il est tout sauf isolé.

Près de trois ans après avoir provoqué le début de la guerre en Ukraine, le président russe est parvenu à réunir une vingtaine de chefs d’Etats, membres des Brics ou candidats à l’entrée dans ce club de pays émergents créé il y a quinze ans et qui représente désormais près de la moitié de l’économie de la planète et un tiers de son PIB. Comprenant au départ le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine ; puis l’Afrique du Sud en 2011, il s’est étendu l’année dernière à quatre nouveaux pays (Iran, Egypte, Ethiopie, Emirats arabes unis), et la liste des candidats frappant à sa porte (comme la Turquie) ne cesse de s’allonger.

Parmi les invités les plus puissants, le maître des cérémonies russe accueille le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi – le Brésilien Lula n’interviendra qu’à distance, ses médecins lui ayant interdit le voyage pour des raisons de santé. Plus surprenant, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, participera aussi au sommet, lui donnant de fait une forme de respectabilité.

Rassemblement d’Etats très hétéroclites

La victoire diplomatique de Poutine est d’autant plus saisissante qu’au même moment, son armée ne cesse de grignoter du terrain dans le Donbass et que le “plan de la victoire” du président Volodymyr Zelensky – qui demande notamment à intégrer l’Otan – a été accueilli avec circonspection par des Occidentaux divisés sur la façon de soutenir l’Ukraine.

L’avenir n’a jamais semblé aussi incertain pour ce pays agressé, à deux semaines d’une élection présidentielle américaine qui pourrait ramener Donald Trump à la Maison-Blanche et mettre fin à l’aide à Kiev.

Toute l’habileté de Vladimir Poutine et de Xi Jinping est d’avoir réussi à rassembler des Etats très hétéroclites. “De plus en plus de pays importants remettent en cause l’ordre du monde actuel issu de la Seconde Guerre mondiale et la domination américaine. Les Russes et les Chinois ont su jouer sur cette corde, sans les obliger à partir en croisade contre les Etats-Unis et leurs alliés”, explique Michel Duclos, ancien ambassadeur et conseiller spécial à l’Institut Montaigne. De fait, certains sont clairement sur une ligne antioccidentale, comme l’Iran ; quand d’autres, à l’image du Brésil et l’Inde, essayent de maintenir une position plus équilibrée entre l’Ouest et l’Est pour en tirer le plus d’avantages possibles.

“Les Brics, qui avaient au départ un forum pour valoriser le potentiel économique de ses membres, ont pris progressivement une dimension de plus en plus politique et géopolitique”, souligne Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Ifri. Dans cette logique, il est question cette année de développer une solution concrète pour s’affranchir de l’hégémonie du dollar : un système de paiement alternatif au système américain Swift. “L’objectif, à court terme, c’est le contournement des sanctions. Pour la Russie, pour l’Iran, c’est tout à fait vital, dans l’immédiat. Mais d’autres pays, susceptibles d’être un jour ciblés par l’Occident, peuvent être intéressés”, poursuit la chercheuse.

Il existe certes des frictions dans l’univers des Brics, comme en témoigne l’absence du prince héritier d’Arabie saoudite Mohamed ben Salmane, qui a été accepté dans ce club, mais n’a pas encore confirmé qu’il voulait le rejoindre. Mais, à l’heure où Zelensky recherche désespérément des soutiens pour freiner l’avance des troupes russes, ce rassemblement du pays du Sud autour de Poutine obscurcit encore plus l’avenir.