Outre-Atlantique, la presse ne fait guère cas de sa troisième candidature à l’élection suprême. Côté électorat, la majorité des citoyens, accoutumés à l’historique bipolarisation de la vie politique américaine, se bornent au duel Kamala Harris-Donald Trump. Mais au sein des appareils du Grand Old Party (GOP) et du parti démocrate, les faits et gestes de Jill Stein sont scrutés, épiés, décortiqués. Classée à l’extrême gauche de l’échiquier politique, la candidate écologiste laisse poindre le scénario du pire pour la campagne de Kamala Harris : le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Ainsi, depuis plusieurs semaines, les deux camps brûlent de connaître la réponse définitive à la question : Jill Stein finira-t-elle par retirer sa candidature ? Les démocrates l’espèrent, appelant tous azimuts l’ancienne médecin de 74 ans “à la responsabilité”. Les républicains, eux, comptent sur son maintien pour délester de quelques centaines de milliers de voix le score de Kamala Harris. Lors de la présidentielle de 2016, Jill Stein avait recueilli près de 1,5 million de votes. Une goutte d’eau dans l’océan des 230 millions électeurs américains, qui peut néanmoins faire la différence, davantage encore à l’heure où l’écart entre les deux rivaux semble ne jamais avoir été aussi serré.
Stein, le meilleur atout de Donald Trump ?
Ce n’est pas pour rien si Donald Trump déclare en juin dernier, “beaucoup aimé Jill Stein”. Plusieurs sondages nationaux ont récemment placé la candidate indépendante autour de 1 %. Autrement dit, un score qui pourrait s’avérer “plus que suffisant pour faire la différence”, soulignent nos confrères du New York Times qui rappellent en outre que les votes obtenus par Jill Stein en 2016 dans les swing states que sont le Michigan, le Wisconsin ou encore la Pennsylvanie, avaient dépassé les marges de victoire de Donald Trump. Cette année, c’est autour de l’Etat clé du Michigan que se concentrent les inquiétudes du camp démocrate qui a déployé une large campagne publicitaire visant l’ancienne médecin.
De Detroit à Lansing, en passant par Ann Arbor, les panneaux publicitaires sont placardés d’affiches avertissant : “Jill Stein a aidé Trump une fois. Ne la laissez pas recommencer.” Une référence au précédent de 2016, régulièrement agité par les démocrates qui accusent Jill Stein d’avoir ouvert à Donald Trump les portes de la Maison-Blanche. Des accusations balayées d’un revers de la main par la diplômée de Harvard, qui n’en démord pas : “Soyez-en sûrs, mes électeurs ne voteront jamais Kamala Harris.” Pour Françoise Coste, historienne, professeure à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès et spécialiste des Etats-Unis, Jill Stein “a sans doute raison : les gens qui votent pour elle se considèrent beaucoup trop au-dessus de la mêlée pour voter pour un candidat du parti démocrate”.
Le conflit israélo-palestinien, principal angle d’attaque
Autrefois sympathisante des démocrates, Jill Stein affiche aujourd’hui des positions très dures à l’encontre de l’administration Biden. A l’instar de son entourage, qui ne se prive pas de mitrailler le parti démocrate de critiques. Les plus acides naissent sous la plume de son colistier, Butch Ware. Quelques jours après avoir célébré le premier anniversaire des attaques du Hamas, celui qui s’autodésigne “serviteur de la vérité” a par exemple qualifié Barack Obama de “nègre de maison”. Ce, après avoir taxé Kamala Harris de “visage noir de la suprématie blanche” et de “sioniste mariée à un sioniste convaincu”.
Barack Obama is a disgrace to everything the black radical tradition has ever stood for, and him caping for Carceral Kamala in the midst of the most heinous American yt supremacist genocide in our lifetimes cements his legacy as a safe, bourgeois, unrevolutionary, house negro.
— Butch Ware (@ButchWare) October 11, 2024
Il faut dire que pour Jill Stein, le conflit au Proche-Orient constitue à la fois une arme politique et un outil au service d’un clientélisme électoral. D’une part, la guerre Israël-Hamas lui permet de marquer une claire distinction avec le camp démocrate qu’elle critique pour ses positions jugées trop pro-israéliennes. De l’autre, en se présentant comme l’unique alternative au “soutien inconditionnel” des deux principaux partis, Jill Stein tente de rallier les voix des communautés arabo-musulmanes. Une stratégie payante. Du moins, dans les sondages.
Harris-Trump : blanc bonnet, bonnet blanc
D’après une étude réalisée fin août par le Conseil des relations américano-islamiques (Cair), 40 % des électeurs musulmans soutiennent la candidate écologiste contre seulement 12 % pour Kamala Harris et 18 % pour Donald Trump. “Certains musulmans disent ne plus se sentir représenter par le parti démocrate, mais de nombreux groupes restent malgré tout fidèles à Harris parce qu’ils comprennent bien que Trump est bien pire”, nuance toutefois Lauric Henneton, maître de conférences à l’université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
C’est justement ce fossé, qui distingue le milliardaire conservateur de l’ancienne procureur de San Francisco, que Jill Stein s’évertue à faire effacer, en renvoyant l’un et l’autre dos à dos. “Kamala Harris a raison de dire que Donald Trump n’a pas de plan pour vous [NDLR : les Américains]. Le problème c’est qu’elle non plus”, pilonne-t-elle depuis son compte X. Une rhétorique qui, selon le spécialiste des Etats-Unis Lauric Henneton, a toujours existé “à la gauche du parti démocrate”.
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